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Un aumônier général musulman pour les prisons

Rédigé par Amara Bamba | Mardi 3 Mai 2005 à 00:00

Le Conseil français du culte musulman (CFCM) a désigné hier, le premier aumônier national pour les prisons de France. La demande urgente est venue du ministre de la Justice, Dominique Perben, qui souhaite qu’un aumônier musulman puisse enfin participer aux réunions des aumôniers dont la prochaine est prévue le 12 mai.
Le CFCM a proposé M. Moulay el Hassan Alaoui Talibi, 48 ans, aumônier régional du Nord depuis cinq ans. Il est aussi aumônier à la maison d’arrêt et au centre de détention de Loos depuis sept ans. En cas d’acceptation du ministère, M. El Alaoui Talibi sera le premier aumônier général musulman des prisons de France.



L’islam est la première religion carcérale de France. Dans une étude édifiante consacrée au sujet (L’Islam dans les prisons, éd. Balland, 2004), Farad Khosrokavar souligne l’évidence de ce constat.

« Les musulmans forment la majorité de la population carcérale, leur taux dépassant souvent les 50 %, avoisinant parfois les 70 %, voire les 80 % dans les prisons proches des banlieues… Or ils ne représentent que 7 à 8 % de la population française, du moins si l’on s’en tient aux estimations courantes », écrit-il.

Cette étude qui a porté sur trois prisons choisies selon des critères scientifiques révèle des carences notables dans la prise en compte de la religion de ces détenus. L’État envoie la balle aux structures musulmanes qui la lui renvoient aussi sec. Comme pour l’encadrement des mosquées, le système D vaut pour les prisons. M. Khosrokavar parle de « bricolage religieux ».

77 aumôniers musulmans, un nombre dérisoire

« En 2003, explique-t-il dans une interview accordée à L’Express, il y avait 513 aumôniers catholiques, dont 181 indemnisés, 267 protestants et 69 musulmans, dont 30 indemnisés, dans les établissements pénitentiaires français. L’institution pénitentiaire ne perçoit pas la gravité du problème. Avec un tel taux de détenus pratiquants se réclamant d’une même confession, la conception de la laïcité ne peut pas être la même que celle qui prévalait dans une France très sécularisée. Si nous esquivons l’obstacle au nom de la laïcité, nous laissons le champ libre à une radicalisation que nous aurons par la suite du mal à maîtriser. C’est à l’Etat de prendre les choses en main pour éviter les dérapages, en dégageant des moyens humains et financiers. »

Cette année, on compte 77 aumôniers musulmans, dont 28 à temps plein. Des nombres dérisoires au regard de la population concernée.

L’an dernier, Nicole Guedj, secrétaire d’Etat aux Programmes immobiliers, s’inquiétait de ce qu’elle nomme des « groupes islamistes » en prison. Mais Mme Guedj est loin d’être une référence dans la connaissance du fait musulman en France. Néanmoins, quelques confrères titraient aussi sur le « fondamentalisme musulman en prison ». Un effet de mode certainement inspiré par des constats de terrain. Il demeure que le milieu carcéral est parfois propice à la (re)conversion des détenus à la religion musulmane. « Retrouver le droit chemin. » Et il convient de l’accompagner.

Or le champ étant libre, ce sont les groupes de musulmans, pas forcément les plus représentatifs mais certainement les plus actifs qui ont occupé le terrain. Dominique Perben a voulu affronter le problème de front.

Une nomination précipitée

Avant la création du CFCM, l’autorité politique évoquait l’absence d’interlocuteurs musulmans et prétextait de la « laïcité » de l’espace carcéral pour expliquer la situation. Dans un entretien à Saphirnet.info, à la création du CFCM, le Cheikh Bentounès, membre du CFCM en tant que personnalité qualifiée, souligne la nécessité pour les musulmans de créer des aumôneries dans les prisons.

Une Commission aumônerie est mise en place dès la création du Conseil. Elle est présidée par Mohamed Lasfar. Mais le CFCM reste vague sur les décisions de sa commission aumônerie comme d’ailleurs sur l’état d’avancement des travaux de ses autres commissions.

A ce jour, M. Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris, seule institution représentative de l’islam en France pendant de longues années, est l’aumônier général pour les musulmans. Un rôle qui n’est que consultatif.

La désignation de Moulay el Hassan Alaoui Talibi est soutenue par le recteur, suivi par l’ensemble de son bureau, à l’exception de l’Union des organisations islamiques en France (UOIF) qui trouve la décision précipitée.

Le président de l’UOIF, Lhaj Thami Breze aurait préféré confier le choix du premier aumônier général des prisons au prochain bureau du CFCM prévu au mois de juin. Un vœu qui n’est pas totalement désintéressé.

La nomination du premier aumônier des prisons arrive après la création d’une aumônerie militaire musulmane officiellement créée le 18 mars dernier par un arrêté ministériel signé de Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense. Le ministère et l’état-major comptent sur le CFCM pour s’entendre sur un nom.

Cette fois-ci, M. Breze n’y verra pas d’inconvénient car cette décision reviendra au bureau du CFCM issu des élections prévues le 19 juin prochain.