Religions

'Petit voyage dans la vie du Prophète'

Rédigé par Assmaâ Rakho Mom | Mardi 17 Octobre 2006 à 15:50

13h00, Espace européen de Saint-Denis. Une cinquantaine de personnes se presse déjà devant l'entrée de la salle Scandinavie. Tariq Ramadan, qui doit y faire une conférence à partir de 13h30 ce samedi 14 octobre, n'arrivera qu'aux environs de 14h45. "Vous avez l'habitude je pense [du retard s'entend, ndlr]" lancera en riant le présentateur à l'assistance.



Attente

Vers 13h30, les organisateurs ouvrent les portes de la salle, et moyennant cinq euros, c'est un peu plus d'un millier de personnes qui vont s'y engouffrer.. En attendant l'arrivée de Tariq Ramadan, un jeune homme circule dans l'assistance et distribue aux femmes un questionnaire. Il souhaite sonder ces dernières au sujet des salons de coiffure et d'esthétique. "Avez-vous l'habitude de vous rendre dans un salon de coiffure ? A quelle fréquence ?" sont quelques-unes des questions auxquelles il souhaiterait que ces dames répondent. En toute fin de conférence, on le retrouvera posté à l'entrée de la salle, brandissant son questionnaire afin de récolter ceux auxquels mesdames auront daigné répondre. Les hommes de la sécurité quant à eux, s'acquittent de leur tâche. Et elle n'est pas toujours simple ! A l'avant de la salle, deux rangées de sièges sont réservées aux invités : il leur faudra le répéter inlassablement.

14h30. Après une brève lecture du Coran et un mot de bienvenue, la parole est donnée à Abdelaziz El Jaouhari, président du centre islamique Tawhid de Saint-Denis. Il fera une présentation succincte du centre et des développements à venir. Le journal Politis est menacé et en grandes difficultés financières, rappelleront ensuite les organisateurs, tout en appelant l'assistance à se mobiliser en faveur d'un hebdomadaire qui a su prendre des "positions courageuses".

Entre-temps, Tariq Ramadan s'est installé sur l'estrade. Et quand il prend enfin la parole, c'est pour exprimer d'emblée tout le "plaisir" qu'il a de se retrouver dans cette même salle où, une dizaine d’années auparavant, il avait pour habitude de donner des cours, "avec la possibilité de faire un petit voyage dans la vie du Prophète". Seul problème pour lui, et ce à chaque conférence qu'il donne depuis la sortie de son ouvrage consacré à la vie de Muhammad, "il y a tellement de choses à dire" que l'exercice se révèle "difficile car la vie du Prophète est riche" de faits et d'enseignements.

Pourquoi une énième biographie du Prophète ? Telle est la question qui revient souvent lors des entretiens qu'il accorde à la presse, raconte Tariq Ramadan. Lui préfère poser la question autrement. "En quoi cette vie nous parle ?" Car pour ce qui est des faits, il s'en est tenu "rigoureusement" à "toutes les traditions classiques" d'Ibn Hisham ou Ibn Ishaq. Au-delà du rapport aux faits, c'est une "méditation sur le sens spirituel et intellectuel" qu'il a souhaité mener. Et Tariq Ramadan de préciser que l'ouvrage a été entièrement "écrit dans le silence de l'aube".

« La meilleure introduction à l'islam passe par la lecture et l'étude de la vie du Prophète. Et on observe souvent ce hiatus chronologique consistant à commencer l'apprentissage de l'islam par la lecture du Coran, alors que pour comprendre le texte coranique et le contexte dans lequel il est révélé il faut auparavant connaître la vie du Prophète auquel il est révélé" rappellera par ailleurs Tariq Ramadan.


