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Société

Patrick Klugman : avec Eric Zemmour, « une réécriture par l'extrême droite de l'histoire républicaine »

Les mots piégés du débat républicain

Rédigé par Pierre Henry | Jeudi 17 Février 2022 à 11:45

           

Après être revenu sur l'origine du mot « antisémitisme » et sa balade dans l'actualité, un intervenant nous aide à y voir encore plus clair. Patrick Klugman est avocat au barreau de Paris. Il fut également adjoint à la mairie de Paris, chargé des Relations internationales et de la Francophonie. Il s'est notamment illustré en défendant les parties civiles lors des procès des attentats commis par Mohamed Merah contre l'école juive Ozar Hatorah en 2012 et celui commis contre l'Hyper Casher en 2015.




Un sondage Ipsos de 2021 montrait que, pour 21 % des personnes interrogées, les Juifs avaient trop de pouvoir dans la finance, les médias ainsi que dans la politique. Comment expliquez-vous que de tels clichés subsistent encore aujourd'hui ?

Patrick Klugman : Ils subsistent parce qu'on est dans une époque qui est plus prompte que jamais aux amalgames, aux raccourcis et aux fantasmes. C'est ce qu'on appelle vulgairement le complotisme. La première ressource intellectuelle du complotisme, la plus ancienne, la plus vulgarisée, c'est le fantasme qui s'attaque à prêter aux juifs un pouvoir surnaturel ou extraordinaire, à être surreprésentés dans des domaines clés, à s'entendre au détriment d'autres, etc. Le cliché que vous me citez donc à travers ce sondage est le plus ancien cliché antisémite que l'on retrouve après sous différentes formes ou expressions politiques souvent peu amicales à l'endroit des Juifs.

Lire aussi : Je vais dire à tout le monde que tu es juif : aux sources de l’antijudaïsme et de l’antisémitisme en Orient et en Occident

Si on continue avec les sondages, plus d'un tiers des Français affirmait récemment ne pas savoir véritablement ce que représentait l'antisionisme. Autour de cette question, en apparait une autre. Comment pouvez-vous faire comprendre à ceux qui nous écoutent qu'il est possible de critiquer la politique du gouvernement israélien sans être accusé de manière systématique d'antisémitisme ?

Patrick Klugman : C'est une question très piégeuse et très piégée. Il faut l'entendre de trois manières pour faire simple. Le sionisme est un mouvement idéologique qui consiste à dire, selon l'expression originelle au 19e siècle, qu’il y a « un peuple sans terre pour une terre sans peuple ». Nous savons aujourd'hui que ce peuple n'était pas totalement sans terre, parce que les Juifs étaient disséminés dans beaucoup de pays à travers le monde, et qu'il y avait différentes populations, notamment ceux que l'on appellera plus tard les Palestiniens à cet endroit-là (dans l’actuel Etat d’Israël).

Il y a eu ce projet politique, le sionisme, qui a été formulé à la fin du 19e siècle et qui accouche d'un État, Israël, créé en 1948. Il y a toujours eu, parmi les Juifs et parmi d'autres, des gens qui sont radicalement opposés à ce projet politique qui est de donner un État aux juifs à cet endroit-là. C'est une position antisioniste, qui était à la base une position intellectuelle issue de la communauté juive disant « Non, on préfère l'intégration dans les sociétés occidentales à un projet propre au Moyen-Orient ». C'est un débat au sein des communautés juives. Depuis ce débat est, me semble-t-il, largement dépassé puisque l’État d'Israël est une réalité politique. La politique de cet État est contestée tous les jours, en premier lieu par sa population. Parce que, quoi qu'on dise ou qu'on pense de l'État d'Israël, le système démocratique politique fonctionne à peu près bien avec des élections très régulières. C'est même une démocratie qui connaît le plus échéances électorales. Donc, la critique se fait et s'opère dans les médias très facilement, et parmi la population israélienne.

Donc il y a la possibilité de critiquer l’État, la politique de l’État d'Israël ?

Patrick Klugman : Il y a même au Parlement israélien, à la Knesset, des députés communistes ou des députés arabes qui sont sur une ligne antisioniste. On a quand même ce système politique là-bas qui a cette originalité.

