Pouvoir d’achat

Malika K.

Le passage à l’euro a littéralement chamboulé notre mode de vie. Chaque semaine, avec maman, nous scrutons, tous les prospectus, afin de dénicher toutes les promos qui valent le coup. Du coup, pour ne louper aucunes bonnes affaires, on passe des heures à comparer tous les prix, de tous les articles proposés par chaque magasin. C’est ainsi que nous établissons notre liste de courses constituées, principalement, de produits les moins chers ou de ceux qui nous font bénéficier d’avantages.

Les biologistes appellent l’instinct de survie, cette capacité qu’ont les êtres vivants à adapter leur comportement, selon leur environnement, pour subvenir à leurs besoins. Nous, on préfère utiliser le terme de, miséria.

Aujourd’hui, nous avons donc, repéré que pour l’achat de deux liquides vaisselles, le troisième est gratuit, chez Auchan.
Lidl, quant à eux, nous propose des couches Pampers, pas chers, mais cela ne nous concerne pas.

« Oui, maman, in challah, un jour, j’en aurais besoin mais il faudrait d’abord que je trouve un… Nan, j’ai pas dit mec… »

C’est, vraiment, chiant de préparer ses achats même si ça fait gagner du temps dans le centre commercial.

« Attends, je vérifie que sur cette Javel, il n’y ait pas de gélatine de porc… »

Eh ! Oui ! Chez nous, nous vérifions, toujours, que la marchandise, de notre liste, soit bien conforme. Ainsi, nous sélectionnons nos articles en expertisant, par ordre de priorité, les ingrédients, ensuite le prix, ensuite, la marque, ensuite le gamasin, ensuite…
Quel véritable parcours du combattant ! Même Rambo perdrait cette bataille mais, lui, c’est parce qu’il ne sait pas lire, ou bien, c’est parce qu’il n’est pas muslim.
Y’a pas à dire, on est trop balaise.

Bon ! Plus qu’à calculer la somme totale. Cool ! Nous devrions nous en tirer pour 70€51.

« Ok ! Maman, je passe, d’abord, à Carrefour pour acheter les articles stabilotés en jaune, puis à Auchan, pour ceux, stabilotés, en vert et j’irai à pied à Lidl qui est à trois km d’Auchan, comme ça, je ferai une économie de… Elle est où, la calculette ?... Ce qui fait qu’en un mois, on gagne… Y’a pas à dire, on est trop balaise ! Bye ! »

Tiens ! Pourquoi est-ce qu’un lampadaire, sur deux, éclaire le parking de Carrefour ? Bizarre ! Je devrais leur dire qu’à Ed, ils font des promos sur les lampes. Ah nan ! C’est pour l’écologie.
Bouh ! L’excuse bidon. Moi, au moins, je sais mieux mentir.

Marde ! Je dois retourner chez moi, j’ai oublié un truc super important. Dommage pour Tartaga, je vais lui perdre cette super belle place. Tant pis. Peux pas faire autrement.

« Sèlèm ! Ma ! T’inquiète, je repars de suite. J’ai, simplement, oublié de mettre mon parfum Ch’nel… Ben Quoi ! Faut pas s’énerver ! Comprends pas le problème ? »

Je ne pouvais pas aller arpenter les rayons des supers gamasins sans mon parfum acheté au bled.

« Mais non ! Maman ! La poulice ne va pas m’arrêter. Et pis, s’ils le font, je leur expliquerais que c’est parce que je ne peux plus me permettre d’acheter du vrai Chanel et qu’ils z’ont qu’à considérer mon Ch’nel comme l’expression de mon instinct de survie, à moi. T’amnnière, ils ne sauront jamais d’où ça vient… Bah ! Si je tombe sur un flic arabe, je lui demande s’il est célibataire et s’il l’est, j’en profite pour… Ololo ! Faut pas s’énerver. Allez, j’y retourne. »

Ouf ! Je peux, enfin, me garer après une demi-heure de galère. Je prends un caddie et zou ! C’est parti.
Oups ! J’ai faillit oublier mes obligations. Faire mon petit tour, là bas, au QG de tous célibataires qui méritent ce qualificatif.
Faut, toujours y aller avant de commencer ses achats, c’est la règle.

Alors que l’endroit stratégique de rencontre de beaux mecs, pour ma copine Steph, est la boîte de nuit, moi, c’est le rayon halal. Noooormal.

Super ! Y’en a un ! Plus qu’à mettre en application le plan drague que j’ai préparé et qui devrait me donner l’air intelligente, mais pas trop, seulement, juste ce qu’il faut pour séduire.

