Points de vue

Quand les soufis révélaient le café au monde

Rédigé par Seyfeddine Ben Mansour | Samedi 7 Septembre 2013 à 00:00



Une consommation modérée de café, soit entre 2 et 6 tasses par jour, réduirait les risques d’accidents cardio-vasculaires. C’est du moins ce que révèle dans son édition du 13 septembre 2011, l’American Journal of Epidemiology. Ces conclusions récentes ne sont pas sans rappeler ce qui fut à l’origine du café, de son statut de boisson universelle : la découverte par des Yéménites du XVIe siècle, mystiques soufis pour la plupart, des vertus toniques, mais aussi thérapeutiques des graines du caféier.

Les récits sont divers, et les attributions multiples. Le recours à une mythologie fantaisiste n’est pas même exclu. Ainsi Abû at-Tayyib al-Ghazzî, un auteur des XVIe-XVIIe siècles, attribue-t-il la découverte du café et de ses vertus au roi Salomon. Dans un récit dont on ne trouve nulle trace ni dans la Bible, ni dans le Coran, al-Ghazzî raconte que sur ordre de l’ange Gabriel, Salomon aurait grillé des graines de café « du Yémen » pour en faire un breuvage. Il l’aurait ensuite donné aux habitants d’une ville, qui auraient été ainsi tous guéris de la mystérieuse maladie dont ils étaient affligés…

Historiquement, c’est le juriste adh-Dhabhânî (m. 1470) qui, après un séjour en Ethiopie où il en constata les bienfaits, introduisit au Yémen l’usage du café. « Il constata, entre autres propriétés, rapporte ‘Abd al-Qâdir al-Jazîrî (vers 1558), que le café chassait la fatigue et la léthargie, et apportait au corps vivacité et vigueur. »

Deux autres personnages se sont vu attribuer le mérite d’avoir introduit le café au Yémen : Abû al-Hasan ‘Alî Ibn ‘Umar ash-Shâdhîlî (m. 1418) et Abû Bakr Ibn ‘Abd Allâh al-‘Aydarus (m. 1508). Le premier, membre de la célèbre confrérie soufie shâdhiliyya, devint lui-même un saint dans la ville de Mukhâ (qui a donné son nom à notre fameux moka) : le saint patron des qahwajiyya, « cultivateurs, bouilleurs et buveurs de café ».
Le second, soufi lui aussi, a composé une ôde (qasîda) au café, plante pour laquelle il vouait un véritable amour, et dont il recommandait la consommation à ses adeptes.

Le café, nouvelle eau de Zamzam

Malgré la diversité des récits, il demeure que l’introduction du café au Yémen (au milieu du XVe siècle) semble intimement lié à l’usage qui en était fait dans les milieux soufis, en tant que boisson facilitant l’accomplissement d’exercices pieux. Au point que certains n’ont pas hésité à y voir là sa destination primitive (mawdû‘ aslî).

Le café excitait au bien, et hâtait le ravissement mystique (fath). Le fait qu’on s’en servait dans une intention pieuse en faisait une bonne œuvre (tâ‘a). Pratiqué avec une intention et une piété sincères, l’usage du café allait jusqu’à procurer la jouissance de la qahwa ma‘nawiyya, de la « qahwa idéale », qui n’est rien moins, dans la littérature soufi, que « la jouissance que les gens de Dieu éprouvent en contemplant les mystères du monde secret et en obtenant de merveilleux aperçus et de grandes révélations ».

Ash-Shâdhîlî a été jusqu’à comparer le café à l’eau sacrée de Zamzam : l’une comme l’autre boisson, en effet, « sert (effectivement) au but pour lequel on la boit » (lima shuribat lahu). Enfin, un autre mystique, Ahmad Ibn ‘Alawî Bâ Jahdab (m. 1565), qui, dans ses dernières années n’aurait vécu que de café, a dit : « Celui qui meurt avec un peu de café dans le corps ne va pas en enfer. »

A partir du Yémen, l’usage du café va gagner La Mecque vers la fin du XVe siècle. On le consommera jusque dans la Mosquée sainte, où on le considérera comme un fortifiant du cœur pour le dhikr. Introduit en Egypte par des soufis yéménites au début du XVIe siècle, il gagnera de là Istanbul (1554), Londres (1652), Marseille (1671) et Paris (1672).

Première parution de cet article le 6 octobre 2011, dans Zaman

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