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'la méditerranée a été l’Europe avant l’Europe'

Rédigé par Propos recueillis par Nadia Sweeny | Jeudi 27 Juillet 2006 à 12:47

Miguel Portas est député européen du bloc de la Gauche Européenne, depuis 2004. D’origine portugaise, il est licencié d’économie à l’université de Lisbonne et devient journaliste par la suite. Il s’engage en 1999 dans la création du Bloc de la Gauche européenne, avec laquelle il est élu et siège au Parlement Européen. Il est aussi membre de la commission européenne des affaires étrangères et de la délégation européenne pour les relations avec les pays du Mashreq, c'est-à-dire la partie orientale du monde arabe.



Quel est le rôle de la gauche européenne. Quelles sont ses volontés et comment peut elle agir ?

Miguel Portas
Cette gauche européenne a un rôle important. Dans un premier temps, elle peut agir sur la discussion des opinions publiques en Europe à propos des conflits nord-sud et sa configuration présente, communément appelé le conflit de civilisations. Il nous faut vaincre dans l’opinion publique européenne cette bataille, qui est une bataille entre la théorie du conflit de civilisations ou au contraire, sur la nécessité d’avoir une sortie à la crise de la civilisation du capitalisme. On parle ici d’une civilisation avec différentes expressions et non un conflit de civilisations. Cette bataille sur les opinions publiques est essentielle. C’est une première tâche de la gauche européenne, qui rejoint la tâche du combat contre le racisme, contre des phénomènes de xénophobie et de nationalisme exacerbé.
La seconde partie serait, je pense, d’avoir le courage de dire que la méditerranée a été l’Europe avant l’Europe. Une alliance euro méditerranéenne est nécessaire, elle serait en gros un accord où l’on change les droits démocratiques et civils d’un côté, contre des processus d’intégrations, socialement justes et égalitaires de l’autre. Cela peut conduire à un accord global, s’opposant à la logique de guerre et d’imposition de la loi du plus fort sur la méditerranée et notamment sur le Moyen Orient. La seule alternative à la guerre au Moyen Orient, ce n’est pas de jeter de l’argent sur les pays, ceci ne sert qu’à effacer la mauvaise conscience de l’Europe. Il faut faire une offre de nature politique. Un processus d’intégration politique qui soit socialement maîtrisable et non pas exclusivement économique. (…) L’alternative sera la multiplication des problèmes.

Comment faire pour que cette nouvelle gauche européenne puisse entretenir des relations avec les pays méditerranéens sans qu’il y ait cette « ombre » colonialiste ?

C’est un défi très difficile parce qu’aujourd’hui l’Union Européenne veut trois choses des pays méditerranéens. D'une part, elle veut que se soient les pays du sud qui interdisent le passage du sud vers le nord. L’Union Européenne est disposée à payer pour ça. Payer avec des armes, avec la formation des forces policières, avec des centres de détention dans les pays du tiers-monde. Ceci lui permet, d’une certaine façon, d’élargir sa propre frontière au-delà de l’Europe au nom de la lutte contre l’immigration. C’est donc la transformation de la méditerranée en une sorte de mur. La seconde chose que l’Europe veut des pays du sud, c’est le marché libre, alors qu’aucune protection n’existe sur le commerce. Le problème est donc que ce commerce est totalement inégal. Il y a une dépendance de l’Europe sur les matières premières, notamment sur l’énergie, mais tous les produits de valeurs ajoutés fortes sont des exportations européennes vers le sud. La troisième volonté européenne, est que sur le textile qui rassemble le sud et l’Europe sur le même problème face à la Chine et l’Asie, L’Europe veut établir une stratégie commune contre l’extrême orient.

Le problème majeur c’est que toutes ces préoccupations sont typiquement néo-coloniales. C’est la raison de la défaite du processus de Barcelone. Il s’intéresse beaucoup plus au côté nord de la méditerranée qu’au coté sud. D’autre part, la généralité des régimes du sud sont absolument insensibles aux questions sociales dans leur propre pays. Se sont des élites dépendantes de l’ancien système colonial et avec des concentrations de richesses absolument incroyables. Par exemple, on peut penser aux propriétés du roi du Maroc pour comprendre ça : il fait de la reine d’Angleterre une petite propriétaire en Europe. Il y a alors une fracture brutale entre les élites du sud et les préoccupations des peuples du sud, et l’Union Européenne joue sur ça.

Que pensez vous de la réaction européenne face à l’élection du Hamas ?

