Monde

Yasser Arafat, garder le souvenir vivant

Entretien avec le Dr. Safwat Ibrahim Ibraghith

Rédigé par | Lundi 21 Novembre 2005 à 02:10

Safwat Ibrahim Ibraghith est l'un des fondateurs de l'Association des Palestiniens en France. L'an dernier, au moment du décès de Yasser Arafat, il était le coordinateur général de cette association. Spécialisé dans la question des réfugiés, ce Palestinien né au Liban est un filleul de Yasser Arafat. Entretien avec un Palestinien de France qui exige toute la lumière sur la mort de son président.



Saphirnews: Il y a un an, c'est ici en Ile de France que Yasser Arafat est décédé. Comment avez-vous passé ce premier anniverssaire ?

Safwat Ibrahim Ibraghith : L'an dernier, durant son hospitalisation, nous nous étions rassemblés devant l'hôpital de Percy. Pendant 14 jours, nous avons toujours été présents de manière ininterrompue à l'initiative d'un petit groupe de gens qui s'était installé devant l'hôpital. Ce lieu est devenu comme un lieu de « pèlerinage ». Des Français, des Palestiniens, des musulmans, des chrétiens, des juifs, des bouddhistes... des gens de toute confession, de toute nationalité, Iraniens, Kurdes... Nous nous retrouvions tous les jours au même endroit et nous étions tous inquiets. C'est vraiment cette présence humaine, des familles entières, qui nous a permis de tenir le coup malgré le froid et la fatigue parce que c'était le Ramadan; nous faisions la rupture du jeûne sur place !

Cette année, nous nous sommes retrouvés au même endroit. C'était très émouvant de retrouver ces visages dont on ne connaît même pas tous les prénoms. Mais ils sont quand même revenus par fidélité, pour garder le souvenir de Yasser Arafat vivant et pour maintenir les liens fraternels et spirituels, très forts, que nous avons noués à cette occasion. Le jeudi 10 novembre, nous y sommes restés tard. Ce rassemblement était à l'initiative de l'Association des Maghrébins de Clamart.

Et l'association des Palestiniens de France, qu'avez vous fait à Paris ?

Safwat Ibrahim Ibraghith : On n'a jamais fait assez pour le souvenir d'un leader comme Yasser Arafat car il mérite beaucoup. L'an dernier, au moment des adieux à Yasser Arafat, nous avions recueilli des témoignages. C'était libre. Certains ont écrit des lettres d'amour, des enfants ont fait des dessins, d'autres ont apporté des drapeaux, déposé des roses... Là aussi, nous avons des traces de toutes les communautés. Nous les avons gardés pour réaliser 40 panneaux d'exposition. Nous les avions déjà exposés au 40e jour du décès d'Arafat. Nous les avons ressortis jeudi 10 novembre pour les exposer de nouveau. Nous les tenons à la disposition des acteurs qui veulent les exposer, il suffit de prendre contact avec l'Association des Palestiniens de France. Ce sont de petits mots laissés parfois en persan, en espagnol, en arabe, en français... Les signataires sont d'origine très diverses aussi. Certains sont de Cuba, d'autres sont du Congo... Durant ce week-end, la Fédération sportive et gymnique de France a invité une délégation de Palestiniens à un tournoi sportif. Bien entendu, l'Association des Palestiniens de France a participé à ce tournoi. Car, à travers l'activité sportive, on peut aussi faire passer un message de paix et rendre hommage au prix Nobel de la paix qu'est Yasser Arafat.

Un tournoi sportive d'hommage avec un message de paix, dites-vous ?

Safwat Ibrahim Ibraghith : Oui, on peut le dire. Cela se passait à Aubervilliers (93). Il y avait 14 équipes. C'était du football à sept joueurs, sans arbitre. Le tournoi fut suivi d'un déjeuner. Spontanément, nous avons entonné des chants patriotiques qui ont été accueillis avec beaucoup d'applaudissements. Nous avons esquissé quelques pas de Dabkeh, une danse palestinienne. Ce n'était pas prévu au programme mais cela a mis une excellente ambiance avant le colloque qui a suivi à la Bourse du travail de Saint-Denis avec des projection de films. Pendant ce temps, les étudiants palestiniens organisaient un rassemblement sur le parvis des droits de l'Homme à Paris. Il y avait environ 300 personnes présentes.

Comment avez-vous vécu ces moments ?

Safwat Ibrahim Ibraghith : Les rencontres étaient intéressantes. Mais cela n'a pas effacé notre amertume. Le personnage de Yasser Arafat est très cher aux Palestiniens, aux Arabes, mais aussi aux combattants du monde entier qui luttent pour la liberté et la paix des peuples. Les circonstances de la mort de Yasser Arafat restent ambigües et cela nous encourage à lui rendre un vibrant hommage pour une vie entièrement consacrée à la cause palestinienne. Mais c'est avec amertume que nous vivons cette situation d'une mort qui n'a pas encore été tirée au clair.

Est-ce dire que vous pensez que Yasser Arafat a été assassiné ?

