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Société

Violences faites aux femmes, un colloque du CFCM pour déconstruire les clichés et prôner la justice

Rédigé par Carole Latifa Ameer et Huê Trinh Nguyen | Mardi 19 Mars 2019 à 18:05

           

Les violences faites aux femmes, tel était le thème du colloque organisé samedi 9 mars, au lendemain de la Journée internationale des droits des femmes, par le groupe de dialogue des femmes du CFCM et la sénatrice Nathalie Goulet, dans le cadre hautement symbolique du Sénat. Un panel d’intervenant-e-s de qualité et une remarquable intervention du Défenseur des droits, Jacques Toubon, ont examiné les problématiques liées à la condition des femmes dans la société et proposé des pistes pour lutter contre toutes les formes de violences. Une initiative qui se voulait être aussi un levier de dialogue contre les préjugés concernant l’islam et les femmes.



Les violences faites aux femmes, tel était le thème du colloque organisé au Sénat samedi 9 mars par par le groupe de dialogue des femmes du CFCM et la sénatrice Nathalie Goulet, ici à l'image aux côtés du président du CFCM Ahmet Ogras et de son prédécesseur Anouar Kbibech.
Les violences faites aux femmes, tel était le thème du colloque organisé au Sénat samedi 9 mars par par le groupe de dialogue des femmes du CFCM et la sénatrice Nathalie Goulet, ici à l'image aux côtés du président du CFCM Ahmet Ogras et de son prédécesseur Anouar Kbibech.
Pour Jacques Toubon, ancien ministre de la Culture puis de la Justice et actuel Défenseur des droits, le colloque organisé samedi 9 mars sur les violences faites aux femmes est « une excellente initiative » du Conseil français du culte musulman (CFCM) et de son groupe de dialogue avec les femmes.

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Lors de son intervention, qualifiée de remarquable par la sénatrice Nathalie Goulet, il a insisté, chiffres à l’appui, sur l’ampleur des discriminations envers les femmes, le harcèlement sexiste et les violences qui peuvent en découler, bien que « les statistiques ne soient que la partie émergée de l’iceberg, le début de la lutte passe par l’information ». Et de rappeler que « 225 000 femmes sont victimes de violences physiques ou sexuelles par leur conjoint ou ex-conjoint chaque année » et que « 93 000 femmes sont victimes de viol ou de tentatives de viol » selon les chiffres de l'INSEE en 2017 : « Les violences à l’égard des femmes s’exercent dans toutes les sphères d’interactions hommes-femmes, privées ou publiques (loisirs, entreprises, monde politique…). Les violences peuvent être physiques, économiques, administratives, verbales… Elles s’exercent ponctuellement ou sur une période longue avec répétitions. »

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Le Défenseur des droits n’est pas compétent pour traiter des violences en tant que telles qui relèvent du ministère de la justice, fait savoir Jacques Toubon mais il peut « je peux rétablir la personne dans ses droits et dans sa dignité ».Il n’hésite pas à parler de « discrimination intersectionnelle, dans laquelle se conjuguent les dimensions du genre, de l’origine ethnique, de la classe sociale, de l’âge et de la religion ». Par exemple, « les femmes de 18 à 44 ans perçues comme Noires, Arabes, Asiatiques ont une probabilité 2,5 fois plus élevée d’être discriminées à l’embauche que des femmes "blanches". »

Ne pas accepter ces violences comme une fatalité, c’est en ce sens que Jacques Toubon a incité les femmes à se saisir du Défenseur des droits pour s’opposer aux violences qu’elles subissent. En clair, oser porter plainte. « Il y a nécessité de briser le silence », quand bien même « plus de 70 % des affaires pour violences sexuelles ont été classées sans suite ».

Sortir de l’amalgame entre religion et tradition

Le droit est un levier puissant. Il est cependant important de rappeler que c’est par la prise de conscience que les mentalités évolueront.

La deuxième table ronde, animée par Carole Latifa, était consacrée aux violences symboliques et institutionnelles. Ghada Hatem a insisté sur le fait que son expérience de praticienne lui donne à penser que les religions, et non la spiritualité, sont souvent liberticides pour les femmes.

Fondatrice de la Maison des femmes (Saint-Denis), qui assure une prise en charge globale des femmes victimes de violences, elle entend « redonner aux femmes le droit de disposer de leurs corps » et militer pour l’accès à la contraception et à l’avortement, que bien souvent les religions refusent. « Je reçois 20 patientes par semaine, qui ont dû prendre la fuite, ont quitté leur pays, certaines ont eu des grossesses non consenties, fruits d’un viol ou d’un inceste », raconte Ghada Hatem.

Elle dénonce trois types de violences commises « au nom de la famille, de la tradition, de l’honneur » : l’hymen, l’excision, le viol conjugal. « L’hymen, qui fait 3 mm de diamètre, 1 mm d’épaisseur… Comment peut-on faire croire que l’honneur d’une femme peut se trouver entre ses cuisses ? », s’insurge-t-elle.

Amine Nejdi, recteur et imam de la mosquée de Tomblaine, a rappelé que l’islam, dans son essence, est égalitaire, respectueux des femmes et offre un cadre pour les protéger. Il a attiré l’attention, comme Ahmet Ogras, président du CFCM, et Anouar Kbibech, vice-président du CFCM, dans leurs allocutions, sur l’amalgame malheureux fait entre tradition et religion. Sa vision théologique des textes de l’islam tord le cou aux préjugés négatifs véhiculés sur le rôle des femmes en islam qui serait secondaire.

