Arts & Scènes

Vive la France

Scènes

Rédigé par | Mardi 26 Février 2008 à 18:18

Archives sonores et cinématographiques constituent la trame de ce spectacle militant, qui convoque la mémoire de 150 ans d’histoire de la France.
Une France coloniale, qui, traversée de vagues migratoires successives, n’en finit pas – entre discours paternalistes et autoritarisme d’État – de s’en prendre à ses ouailles, des « indigènes » d’hier aux « jeunes de banlieue » d’aujourd’hui.



Séance de cinéma ou spectacle total ? Tout au long des 3 heures que dure Vive la France, pièce écrite et mise en scène par Mohamed Rouabhi, l'œil du spectateur ne cesse de passer de l'écran géant à la scène, et de la scène à l'écran.
 
Images d'actualité des années 1960 vantant le logement en HLM suivies d'autres plus récentes montrant la destruction à l'explosif des mêmes barres. Film en noir et blanc du temps des colonies dans lequel deux femmes lancent des bonbons à la volée aux enfants annamites qui se précipitent pour les ramasser tels des oiseaux piaffant. Séquence de recrutement d'un travailleur immigré à qui l'on parle petit-nègre « N° 487, il faut toujours donner le numéro, tu commences à travailler tout de suite ». Discours électoral de celui qui deviendra le président de la République en 2007 : « Je vous propose une France nouvelle, une France du respect, une France de la fermeté, une France de l'autorité ». Scène de manifestation extrême-droitiste : « Ils ne sont pas obligés de demeurer sur le territoire. » Reportage télévisé sur le délogement intempestif des SDF qui, bien qu'ayant un travail, dorment sous les tentes, quai d'Austerlitz : « La France qui se lève tôt »…
 
Sur scène, ce sont près de 20 artistes comédiens, slammeurs, danseurs et chanteurs qui investissent toute leur énergie. Reprenant les images des films passés à l'écran de manière calquée, détournée ou disjonctée, ils remobilisent notre mémoire des événements passés pour mieux les mettre en perspective, voire en montrer leur cruelle actualité. Les textes sont dits, clamés, hurlés, chantés. Ils s'entremêlent, s'entrechoquent : reprises de discours colonialistes « La culture est au centre du projet colonial », « L'amour sera le fondement du lien entre la métropole et les colonies » ; mise en scène du discours de Marine Le Pen qui, en 2006, ne faisait frémir que de rares conscients politiques ; slams écrits par les artistes mêmes : « Tu crois quoi, toi ? » ; juxtaposition de textes d'analyse sociologique…

Quelques scènes sont particulièrement réussies. Concert de fête républicaine en créole avec une manifestation en toile de fond. Alphabétisation des spahis tandis Cheikh Anta Diop soutient sa thèse sur l'Afrique noire à la Sorbonne ; sur le tableau noir sont projetées des photos d'archives d'enfants asiatiques et africains sur les bancs de l'école coloniale. Croisière en bateau-mouche de deux Américaines ; sur les quais des SDF ; sur l'écran géant, des  publicités arrogantes de Paris ville candidate aux jeux Olympiques de 2012, de Century 21 et de la chaîne d'hôtellerie Accor : « Et sur votre droite vous pouvez admirer la statue du zouave ».
 
La bande son, elle aussi, est omniprésente : « Les indigènes sont naturellement indolents et paresseux. […] L'indigène est un être sans souci. Donc pas de phrases compliquées. Juste ce qu'il faut pour s'exprimer : des substantifs, des adjectifs. […] Mais il peut être pris en main, ne rien faire serait le condamner à la damnation au cœur des ténèbres. » Le bruit assourdissant des pales de l'hélicoptère américain qui survole les sentiers bombardés du Vietnam devient le bruit incessant du boulevard périphérique parisien dans les recoins duquel se logent les sans-abri. En sus de l'œil, le spectateur en prend plein les oreilles.