Safwat Ibrahim Ibraghith : On ne connait pas les circonstances exactes de cette mort. J'ai lu le rapport médical en langue arabe et il parle d'empoisonnement par une substance dont on ne connaît pas la nature. Le comité d'investigation ministériel a publié son rapport il y a quelques jours. Ce rapport n'est pas de nature à clore le débat. Et au moment où je vous parle, l'enquête reste ouverte pour déterminer les causes réelles de la mort de Yasser Arafat.

Avant que sa santé ne se dégrade rapidement et qu'il soit transféré en France, deux groupes de médecins, un tunisien et un autre égyptien, l'ont visité à la Muqqata : il ne souffrait d'aucune maladie mettant sa vie en danger. C'est aussi ce que révèle son médecin privé. Donc il s'est passé un problème en Palestine avant qu'il ne vienne en France. N'oublions pas qu'il a été encerclé pendant trois ans au cours desquels il a échappé à plusieurs tentatives d'assassinat de la part d'Ariel Sharon. Souvenons-nous que Sharon a regretté de n'avoir pas pu tuer Yasser Arafat à Beyrouth en 1982. C'est dire que l'assassinat de Yasser Arafat était souhaité par certains.

Yasser Arafat a eu une vie extraordinaire, très mouvementée mais il n'était plus un jeune homme. Cette thèse de l'assassinat n'est-elle pas une manière d'exiger que la mort de Arafat soit extraordinaire parce que sa vie a été extraordinaire ?

Safwat Ibrahim Ibraghith : En effet, votre observation est acceptable en ce qui concerne un quelconque Palestinien sous le coup de l'émotion. Mais pas de la part de l'élite politique. Or, cette élite est aujourd'hui convaincue de cet assassinat et elle fonde sa conviction sur des éléments rationnels, des rapports médicaux, des intérêts politiques et l'analyse de faits comme le calendrier politique et les tentatives d'assassinat du passé. Je vous rappelle qu'en avril 2001, la Muqqata a été bombardée et un missile a été tiré sur la chambre de Yasser Arafat.

Malgré ces doutes, comment voyez-vous la Palestine de l'après-Arafat ?

Safwat Ibrahim Ibraghith : Les Palestiniens sont un peuple. Un peuple conscient et très éduqué. Après Yasser Arafat, la Palestine existe toujours et l'Etat de Palestine tient toujours une bonne place dans le rêve des Palestiniens. C'est une priorité qui est présente à tout instant dans les cœurs et les esprits. Il est vrai que, même après sa mort, Yasser Arafat reste un symbole fort pour la cause. Mais après Yasser Arafat, la lutte continue. L'absence de Yasser Arafat était prévue. Nous avons l'habitude des martyrs. Et les martyrs ne sont jamais morts pour nous. Ils restent vivants dans nos esprits et dans nos pensées. Abou Mazen a repris le flambeau et s'est engagé à maintenir la ligne pour le respect des droits fondamentaux des Palestiniens.

La présence du Hamas sur la scène politique est un fait majeur de l'après-Arafat. Faut-il avoir peur du Hamas ?

Safwat Ibrahim Ibraghith : Non, pas du tout ! Le Hamas est un mouvement populaire. Il représente une partie non négligeable du peuple palestinien. Notre souci était que le Hamas rentre dans l'OLP. Le Hamas s'est rendu compte de l'importance de son intégration à la société politique en participant aux élections. Il a fait preuve de maturité politique car la relation entre le Hamas et l'OLP est basée sur l'intérêt général du peuple palestinien, ce qui implique un minimum de base politique commune. Et cette base ne peut se construire à l'extérieur de l'OLP. Cela dit, je ne crois pas qu'il faille avoir peur du Hamas. Les membres du Hamas sont des Palestiniens, ce sont nos amis d'enfance, ce sont nos cousins. Nous ne sommes pas de ceux qui ont peur du Hamas. Mais en effet, on peut se poser une autre question : qui a peur du Hamas ?

Le monde diplomatique palestinien est actuellement en mutation. Leila Shahid, qui est très connue en France, s'en va à Bruxelles. Quel sens faut-il voir à tous ces changements ?

Safwat Ibrahim Ibraghith : C'est un mouvement normal. Les postes de diplomates ne sont pas des postes à vie ! Leila Shahid va désormais auprès de l'Union européenne pour représenter le Département des Affaires politiques de l'OLP et le ministère des Affaires étrangères de l'Autorité palestinienne. Comme vous l'avez dit, beaucoup d'autres diplomates palestiniens sont concernés. Ce sont des mesures habituelles qui respectent le protocole en la matière. Pour reprendre votre exemple, on peut simplement dire que Leila Shahid a fini sa mission à Paris et qu'elle a une nouvelle mission à Bruxelles.

Avez-vous déjà le nom du remplaçant ?

Safwat Ibrahim Ibraghith : Ce sera une remplaçante. Elle s'appelle Hind Khoury. Elle est parfaitement francophone. Elle a une modeste expérience diplomatique mais elle a fait ses preuves sur la scène politique palestinienne. Elle est actuellement à la tête du ministère de l'Autorité palestinienne chargée des Affaires pour Jérusalem. On ne peut que lui souhaiter de bien remplir sa mission à Paris.


Diplômé d'histoire et anthropologie, Amara Bamba est enseignant de mathématiques. Passionné de… En savoir plus sur cet auteur