Société

Vincent Geisser : « Durban II ? Un grand machin inutile »

Rédigé par Leila Belghiti | Mercredi 22 Avril 2009 à 11:24

Vincent Geisser, politologue français, revient avec Saphirnews.com sur les enjeux de la conférence internationale sur le racisme, Durban II, qui se tient actuellement à Genève jusqu'au vendredi 24 avril. Loin des déchaînements passionnels, il nous livre là une analyse des coulisses de ce fameux congrès. Interview express.



Saphirnews.com : Vos impressions générales concernant la conférence sur le racisme « Durban II » ?

Vincent Geisser
Vincent Geisser : Je n'ai jamais cru à ce qu'une organisation intergouvernementale comme l'Onu puisse régler ce genre de questions. C'est de la poudre aux yeux. Ces grandes messes révèlent beaucoup d'hypocrisie. La question du racisme est une question de société civile et de citoyens. Or, Durban II suit un processus très élitiste. Un grand « machin » inutile, comme dirait De Gaulle, qui ne permet absolument pas de traiter le sujet de fond.

Saphirnews.com : D'autres organismes, non-gouvernementaux, sont pourtant présents à cette conférence, tels Amnesty International, la LDH, le MRAP...

Vincent Geisser : Ils y sont certes, mais l'agenda de Durban II est déconnecté de ceux-là même qui luttent contre le racisme. On n'y aborde pas les résultats, les analyses concrètes du terrain. Il n'y a pas de partage d'expérience. Que des mots. Une grande messe de la bonne conscience qui essaie de se racheter une virginité anti-raciste. Les grands oubliés dans tout cela, ce sont les concernés. J'y préfère des actions de sociétés civiles, reconnues ou non, car c'est de là dont on peut espérer véritablement des résultats. Il faudrait des « Durban de la société civile » !

Saphirnews.com : Comment expliquez-vous la position de la France qui a décidé de ne pas boycotter le congrès, contrairement à ses voisins européens et aux E-U?

Vincent Geisser : La France ne sait plus trop où elle en est. Elle pratique la « diplomatie des normands » : c'est ni oui, ni non. Elle ne veut pas casser le jeu de l'Onu et se montre respectueuse de son programme, et en même temps souhaite affirmer sa réorientation pro-israélienne. La diplomatie française est, depuis l'élection de Nicolas Sarkozy, ballotée entre son affiliation traditionnelle (tiers-mondiste, ''ami des arabes'') et son positionnement vis-à-vis de l'État d'Israël. On peut dire que la France n'a plus vraiment de politique étrangère : il y a un véritable mélange des genres, entre le système de valeurs et les principes d'une réelle politique.

Saphirnews.com : La thèse de l'axe du Bien contre l'axe du Mal a refait son apparition lors de cette conférence...

Vincent Geisser : Une thèse instrumentalisée par tout le monde. Pour exister, il faut savoir se montrer. Or, l'Iran a très bien intégré la politique de la stigmatisation. Il ne faut pas oublier qu'il y a un jeu de concurrence très ancien avec les pays arabes : l'Iran veut se positionner en leadership dans le monde musulman face à des puissances arabes qui ne font pas leur rôle. S'exprimer comme le défenseur des musulmans, c'est une manière d'apparaître sur la scène arabe et de s'approprier la rue musulmane.Les déclarations d'Ahmadinejad sont plus anti-israélienne qu' antisémites. Les pays occidentaux le savent bien. C'est un peu comme Tom et Jerry : on sait très bien que Tom ne mangera jamais Jerry, mais ça continue sinon le dessin animé est fini (rires) !

Saphirnews.com : N'y a -t-il pas un risque que l'Iran compromette ses projets - notamment nucléaires - avec l'image négative qu'il dégage de lui en Occident ?

Vincent Geisser : Il ne faut pas sous-estimer la diplomatie iranienne. Elle joue de la dissuasion nucléaire sans avoir les bombes. Elle est suffisamment maligne pour jouer la carte du discours compassionnel et symbolique et en même temps négocier dans les couloirs avec les américains. C'est tout le génie de la diplomatie iranienne.

Vincent Geisser est sociologue et politologue français. Chercheur à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM/CNRS), il enseigne à l’Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence et a signé plusieurs essais.