Mais il ne suffit pas de déclamer un texte et de projeter des images, qui en étant réinjectés en ce XXIe siècle montrent à quel point la politique coloniale et néocoloniale de la France est violente.
Pour exprimer cette violence, la révolte des mots passe aussi par la révolte des corps. Et c'est ce qui manque à ce spectacle, qui procède de scènes éclatées et mises bout à bout, par simple juxtaposition. On aurait aimé que les slammeurs envahissent un temps l'espace de la scène, plutôt que de rester alignés presque trop sagement. On se serait attendu à ce que les comédiens chantent eux aussi a capella avec le groupe Moun Bwa.
Et la pénombre quasi omniprésente ? Est-elle un effet scénographique voulu de (non-)lumière ou cache-t-elle parfois l'absence de jeux d'acteurs ou de mouvements chorégraphiques d'ensemble qui auraient été bienvenus ?
 
Le spectacle est foisonnant. La multiplicité des disciplines artistiques n'en fait pourtant pas un spectacle total. Il manque à Vive la France un liant ; qui aurait donné à cette pièce une dynamique vers laquelle le spectateur se serait levé spontanément à la fin, emporté par le message délivré par l'auteur, qui aurait envahi la scène pour se mettre debout avec les acteurs et aller d'un même mouvement vers l'avant.
Ici, nous sommes à l'heure de la mémoire vive, écorchée, du ressentiment et de la prise de conscience. Les 3 heures que durent le spectacle donnent l'impression que l'auteur a voulu tout dire de ce qu'il avait sur le cœur ; et à force de trop vouloir en dire, on en perd le fil ; or plus de concision aurait gagné en effets.
Car l'art élevé au rang de message politique réussit quand il touche le spectateur en son for intérieur, au plus profond de ses tripes, même s'il n'était pas concerné au premier chef par la problématique soulevée par l'œuvre de création.
 
Vive la France constitue donc une œuvre absolument nécessaire et bénéfique, mais elle ne convainc pas totalement. Plus compacte, donc plus percutante, elle aurait pu être vue par nos grands ados et en famille.
En l'état, elle touche seulement ceux qui se sentent déjà concernés. Ceux-là attendent cependant avec ferveur la suite de Vive La France, premier opus d'une trilogie, dont les suivants devraient traiter de l'histoire du travail et de la colonisation de l'Algérie.


Jusqu'au 1er mars 2008, 20 heures
Théâtre Gérard-Philipe : 59, boulevard Jules-Guesde – 93207 Saint-Denis Cedex
01 48 13 70 00
Métro : Saint-Denis Basilique (ligne 13)
RER : D Saint-Denis
Navette gratuite pour le retour
Entrée : 20 € ; TR : 15 € ; habitants de Seine-Saint-Denis : 13 € ; habitants de Saint-Denis : 10 € ; moins de 12 ans : 6 €.
 
Vive la France, de Mohamed Rouabhi
Durée : 3 h 20, entracte inclus
 
Écriture, mise en scène, scénographie, images : Mohamed Rouabhi
Assistanat à la mise en scène, dramaturgie, régie vidéo : Jeanne Louvard

Avec : Karim Ammour, Kouthair Baccouche, Bijou, Rachid Bahloul, Julien Barbazin, Géraldine Bourgue, Mouloud Choutri, Célia Catalifo, Cyril Favre, Farid Hamzi, Thierry Rallet, Rebecca Rinto, Mohamed Rouabhi , Rv Sika, Ricky Tribord, Ucoc, Mylène Wagram, Peggy Yanga.
Et les voix de : Thierry Desroses, Octave Lai, Issa Bidard
Et la chorale Moun Bwa dirigée par Peggy Yanga, avec AC, Delphine Cornélis, Erika Lernot, Mickaël Geran.

Musique originale : Yed
Chorégraphie, danse : RV Sika
Lumière : Nathalie Lerat
Son : Thierry Rallet
Régie générale : Julien Barbazin
Costumes : Virgine Alba
Langues des signes : Béatrice Blondeau



Journaliste à Saphirnews.com ; rédactrice en chef de Salamnews En savoir plus sur cet auteur