« Même si les règles dogmatiques sont plus ou moins respectées selon les lieux et le temps », déplore l’imam, « il doit toujours exister des hommes et des femmes épris de justice sociale ». Il en veut pour preuve la présence de cinq femmes théologiennes sur 17 membres au sein du Conseil européen des oulémas marocains dont il fait partie. Et de citer pour exemple le Maroc qui a « été précurseur, en mettant en place à travers le pays 70 conseils théologiques où sont nommées des femmes et l’institut Mohammed VI où les mourchidates (prédicatrices) reçoivent la même formation que les imams et les mourchidines (prédicateurs) ».

Ernestine Ronai, membre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, a loué, pour sa part, le cadre de la laïcité qui permet à tous de vivre sa foi et de débattre dans un respect républicain dans un lieu aussi symbolique que le Sénat. Évoquant le harcèlement de rue et le harcèlement dans les transports, elle ne mâche pas ses mots : « Il faut nommer les choses. Une main aux fesses, un baiser volé, c’est une agression sexuelle. C’est un délit condamnable. » Adressant une pensée émue « à toutes les femmes de la planète », elle cite Aimé Césaire : « Je suis du côté de l’espérance lucide et sans naïveté. »

Un espace de dialogue entre des femmes voilées, non voilées, musulmanes et non musulmanes

Le colloque a également permis de contribuer à déconstruire des clichés sur la place des femmes en islam. En effet, les deux tables rondes ont été un espace de dialogue entre des femmes voilées, non voilées, musulmanes ou non.

Dans la première table ronde consacrée aux violences sexuelles et familiales, animée par la sociologue Fatima Khemilat, la parole libérée de deux spécialistes voilées, la sexologue Nadia El Bouga et la gynécologue Rabab Mosbah, ont déconstruit les préjugés.

Après leurs deux interventions, Nathalie Goulet a mis en valeur le fait que l’on pouvait parler de désir et de sexualité tout en étant des femmes musulmanes voilées et pratiquantes. Elle a souligné les idées reçues en lien avec le port du voile : certains « imaginent le port du voile comme uniquement subi par des femmes qui n’ont pas le niveau intellectuel ou qui ne savent pas ». Avant de s’exclamer : « Ces femmes sont belles, jeunes et intelligentes » et sont « parfaitement intégrées à la société ».

Rabab Mosbah a abordé un sujet peu connu : la violence obstétricale. Toutes les femmes peuvent être victimes d’une violence gynécologique. Mais « si on est une femme noire ou arabe et d’une classe sociale défavorisée », le risque est plus grand. La gynécologue cite le « syndrome méditerranéen », enseigné en écoles de médecine, qui sous-estime la douleur des femmes d’origine méditerranéenne. Ou encore le nombre de césariennes trois fois plus élevé chez les femmes africaines en Île-de-France.

Pour sa part, Nadia El Bouga a longuement parlé des conséquences somatiques, psychiques et sexuelles engendrées par les violences sexuelles et sexistes. « Le silence ne vaut pas consentement », insiste la sexologue. « On doit inclure cet élément dans l’éducation sexuelle. » Et de dénoncer une parole attribuée au Prophète (hadith) qui affirme que « toute femme qui refuse un rapport conjugal avec son mari sera maudite par les anges jusqu’au matin ».

Lire aussi : Nadia El Bouga : « L’éducation pour sortir les musulmans de l'analphabétisme sexuel »

La sexologue émet un certain nombre de recommandations. « Il faut sortir de la valorisation de la virilité, de cette double injonction faite aux femmes d’être à la fois respectable et désirable mais non désirante. Il faut éduquer au consentement. Fini le conte de la Belle au Bois dormant ! », ironise Nadia El Bouga. Un conte pour enfants, qui, rappelons-le, met en scène un baiser non consenti. « Il faut travailler sur l’autonomie, l’estime de soi et l’appropriation de son corps », préconise-t-elle.

Une initiative appelée à être décentralisée sur le territoire français

Ce colloque a fait ressortir le rôle fondamental de la pédagogie, de la prévention et de l’éducation, dès l’enfance, dans les milieux scolaires, au sein de la cellule familiale, mais aussi dans les médias et les institutions religieuses.

Nathalie Goulet a évoqué une suite à cette journée avec le groupe de dialogue des femmes du CFCM et le Défenseur des droits. Ce suivi pourrait consister en des actions menées dans les écoles, notamment l’éducation contre les discriminations sexistes ainsi que des opérations avec des élus dans leur département. Il serait en effet souhaitable que cette initiative au Sénat soit décentralisée dans différentes villes et régions de France afin de battre en brèche les préjugés sur la place des femmes dans la société en général, et dans l’islam en particulier.

« Les femmes ne veulent plus que des beaux discours, mais elles veulent des actions », énonçait Ahmet Ogras, président du CFCM, en introduction du colloque. « Nous devons êtres lucides sur l’état de notre société. À chaque violence faite à une femme, ce sont nos principes et nos valeurs qui sont en danger. »

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