Vivre ensemble

Ramadhan de l’examen de conscience

Par Mustapha Chérif, penseur algérien

Rédigé par Mustapha Chérif | Samedi 15 Septembre 2007 à 09:47



Mustapha Chérif
Le Ramadhan, mois béni de la piété et du souvenir de la descente du Coran, parole de Dieu révélée, intrusion de l'Absolu dans le temps des hommes, pour libérer et non point ligoter, pour avertir et non aveugler, avertir et éclairer, et non obscurcir, une ultime fois, est un moment propice pour faire notre examen de conscience et nous interroger sur la condition humaine de notre temps et nos relations aux autres. De plus en plus de politiques et médias s'interrogent, pour faire diversion à d'autres problèmes, sur le risque de confrontation entre l'Occident et le monde musulman. Le rapporteur de la Commission des Droits de l'homme de l'ONU à Genève vient de déposer son rapport, en précisant, à juste titre, que la nouvelle menace mondiale, en la matière, est l'islamophobie. Il est urgent de rechercher les causes et les conséquences de ce phénomène. Les causes sont internes et externes. L'hégémonie du système mondial actuel a besoin d'un nouvel ennemi pour tenter d'exploiter sans fin le
monde. Et les groupes extrémistes, manipulés, et les régimes arabes et islamiques archaïques, alimentent l'immonde.

Alors qu'il a permis l'émergence d'un des plus lumineuses civilisations, l'Islam, ce méconnu, est aujourd'hui déformé et détourné. Certes des différences, existent entre le monde musulman et le monde occidental, mais le choc des civilisations, lui, n'existe pas. C'est une diversion à la mondialisation qui est une déshumanisation sauvage, ruinant les valeurs fondatrices de l'humanité. Si nous savons prendre garde, parler avec justesse de nous-mêmes, apprendre à écouter et dialoguer, en restant ouverts et vigilants, nous pouvons vivre ensemble, avec les autres, dans leur différence, en conjuguant unité et pluralité. Il n'y a pas d'autre alternative crédible.

Heureusement, de toutes les sociétés, des citoyens objectifs s'interrogent sur la crise morale du monde et sur les causes réelles des violences de notre époque. Apprendre à vivre ensemble la mondialité, en paix et en justice, est une épreuve. Rien n'est donné d'avance, et toutes les folies, les dérives sont possibles, autant que les situations de partenariat, de progrès et de civilisation. La désorientation, les inégalités et la misère, si nuisibles, aujourd'hui dominent. Cela signifie qu'en ce moment nous ne sommes pas tous à la hauteur de l'épreuve du vivre ensemble.

C'est à nous tous, croyants et non croyants, d'oeuvrer pour corriger nos aveuglements, nos errements et nos oublis. L'avenir des relations internationales dépend de la capacité à discerner les enjeux. La propagande du choc des civilisations et la xénophobie, fruits de la logique d'une guerre sans nom, fondés sur la haine, sont un leurre inventé par des gens qui cherchent à détourner l'attention des enjeux politiques et économiques, et qui manipulent nos insuffisances et nos contradictions internes.

Le premier défi de notre époque est moral et culturel. Il y a une perte de sens et de pensée approfondie. Les visions exclusivistes dominent au lieu des échanges et du respect de la différence. Depuis trois siècles, de par la marche du progrès scientifique, certains positivistes, matérialistes ou athées, considèrent, que la vision religieuse du monde est erronée, illusoire, une fiction, un mythe que l'homme s'est inventée pour tenter de faire face à la difficulté de vivre. De par l'histoire conflictuelle du monde chrétien, de par aussi les dérives violentes que des églises diverses ont suscité et continuent de produire, et de par le fanatisme religieux, d'hier ou d'aujourd'hui, phénomènes si traumatisants, l'idée de Dieu, les principes des religions et de la foi, sont réfutés par certains esprits modernes et historicistes qui les considèrent comme aliénants. Nous avons encore pour tâche et, en évitant les amalgames et les stigmatisations, de repenser l'idée d'un nouvel ordre international fondé sur le droit à la différence, contre la haine anti-religieuse. Croire n'est pas un délit. La vie moderne est marquée par un paradoxe. Il y a nettement une sortie des valeurs morales et spirituelles de la vie. Les valeurs monothéistes qui fondaient nos cultures sont remises en causes par le libéralisme sauvage, et en même temps, par réaction, prolifèrent des attitudes obscurantistes, sectaires et extrémistes. Situation aggravée par l'instrumentalisation de la religion à des fins politiques ou criminels. Ce qui est le contraire de la vraie croyance.

L'amalgame entre religion et violence aveugle, que des discours, politiciens et médiatiques, alimentent, ruine les possibilités d'alliances contre les dérives et les défis communs. Par là, des pays occidentaux qui visent l'Islam, fragilisent leur propre position. Dans ce sens, même si des difficultés à résoudre, en termes de renouveau et réformes, concernent les religions et leur tradition figée sont réelles, il reste à discerner et ne pas faire endosser à la religion ce qui relève des problèmes, des incohérences de la politique. Résister intelligemment et raisonnablement aux injustices, aux dérives du désordre mondial, au nom de notre foi et de nos valeurs est légitime. C'est cela qui pose problème pour ceux qui cherchent à nous faire taire et à dominer le monde par tous les moyens. Reste à résister de même, sur le plan interne en rive Sud et à l'intérieur de nos communautés, à toutes les monstruosités, fermetures et usurpations qui nuisent à ce qu'elles croient défendre et ne sont que fanatisme et ignorance.

Que faire pour convaincre de l'importance du respect mutuel du droit à la différence ? Il ne faut pas désespérer, des autres et de la vie, et continuer plus que jamais à s'engager, sans angélisme, pour un ordre international ou les violences seraient grandement atténuées, le règlement des conflits possible et le droit à la différence respecté. Il est demandé de ne pas renoncer au bonheur, ni de se replier. Témoigner librement en toutes circonstances de notre foi, et du bonheur de l'amitié et de la fraternité dans la différence. Refuser le droit à la différence, c'est se retrouver en rupture avec les autres et avec les lois universelles.

Nous sommes dans une phase d'incertitude. Les menaces de violences racistes, de déshumanisation et de nouvelles sauvageries sont réelles. Cependant, les opportunités de bâtir une nouvelle civilisation universelle qui nous fait défaut existent aussi. Seuls le débat, le dialogue, la rencontre pour s'éclairer mutuellement, négocier et fixer des règles communes valables pour tous, est le chemin privilégié. Il ne peut y avoir de paix sans justice. La loi du plus fort, la propagande du choc et la violence aveugle sont voués à l'échec, même si elles paraissent gagner du terrain et que les dégâts sont immenses. Malgré la peur, mauvaise conseillère, il est clair que si l'on persévère dans la prise de parole, et par là, que le dialogue s'instaure, les peuples de par le monde refuseront, à la fois, de s'inventer des ennemis, la confrontation nuisible pour tous et les combats d'arrière garde. Ils croient encore aux vertus du vivre ensemble, au vu des défis communs et ils ne sont pas dupes, malgré les moyens sans précédent de désinformation et de diversion pour les détourner. Cependant, pour pouvoir peser et affronter avec raison, justesse et conséquence les défis, seuls l'examen de conscience, le dialogue et la démocratie, pour mettre un terme à l'absurde de la haine, sont la solution.

Mustapha Chérif est un penseur algérien, auteur notamment de Islam, tolérant ou intolérant ? aux éditions Odile Jacob, Paris.