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« Tariq Ramadan, taisez-vous, svp !»

Rédigé par Amara BAMBA | Samedi 10 Décembre 2005 à 12:41

Ils auront tout essayé pour faire taire Tariq Ramadan. Hier, 9 décembre 2005, M. Ramadan devait prendre la parole à Clermont-Ferrand. Le séminaire organisé en milieu universitaire, devait réunir des spécialistes autour du thème de la raison. La veille du rendez-vous, les organisateurs ont annoncé que la location de la salle avait été annulée « en raison de la présence de Tariq Ramadan parmi les intervenants ».



Sur son site Internet, Tariq Ramadan s'indigne. Ce n'est pas son première texte du genre. Il explique que durant les dix-huit derniers mois, il a essuyé treize interdictions de conférences en France. Statistiquement, la donnée est effrayante. Politiquement, elle est revoltante.
M. Ramadan ne spécule pas longtemps sur les auteurs de ces interdictions. Des sources fiables lui affirment qu'il s'agit « d'un mot d'ordre provenant du ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy. » Une affirmation difficile à confirmer même si selon M. Ramadan, « il est avéré qu'à plusieurs reprises, les Renseignements généraux sont directement intervenus pour faire pression sur les propriétaires de salles pour annuler les réservations » ou amener les organisateurs à retirer M. Ramadan de la liste des intervenants. Pour quelle diantre de raison un homme politique populiste peut-il en vouloir à un penseur ?

Qu'il s'agisse d'abus venant de M. Sakorzy ou de zèle d'agents de ses services, ces interdictions sont dignes d'une mafia et indignes d'une démocratie. Elle trahissent l'éthique démocratique qui fonde la légitimité de nos intitutions. La dignité des serviteurs de l'Etat exclut qu'un ministre ou son cabinet use d'intimidation pour faire taire un citoyen. Car c'est bien de cela qu'il s'agit: faire taire une opinion qui dérange une partie du pouvoir.

Ca fait bien deux ans que Tariq Ramadan est un homme qui dérange sérieusement. Tant qu'il s'adressait à des musulmans, dans les conférences islamiques, tant qu'il faisait le tour des banlieues de France de « conférence de Tariq » en « conférence de Tariq », pendant une bonne dizaine d'années, il a intéressé beaucoup de monde, mais en a dérangé peu. Malgré une interdiction de séjourner en France vite oubliée, il était redevenu un « intellectuel musulman » que l'on pouvait inviter pour parler d'islam, de politique et même de littérature.

Travailleur acharné, penseur reconnu, Tariq Ramadan professe un enseignement authentique, à la manière des maîtres spirituels mais dans un contexte moderne. L'on peut adhérer ou ne pas adhérer à cet enseingnement mais l'on se doit de reconnaître l'audace et le courage qui le portent. Nul en France ne peut nier la puissance de la portée de la pensée de Tariq Ramadan auprès du public. Et si Tariq Ramadan dérange, c'est véritablement sur ce point qu'il dérange son monde.

La volonté de faire taire Tariq Ramadan n'est pas motivée par une phrase isolée dans un article pour cautionner des accusations fantaisistes. Non. Cette adversité est nourrie par des intérêts plus directs. Il s'agit de briser tout espoire d'une ligne nouvelle en France prenant en compte certaines familles de citoyens. Cette ligne portée par le discours de M. Ramadan prône un universalisme et une dignité de nature à bousculer les rapports dominant-dominé dans l'espace politique actuel. Elle transplante des attitudes à la Finkielkraut dont les beaux principes universels s'arrêtent aux portes de Jérusalem. Et quand Nicolas Sarkozy nous donne M. Finkielkraut comme l'exemple d'intellectuel français, nous sommes sûr qu'il plaisante. Mais certaines plaisanteries ne sont pas drôles.

Le message envoyé depuis bientôt deux ans à l'intellectuel Tariq Ramadan est le même que la gauche politique a envoyé à Mouloud Aounit, militant antiraciste, privé de sa victoire au Conseil régional. C'est ce message que l'UMP a envoyé à Zaïr Kedadouche, secrétaire national en le releguant trop loin sur la liste durant les régionales. Ceux qui ont les oreilles pour entendre peuvent entendre ce message qui dit à peu près ceci : «Messieurs, soyez beur et brillant mais taisez-vous, s'il vous plaît! ».