« Y’a pas à dire, la viande halal est super dégueux, super grasse et le packaging est super moche. C’est à croire qu’on nous prend pour des p’tits cochons, mangeurs de tout et n’importe quoi. Hihihi, p’tits cochons… »

Super, il est tombé dans le panneau. Ce que je dis, lui plait et, même, qu’il veut continuer nos achats, ensemble.
Deux p’tites secondes, le temps de cacher ma calculatrice. Ste honte !

Ololo ! Il n’achète que de la marque. Ca craint ! Peux pas lui montrer que je fais partie de la classe moyenne pauvre.
Lui, il ne vérifie pas les ingrédients, il connaît la composition des produits par cœur. Wahou ! Quelle intelligence !
Eh ! Qui dit intelligent, dit forcément galant. Super.

C’est bon ! Nous pouvons nous diriger à la caisse.

Ahhhh ! Pourquoi, Mohamed Belkhir me fait ça, à moi ? Ahhh !
Il est accompagné d’un super canon qui porte des lunettes de conace.
Heu ! Je ne l’avais pas reconnu avec son brushing. C’est pas un canon, c’est sa collègue, la plus moche. Elle ne doit pas connaitre le dicton que je viens d’inventer :
Les têtes de mort, avec des lunettes Dior
Et les têtes belles, avec des lunettes Ch’nel.

Bon ! Il ne m’a pas vue. Ffff. Il me tourne le dos. Faut, absolument, qu’il me voie avec un mec. Faut, absolument, me faire remarquer.

« QUOI ! CONTINUEZ NOTRE CONVERSATION AUTOUR D’UN CAFE ? AVEC PLAISIR ! »

Il se retourne ? Il ne se retourne pas ? Ah ! Ca y est, il nous a vus.
Il est jaloux ? Il n’est pas jaloux ?
Il s’en fou ! Tant pis !

Heu ! La caissière a du se planter. C’est pas possible.

« Hein ? Combien je vous dois ? Vous pouvez me le noter en chiffre arabe, j’ai quelques difficultés avec le français littéraire…. »

Ma mère va me tuer. C’est vrai qu’elle veut me caser à tous prix, mais, pas à 150€. Elle va me tuer.
Hmmm. A part si, l’autre là, il me paye mes courses. Il est intelligent alors il est, forcément, galant.

Radin ! T’manière, la galanterie s’arrête, là où commence la radinerie.
Pfff ! Obligé de faire un chèque ! Quoique… Je peux, peut-être, régler avec ce que je porte.
Mon pull H&M, ma jupe et mon blouson… La caissière pourrait, même, se faire un p’tit bénéf.
Nan ! Peux pas faire ça. Ste honte !

Comme convenu, nous nous installons à une terrasse afin de continuer notre conversation super intello. Ololo !

« Nous en étions à ton analyse sur les conditions humaines de notre génération foutue. »

M’en fou ! M’en fou ! M’en fou ! Fallait que je tombe sur un philosophe. Y parle trop, ces mecs là.
Bo allez ! Fais le sourire de celle qui s’intéresse et acquisse en hochant la tête.
Ouf ! Sauvé par le serveur qui nous apporte l’addition. Changement de service.
Heu ! Qu’est ce qu’il fait Spinoza ?

« J’ai pris un coca light, à 3€20 et une bouteille d’eau à 1€50, donc, en additionnant les deux puis en soustrayant du total, moi, je dois payer 4€70 et toi, 3€45. »

Wahou ! C’est quoi, ce délire ? C’est chaud ! Ok ! Je règle ma part.

« Oups ! Je n’ai pas assez. Aurais-tu l’amabilité de bien vouloir me prêter 10 centimes, ste plait... Oui ! Oui ! T’inquiète, je te les rendrai ! »

Génération foutue ! Comprends mieux ce que ça veut dire. Génération de mecs qui n’ont plus les moyens financiers d’assumer leur rendez-vous galant.
Ahhhhhh ! On va, tous, mouriiiir célibataires.

« Bon ben ! Je dois y aller. Se revoir ? Ch’te rappelle. Allez ! A bientoooozzz !!! »

Plus qu’à retourner chez moi et expliquer à ma mère nos erreurs de calculs. Elle va me tuer.

« Ma ! Tu sauras jamais quoi ! J’ai payé 70€ et du coup, je n’ai pas fait, 30 centimes d’économie mais 50 centimes. C’est génial, non ?... Le ticket ? Pourquoi faire ?... Mais, non ! L’erreur de calcul de la dernière fois, c’était parce que… Ololo… Bon ! Faut que je te laisse. Je dois retourner au rayon halal, acheter des Pampers… »


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