J’étais en Palestine le jour des élections en tant qu’observateur internationale. Les élections ont été indiscutablement démocratiques. Comparées au reste du monde arabe, elles ont été extraordinairement et exceptionnellement démocratiques. Ce résultat n’était pas une surprise pour moi. Il y a beaucoup de raisons qui aboutissent à ce résultat qui établi une différence de 40 000 votes entre le Fatah et le Hamas. Avec plus de 5 000 votes pour d’autres formations de gauche laïque. Il faut bien faire la différence entre le système électoral qui reproduit la majorité pour le Hamas, et le nombre de votes réels qui se sont exprimés.

Il y aune convergence multifactorielle vers le Hamas. L’un de ces facteurs est sans aucun doute la politique européenne sur le conflit israélo-palestinien, en particulier la politique du Quartet. Cette politique a exaspéré les palestiniens. Elle a posé le Fatah entre deux épées, d’où il ne peut plus se sortir. D’un coté les effets de la politique intérieur débile de ce mouvement d’ou une protestation très forte de la population contre la corruption. De l’autre coté, la combinaison entre le blocage israélien et la complète incapacité et même partialité de l’Europe et du Quartet pour la résolution du problème. Ça a développé évidemment la capacité de la masse à prendre l’hégémonie dans un cadre de crise et dans un cadre où le processus d’Oslo est mort il y a maintenant 25 ans.

La réaction de l’Europe se fait au niveau de la politique intérieur, c’est une réaction absolument stupide et même bien pire. C’est une réaction qui ne peut conduire qu’à l’enracinement dans les esprits palestiniens qu’il n’y a pas de solution politique. C’est un gros problème. La tentative de faire un ultimatum au nouveau gouvernement palestinien alors que l’Europe est absolument incapable de faire des ultimatums a quiconque, est interprétée comme une discrimination évidente contre les palestiniens. Ce genre de politique la donne des marges de manœuvres à Israël, qu’elle applique complètement. Les derniers évènements en sont la preuve : dès qu’il y a une faiblesse internationale, Israël en profite pour agresser et pour conquérir des positions qui à la limite la dispense de quelconques négociations. La communauté internationale devrait jouer un rôle pour forcer la négociation, parce qu‘il y a une nation qui n’a pas d’état et qui vise l’établissement d’un état en Palestine. Mais au contraire, cette communauté internationale qui a deux poids et deux mesures est incapable d’obliger le plus fort à jouer les règles du jeu, basés sur le droit international. Voila la position européenne actuelle, elle est terrible parce qu’elle établie dans la tête des palestiniens la complète absence d’un éventuelle solution politique. Or qui dit absence de solution politique, dit règlement militaire. Or la voie militaire n’est pas une solution. Ils sont donc dans l’impasse. C’est le désespoir.

On parle souvent du poids des religions, quel est-il dans les relations Nord – Sud ?

Il y a, pas seulement dans les pays arabo musulmans, mais dans l’Europe chrétienne aussi, des phénomènes de retour à la religion. La théorisation du conflit des civilisations c’est un argument additionnel pour les retours à la religion. Ce n’est pas seulement Ben Laden qui parle de Dieu ou qui appel à la guerre sainte, Georges W. Bush parle aussi au nom de Dieu pour les bombes nord-américaines. Les raisons de ce retour sont, pour quelques unes, des raisons politiques, d’autres sont plus complexes. Par exemple, je suis convaincu qu’au Moyen Orient, la régression réelle sur des comportements ultra religieux a des raisons plus larges. Ces raisons sont liées à la faillite des régimes laïques durant la seconde partie du siècle dernier. Mais elles sont principalement le produit de la globalisation sur les pays arabes. Je pense que le terme le plus correct pour expliquer cela, c’est le mot : instantanéité. Avec la globalisation, il y a une compression du temps, de tous les temps sur le présent. On peut parler par exemple de chameaux dans une ville du monde arabe et aussi de Chakira, et des derniers cris de Land Rover. Tous ça monte sur ces pays en trente ou quarante ans au maximum. C’est vraiment une accélération brutale et vertigineuse du temps, tous les temps se composent et la possibilité de maîtriser ceci, est extraordinairement difficile. D’une façon plus simple, il y a toujours des problèmes de langage, de compréhension entre un jeune et son grand père, ce qui indique qu’en peu de temps, même les mots sont différents. Ce problème qui peut se passer sur deux générations d’une famille, appliquons le, à l’échelle social, sur un monde qui avait des chameaux, l’appel du Muezzin, tranquillement et qui en vingt à trente ans est confronté à toute l’importation, l’exportation de tous les futurs possibles des sociétés de consommations etc., ajoutons y les problèmes de références et d’identités qui s’opposent. La religion opère comme un refuge qui offre la sécurité mais aussi une identité pour une bonne partie des pays du monde arabe. Avec la défaite des régimes qui n’étaient pas seulement laïques mais dictatoriaux, l’alternative s’est affirmée par la voix religieuse et parfois fondamentaliste.