Là où les choses sont un peu différentes, c'est qu'après la Seconde Guerre mondiale, après la Shoah, l'antisémitisme, notamment dans nos pays, en France, est devenu une abomination. Même les gens qui ont de forts ressentiments à l'endroit des juifs n'osent plus l'exprimer en tant que tels. Souvent donc, on a vu une opinion radicale ou haineuse à l'endroit des juifs, de leur communauté ou de ce qui est leurs symboles, des synagogues, des lieux de vie, des établissements juifs, s’exprimer en disant « Mais non fait, on n'est pas antisémite, on est antisioniste ». C'est là où la confusion s'opère, parce quen dès lors qu'on attaque des juifs en France par une prétendue ou réelle détestation de l’État d'Israël, on est bien dans l'antisémitisme. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas un antisionisme qui soit intellectuel, géopolitique, et qui ne soit pas antisémite. Mais on voit quand même que la plupart des manifestations antisémites sont sous couvert d'antisionisme. Il faut distinguer les mots, les concepts et leur application.

NDLR : Patrick Klugman fait partie des signataires d’une pétition dénonçant le récent rapport d’Amnesty International accusant Israël d’avoir mis en place « un système d’apartheid ». Une accusation aussi portée par l'ONG israélienne B'Tselem.

On voit aujourd'hui l'émergence d'un personnage, Eric Zemmour, qui réhabilite Pétain, minimise la réalité de la participation du régime de Vichy aux déportations de Juifs et contribue à la banalisation de l'antisémitisme d'extrême droite. Comment peut-on faire pour contrer ce genre de discours ?

Patrick Klugman : Là, on est quand même au milieu d'un cauchemar parfait que même Philip Roth ou Woody Allen, qui ont beaucoup écrit sur la forme parodique ou exagérée, n'auraient pas imaginé. On a un prétendu historien, parce que Eric Zemmour est un essayiste ou un pamphlétaire qui se prétend historien, d'origine juive, qui se dit juif, qui va même à la synagogue et qui vient réécrire les épisodes les plus tragiques, les plus constatés de l'antisémitisme en France. C'est donc le seul homme public qui dise que l'on n'est pas sûr que Dreyfus était bien innocent. Il va effectivement revenir sur la responsabilité notoire du maréchal Pétain dans la politique de persécution et d'extermination des Juifs du régime de Vichy, en disant que « Pétain a protégé les juifs français », ce qui est une abomination.

Eric Zemmour nie également la réalité même des crimes commis le 17 octobre 1961…

Patrick Klugman : En fait, Eric Zemmour a une cohérence. Il est passionnément d'extrême droite, donc il reprend tous les épisodes tragiques, affreux de notre histoire, qui ont été marqués par l'extrême droite. En l’occurrence, le 17 octobre 1961, l'extrême droite n’était pas au pouvoir. C'est le préfet Papon, qui s'était illustré sous Vichy, qui va jeter des opposants algériens qui manifestent dans la Seine. C'est quand même un crime de masse, un massacre qui n'a jamais été jugé. Et encore une fois, Eric Zemmour vient nous dire « Bah non en fait… ». Je ne sais même pas ce qu'il raconte, mais c'est toujours la même histoire. Ce qui est grave ne l'est plus. Ce qui est épouvantable a des raisons d'être.

En fait, il réécrit tout simplement l'histoire d'une manière anti-républicaine. Quelle que soit son origine, c'est un homme d'extrême droite qui réécrit l'histoire de France à la manière de l'extrême droite, alors que l'extrême droite française est dans une époque de dédiabolisation. Lui il re-diabolise à l'extrême, en disant que « c'était bien comme on vous l'a expliqué, sauf qu'on avait bien raison de le faire comme ça ». C'est une réécriture, tout simplement par l'extrême droite, de l'histoire républicaine.

*****
Pierre Henry est le président de l’association France Fraternités, à l’initiative de la série « Les mots piégés du débat républicain », disponible également en podcast sur Beur FM.

Voir aussi les vidéos de La Casa del Hikma :

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Réagissez ! A vous la parole.

1.Posté par francois.carmignola@gmx.com le 17/02/2022 19:39 | Alerter
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Les accusations portées ici contre Eric Zemmour sont injustes,et marquées par un combat politique légitime en lui-même, mais qui ne doit pas mettre en cause la vérité concernant les écrits et déclarations d'Eric Zemmour.

1) Au sujet de Dreyfus, Zemmour ne remet pas en cause son innocence mais l'appéciation univoque qu'on en a aujourd'hui. A l'époque, un débat avait lieu et l'évidence était que Dreyfus était coupable... Le faire remarquer n'est pas du révisionnisme qui n'est absolument pas revendiqué. L'affirmer est un mensonge.

