Société

Qu’est-ce que le féminisme musulman ?

Colloque à l'Unesco

Rédigé par Nora K. | Mardi 26 Septembre 2006 à 23:51

Lundi 18 et mardi 19 septembre 2006 s’est tenu à Paris au siège de l’UNESCO le colloque « Qu’est ce que le féminisme musulman ? ». Initiés par l'Association "Commission Islam et laïcité" en collaboration avec l'UNESCO, différentes intervenantes venant de différents pays s'y sont rencontrées pour débattre.



Le féminisme musulman, apparu dans les années 90, commence à s’étendre autour de débats, rencontre et analyse.

En octobre 2005, s’est tenu le premier congrès international du féminisme musulman à Barcelone, organisé par la Junta Islamica Catalan avec le soutien du Centre UNESCO de Catalogne. Militantes de terrain et intellectuels s’étaient pour la première fois rassemblés devant un public pour exposer leurs situations pour échanger leurs expériences, pour expliquer leur stratégie « Nous n’acceptons plus qu’on parle à notre place, qu’on décide de ce que nous pouvons faire ou pas ».

Et tout récemment s’est tenu à Paris au siège de l’UNESCO un colloque sur « Qu’est ce que le féminisme Musulmans ?». Françaises, Malaisiennes, Américaines, Marocaines…se sont donc réunies lundi 18 et mardi 19 septembre autour de cette question.


Dire que le féminisme est une idée occidentale qui ne peut concerner l’Islam révèle une grande ignorance

Margot Badran, chercheuse au centre Alwaleed bin talal for Muslim-Christian Understanding
« À l’aube du XXIe siècle, une population de femmes musulmanes instruites, éclairées et autonomes a émergé. Elles ont posé des questions fondamentales sur l’Islam, les femmes et leurs droits ; ces questions peuvent aider à concrétiser une justice fondée sur le genre, faire évoluer les lois musulmanes et permettre des sociétés musulmanes modernes et égalitaires », observe Valentine Moghadam, sociologue et chef de la section « Egalité des genres et développement » à l’UNESCO.

Elle est l’auteure d’une étude sur le féminisme islamique en Iran (Signs, 2002). En 1994, son ouvrage Identity Politics and Women : Cultural Reassertions and Feminisms in International Perspective était le premier à examiner les fondamentalismes de manière comparative et à travers les cultures.

« Dire que le féminisme est une idée occidentale qui ne peut concerner l’Islam révèle une grande ignorance ou sert à dénigrer l’Islam et les Musulmans », précise Margot Badran, chercheuse au centre Alwaleed bin talal for Muslim-Christian Understanding à l’Université de Georgetown.

Déconstruire ces schémas réducteurs de l’Islam

Alors qu’on pourrait penser que la religion musulmane est incompatible avec des valeurs défendues par certaines féministes, dans un discoure intitulé « Féminisme musulman, féminisme islamique ou féminisme en terre d’Islam : exemple du Maroc », Nouzha Guessous, souligne que même les féministes qui se disent laïques ont compris très tôt que le référentiel de l’Islam n’est en aucun cas en contradiction avec leurs revendications et qu’il est absolument indispensable pour l’aboutissement de leurs doléances.

Pour la membre de la Commission consultative chargée de la révision de la Moudawana au Maroc, l’aboutissement des revendications d’égalité et d’équité envers les femmes reste tributaire de l’ijtihad (effort d’interprétation religieuse) et de l’investissement du champ religieux.

Mme Gessous a mis l’accent sur la nécessité d’élaborer un projet de réforme global des sociétés musulmanes afin de déconstruire ces schémas réducteurs de l’Islam synonyme de violence ou djihad, affirmant que cette réforme est l’unique démarche pour le féminisme musulman ou les Musulmans féministes de contribuer efficacement à l’amélioration la situation des femmes dans le monde musulman et à la déconstruction de la diabolisation de l’Islam.

Croyante avant d’être féministe

Amina Wadud, professeure d'études islamiques aux Etats-Unis
Les féministes musulmanes réclament leur droit à l’ijtihad, tout comme le droit de mener la prière. C’est le cas d’Amina Wadud, Imam d’un jour, qui a prononcé la prière du vendredi devant une assemblée mixte, dans une salle du synode de la cathédrale Saint-John de New-York en mars 2005. Professeure d'études islamiques aux Etats-Unis et auteure de la première interprétation du Coran faite par une femme « Qur’an and Woman » se dit « croyante avant d’être féministe ».

Le débat a également porté sur l’interprétation du Coran par les femmes. Pour Asmaa Bekada, productrice des programmes de la chaîne Al Jazeera, « l’interprétation du Coran (tafsir coran al karim) est un champ ouvert aux hommes et aux femmes …à la seule condition de faire preuve de compétence, d’objectivité et de rigueur scientifique

À la question le féminisme peut-il être qualifié d’islamisme ? Mme Bekada dénonce que « le féminisme est essentiellement individuel alors que la solidarité homme-femme a pour but de protéger le droit de la famille et d’assurer l’harmonie du couple ».

« La richesse de ces journées ont permis de montrer qu’il y a une grande diversité, il y a des points de vue différents et en même temps une espèce de rencontre qui se fait entre les femmes qui utilisent le référentiel universel et les femmes qui apportent une priorité sur le référentiel musulman » a conclu Alain Gresh, un des particpants fondateur de la commission "islam et laïcité".

Et on pourrait se demander si définir un « féminisme musulman » ne suppose pas qu’il existe un autre féminisme, celui de l’occident par exemple ?

Rappelons que le colloque a vu l’absence de Nadia Yassine, qui a été déclarée persona non grata au siège de l’UNESCO à Paris. L’Unesco a précisé qu’elle a pour tradition de mener des consultations avec les pays d’origine des personnalités invitées. Celles-ci n’ont pu être menées dans le cas de Nadia Yassine.