Il y a un autre facteur, un peu plus lointain. Il y a une sorte de tragédie, que l’on peut rapprocher de ce que je disait à propos de la révolution française et de son exportation, qui est que les idées de modernité arrivent dans une bonne partie de ces pays du moyen orient, qui étaient soumis à l’empire ottoman, à cheval sur le colonialisme. Il y a donc un problème : le colonialisme amène dans un seul discours « occidental », de bonnes idées dans de mauvaises pratiques. Ça provoque inévitablement des ressentiments.

La troisième dimension est le problème du monde musulman en Europe. Ce problème est clairement une création des conservateurs et des réactionnaires nord américains et européens sur les citoyens européens. Parce qu’en général, les musulmans qui ont immigrés s’adaptent très bien aux conditions des pays européens. Les vraies questions qui se posent ne sont pas de nature religieuse, mais de nature social et aussi identitaire mais qui s’appliquent globalement à tous les phénomènes d’immigration, qu’il soit d’origine des pays musulmans, ou de Portugal, ou de l’Europe de l’est etc. Il y a une tentative de dire qu’il y a une question musulmane en Europe, en transformant une question sociale en une question religieuse avec des intentions politiques claires. Je pense qu’en France elles sont très bien traduites dans la nouvelle politique de M. Sarkozy. L’idée qu’il soit possible de choisir l’immigration : blanche, grande, blonde et qualifiée de préférence … ce n'est pas possible ! C’est une intention qui n’est pas acceptable.

M. Sarkozy est le seul en Europe à avoir fait ça ?

Non, en général tous les gouvernements européens, ont aujourd’hui, avec différentes tonalités, le même discours. Ce sont des mesures politiques qui paradoxalement alimentent la version « barbare » de ce discours, qui est la variation lepéniste. Si le gouvernement propose des mesures de ce genre, alors pourquoi en tant qu’électeur je voterai pour la copie quand je peux avoir l’original, qui est Le Pen. Au moins, c’est absolument clair, il n’y a pas de questions. Il n’aime pas les noirs, ni les musulmans etc.

Ces types de politiques sont dans un premier temps irresponsables, à cause du discours qu’elles entraînent. Mais d’un autre côté, elles ne sont pas réalistes. Il n’y a pas de rempart possible contre la décision d’immigrer. Le sud viendra toujours au nord si le nord n’a pas de politiques sérieuses avec le sud. Il est absolument impossible de convaincre l’immigrant, quel qu’il soit, qu’il ne doit pas immigrer parce qu’il ne peut pas. Toute son expérience le dit, quand il y a une possibilité, il ira. Après, s’il ne meurt pas sur la méditerranée, il peut revenir un jour dans son village natal s’il a eu la chance d’obtenir une meilleure condition de vie en Europe. Sinon il ne reviendra pas, il continuera en Europe jusqu’à la fin. Ne pas comprendre ça, et ne pas intégrer que ceci doit déterminer les politiques d’immigration, c’est ne rien comprendre du genre humain. L’idée qu’il est possible de contenir l’immigration avec des quotas sur les consulats, qui doit déterminer qui est qualifié, qui ne l’est pas, c’est ridicule. Au Portugal par exemple, la politique du quota en 2005 est un échec. Sur 8 500 places par immigration légale, les consulats portugais n’ont reçus que 164 propositions de ce genre ! Evidemment c’est complètement ridicule de penser qu’on peut maîtriser l’immigration vers l’Europe avec des consulats. On peut maîtriser la venue d’étrangers pour faire des conférences ou des spectacles, mais c’est tout. L’immigration doit être traitée à l’entrée, avec un droit de chercher du travail pendant un certain temps, avec un visa adapter, il faut leur donner la possibilité de trouver du travail. Il n’y a pas d’autres alternatives. Car ces politiques de rapatriement ne fonctionnent que pour quelques pays. La possibilité de mettre des centres de détentions au Libye ou au Maroc, ne fonctionne pas pour tous ceux qui ont la capacité de payer le petit bateau pour essayer de passer en Europe. De plus, la majorité des personnes qui arrivent sans papiers, restent en Europe sans papiers. C’est tout le problème. L’immigration arrive toujours, légalement ou illégalement et le choix de savoir si c’est légal ou illégal est un choix européen.