2) L'affaire du 17 Octobre 1961 est elle parfaitement discutable, et discutée: on rappellera que comme le fait Wikipedia, aucun mort ne fut amené à la morgue de Paris cette nuit-là. Le terme de "massacre" utilisé pour des raisons parfaitement politiques encore aujourd'hui est tout à fait exagéré et permet de minimiser une autre réalité: les dizaines de policiers français assassinés les mois précédents par le FLN en France et bien sûr les 4000 morts du MNA assassinés par le FLN en France même également.

3) Zemmour ne réhabilite pas du tout Pétain, il mentionne des évidences indiscutées au sujet de la survie très supérieure des juifs français par rapport aux juifs étrangers, donnés de préférence aux nazis par Laval pour satisfaire une opinion qui se retournait... Cela pratiquement dans les termes d'un historien par ailleurs Rabbin, Alain Michel, et même de Raul Hilberg lui-même, le grand historien de la Shoah ...

La réalité est que dans des écrits de ...  

2.Posté par Abdoulaye le 18/02/2022 11:54 | Alerter
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@francois. Triste blabla de votre part pour nier l'évidence. Zemmour est un imposteur qui a trouvé un bon créneau pour sa petite entreprise.
Ses prises de position sont autant de provocations haineuses et extrêmement dangereuse pour notre pays. On pourrait intituler l'ensemble de son œuvre"Concerto pour détourner sur des polémiques stériles les vrais problèmes de notre temps"

3.Posté par francois.carmignola@gmx.com le 19/02/2022 18:04 | Alerter
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@abdoulaye Je m'étais efforcé de contextualiser et d'argumenter, vous préférez insulter et dénoncer sans raisons, sans comprendre et sans vous informer, ni d'ailleurs sans discuter.
Le qualificatif de "haineux" que vous attribuez sans raisons ne s'applique pas à Zemmour, par ailleurs, mais bien plutôt à vous, hélas.
Et en plus, vous prétendez détenir la vérité sur les "vrais problèmes de notre temps". Je crois donc au contraire que ce n'est pas le cas, la preuve.

4.Posté par Abdoulaye le 20/02/2022 19:52 | Alerter
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@francois Tout d'abord, si moi je suis insultant dans mes propos, alors que dire de votre idole qui d'ailleurs propose de rayer de la loi les injures, super on pourra encore plus s'envoyer des noms d'oiseaux..
Oui Zemmour détourne l'attention sur de faux problèmes : l'immigration ou l'islam, alors que les problèmes réels qui sont devant nous: le dérèglement climatique, la désindustrialisation de la France, le logement, la santé, les discriminations, la sécurité, ne sont traités que par des mesures ridicules et obsolètes.
Votre candidat propose une seule mesure qui me paraît utile: la vraie perpétuité pour les meurtres les plus graves. Pour le reste, c'est un ramassis de fumisterie, souvent inconstitutionnelles, et toujours dangereuses pour le pays et sa cohésion..

5.Posté par francois.carmignola@gmx.com le 23/02/2022 08:57 | Alerter
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@abdoulaye, voilà qui est une discussion plus policée et plus politique...

On peut donc discuter, mais je suis surpris que vous ne mentionnez pas l'éducation, à laquelle Eric Zemmour porte une attention spéciale... Suppression du collège unique et du pédagogisme en vigueur depuis 30 ans, cela est une réforme majeure et qui veut adresser la terrible question de l'effondrement du niveau scolaire Français dans les comparaisons internationales.

La désindustrialisation est prise en charge fiscalement et la question des impôts de production enfin sérieusement considérée (en tout cas en valeur la parité avec le reste de l'Europe, soit 3 plus que ne vient de le faire le gouvernement), avec une volonté de réduire les normes en général, dont vous savez qu'elles ont été systématiquement renforcées par rapport aux normes européennes elles mêmes, affectant ainsi notre compétitivité à l'intérieur même de l'Europe. Enfin la question agricole est considérée, vous savez que la France sera en déficit sur toute la filière l'année prochaine.

Pour finir la relance énergique du nucléaire, plus celle de la surgénération (abandonnée récemment) est à l'ordre du jour. La question est d'importance, la France désinvestit massivement le sujet depuis dix ans, la récente conversion du président Macron étant hautement non crédible.

Je crois donc au contraire que les vrais problèmes sont abordés, enfin. Sur tous les domaines mentionnés, handicaps majeurs de la France et cause de son déclin économique, rie...  

6.Posté par Rond LEDARON le 15/03/2022 06:37 | Alerter
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Au delà des questions historiques que l'on peut appréhender sous différents angles se pose la question sous-jacente d'un fond idéologique putréfié par un ressentiment personnel que ce personnage exhale au tout venant.Le pire étant qu'il rencontre chez certains, un feed-back positif peu propice à la réflexion .


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