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Un processus de paix cathodique

Rédigé par Rachida Douadi | Lundi 9 Mars 2009 à 11:19

Cet été, dans le sud de la France, devrait se tenir des négociations inédites. Pendant un mois, douze jeunes originaires d'Israël et des Territoires palestiniens, vont discuter des conditions d'un accord de paix devant les caméras de Mohamed Ulad Mohand, producteur franco-marocain et créateur de cette série documentaire originale.



Mohamed est optimiste et enthousiaste lorsqu’il parle de son projet. Cet « objet audiovisuel », qualifie-t-il, n’existe pas encore, mais tout le monde en parle déjà. Intrigante, cette idée de réunir douze jeunes dans un mas (ferme) en Provence pour négocier des accords de paix. Ceux du Proche-Orient à Saint-Saturnin. Cet été, pendant un mois, six palestiniens et six israéliens âgées de 18 ans vont se retrouver, devant les caméras, autour d’une table des discussions. « Notre expérience est originale dans le sens où les principaux concernés vont s’adresser aux spectateurs européens pour leur dire quelle est leur vision d’avenir de ce conflit », confie Mohamed Ulad Mohand, producteur franco-marocain et créateur de cette série documentaire en dix épisodes.


Si certains éléments du dispositif rappellent la télé-réalité, les auteurs s’en défendent. « On passe notre temps à expliquer l’inverse », ce qui fait penser à ça, développe Mohamed Ulad, « c’est le fait d’extraire des jeunes de leur pays d’origine et les amener "artificiellement" dans un milieu qui n’est pas le leur et les faire cohabiter ensemble ». Pas de direct, pas d’éliminations, pas d’interactivité avec le spectateur et surtout aucun moment d’intimité. « On a une responsabilité morale vis-à-vis de ces jeunes. Ils auront chacun leur espace vital où aucune caméra n’aura accès » assure-t-il.


Ici, toute ressemblance avec des personnes existantes n’est pas fortuite. D’ailleurs, les jeunes vont être "castés" à domicile, dès le mois d’avril. En Israël et dans les Territoires palestiniens. Histoire de coller au plus près à la réalité humaine, politique et religieuse des deux sociétés. « Il y aura aussi bien des jeunes de Gaza, de Cisjordanie », « des jeunes qui vivent dans les camps de réfugiés, d’autres à Jérusalem-Est, des musulmans, et des chrétiens, des religieux et des laïcs, des enfants issus de familles proches du Fatah et du Hamas (1)»; coté israélien, « il y aura des laïcs, des religieux pratiquants, non pratiquants, un nouvel immigrant aussi », « un jeune dont la famille est installée depuis plusieurs générations, un arabe israélien, un autre du désert du Néguev (2)», précise Mohamed. Les auteurs nuancent, toutefois : « évidemment, on ne peut pas résumer une complexité sociologique en six personnes » relève Sophie Nordmann, jeune philosophe franco-israélienne et co-scénariste. Mais, c’est aussi sur la diversité de ce panel que repose l’un des ressorts du dispositif. Tout le monde doit pouvoir s’exprimer, insiste de son coté, le producteur.

Loin de leurs familles, hors de leur environnement, les douze protagonistes auront la charge de négocier, point par point, les conditions d’un accord de paix, qu’ils remettront ensuite aux représentants de leurs autorités respectives. Les jeunes seront encadrés, de chaque coté, par "un parrain" : l’un israélien, l’autre palestinien, tenus à l’écart de la salle des débats. Leur mission : informer, conseiller, dépassionner, orienter. En fonction de la thématique, et de l’état des pourparlers, des interventions extérieures pourraient ponctuer les épisodes de 26 mn. Pour débloquer une situation ou encourager une démarche. « Ça peut être Clinton, Moubarak ou Nelson Mandela, j’ai pensé aussi à Jimmy Carter, à tous ceux qui ont participé à des négociations » avance le producteur. De ce processus, rien ne devrait échapper à l’œil du téléspectateur, après montage. C’est la promesse pédagogique du documentaire.

Miser sur le dialogue et la cohabitation

Alors, au début, il y aura certainement de « l’hostilité » de la « rancune » et des « préjugés ». Fatale évidence pointée par les porteurs du projet. Car selon eux, ces jeunes ne se connaissent pas, et rares sont les occasions pour eux de se fréquenter. Mais, tous les deux préfèrent miser sur cette rencontre, sur les effets de la cohabitation dans le mas à l’ombre des oliviers du Vaucluse, et sur le pouvoir du dialogue. Avec beaucoup d’espoir et une pointe d’angélisme. A travers cette « expérimentation scientifique », voire même « philosophique », Mohamed Ulad Mohand souhaite vérifier une chose : « est-ce que la paix est possible dans cette région entre les futures générations ? » s’interroge-t-il. « Ce sont eux, les héritiers de ce conflit » et leur progression, au fur et à mesure de la série, sera un indicateur non négligeable selon lui.


En janvier dernier, la Conférence mondiale des religions pour la paix (CMRP) avait profité du cessez-le-feu pour réunir, à Paris, huit jeunes originaires de Jérusalem. Tous impliqués dans des groupes de dialogue, déjà. Mais, aujourd’hui, Méhrezia Labidi, organisatrice de cet évènement, s’interroge sur «l’utilité de ses rencontres » dans le cadre de la situation israélo-palestinienne. Selon elle, l’absence de volonté politique claire vers une démarche de paix, compromet la portée de ces consultations « aussi judicieuses soient-elles ». A propos de ce projet audiovisuel, Mehrézia opte pour la prudence : « une rencontre télévisée, ça peut-être porteur d’un message d’espoir, mais ça peut-être trompeur ». Elle attend de voir.


Si l’histoire est connue, la fin, elle, ne l’est pas. Pas de « happy end » en perspective : « On ne fera rien dans ce sens, même si on l’espère secrètement, on ne fera rien pour les pousser à conclure les accords. De toute façon c’est symbolique, ça ne sert à rien de le faire artificiellement ». Une conclusion ouverte, c’est une autre originalité de cette série qui pourrait être diffusée sur France Télévision.



(1) &(2) Tenter la paix devant les caméras, L’Orient Le Jour, Emilie Sueur, 17 février 2009