Islam

Puis il s'attardera sur le terme "islam", et comme à l'accoutumée, et avec l'éloquence qui est la sienne, il développera et explicitera le sens qu'il donne à ce mot, qui correspond à une "adhésion dans la quête de la paix". Mais pour vivre cette paix, quatre conditions impératives sont à respecter. "Première des conditions, la soumission à Dieu avec une attraction naturelle vers le sens (la fitra)" : tout en se soumettant à Dieu, l'être humain se pose naturellement des questions; il faut reconnaître qu'il existe des réponses à ces questions, et les chercher. "Deuxième des conditions, l'éducation à la paix, car l'être humain est perpétuellement en tension intérieure. On sait que le mensonge n'est pas bon mais on ment !" lance Tariq Ramadan. Pour arriver à la paix intérieure, il faut "avec conscience, prendre le contrôle de ses instincts". "Troisième condition, la justice, car comme dit très bien le dicton : "Pas de justice, pas de paix", ce qui est très vrai". Mais aussitôt, Tariq Ramadan précise le sens qu'il donne à ce terme de justice dans ce contexte : c'est par exemple la "justice avec l'esprit, qui passe par l'éducation, ou la justice avec le coeur, qui passe par l'affection, l'amour". "Enfin, troisième condition, la cohérence avec soi-même pour être en paix. Et la cohérence consiste à faire ce que l'on peut et surtout de faire ce que l'on dit." finalement, "l'islam c'est ça, martèlera Tariq Ramadan, aller vers la paix, avec toutes ces conditions".

"Cette façon de penser m'est venue au terme de tout ce voyage avec le Prophète" précisera-t-il.

Tout en revenant sur la vie du Prophète avant la Révélation, Tariq Ramadan insistera, surtout pour les convertis, sur le fait que "le passé avant l'islam n'est pas à oublier, mais à méditer". Il faut selon lui, savoir "faire du positif de ce qu'on a vécu dans le passé".

Nature

Autre temps fort de la conférence, celui durant lequel Tariq Ramadan insistera sur la proximité du Prophète avec la Nature, et ce bien avant la Révélation, puisque l’enfance de l’Envoyé s'est entièrement déroulée dans la désert, en compagnie de sa nourrice Halima. C'est "le premier Livre qui lui a été révélé". Et Tariq Ramadan de rappeler que le terme ayats, en arabe, ne signifie pas "versets" comme l'ont traduit "les orientalistes", mais plutôt "signes". Et ces signes apparaissent avant tout dans la Nature, celle-là même qui nous apprend que « Dieu est Bon, Généreux, avant de savoir qu'il est notre Juge" insistera Tariq Ramadan, reprochant par là aux parents de faire connaître Dieu aux enfants essentiellement en leur disant qu'Il les voit et les juge.

Le jeune homme assis près de Tariq Ramadan est censé gérer le temps. Et c'est tout naturellement qu'il glisse un petit papier au conférencier : il est temps de conclure ! "Déjà ! s’exclamera Tariq Ramadan, mais je viens à peine de commencer là, je suis parti pour trois heures encore !" Ce ne sera pas possible. Dans la soirée, il doit donner une autre conférence, à Bruxelles cette fois-ci. Place aux questions, "brèves si possible". L'une d'entre elles concernera le contexte dans lequel s'inscrit et est publié l'ouvrage : "Est-ce une réponse aux caricatures danoises ?" demande un jeune homme dans l'assistance. La réponse de l'auteur est négative : à la base, une chaîne de télévision britannique avait proposé à Tariq Ramadan de faire un film sur les enseignements de la vie du Prophète, mais les "autorisations et le visa de la part des autorités saoudiennes" n'ayant pas été accordés, l'idée d'un livre s'est peu à peu imposée, mais celui-ci "peut être vu comme une réponse aux caricatures".

« Je n’ai pas donné de consigne ! »

Un autre jeune homme se lève et demande à Tariq Ramadan ce qu’il pense de ceux qui parlent de hijra, c’est-à-dire d’exil, de partir s’installer dans un pays à majorité musulman. « J’en ai croisé beaucoup sur mon chemin qui souhaitaient partir et qui ne l’ont jamais fait, et d’autres qui sont partis et qui sont aussitôt revenus » répondra Tariq Ramadan avant de lancer : « Tout n’est pas gris en France ! » et de se retrouver à parler des élections à venir. Car à lui aussi, on pose souvent la question suivante : « Lui ou elle ? » « Attention à ne pas tomber dans le piège des sondages ! » martèle-t-il, tout en précisant bien, un sourire en coin : « Attention, je n’ai donné aucune consigne de vote ! »

La rencontre se finira par une séance de dédicace. Muhammad, vie du Prophète. Enseignements spirituels et contemporains, le dernier ouvrage de Tariq Ramadan, était vendu sur place. En fin de conférence, tout avait été vendu.