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Sur le vif

Pakistan : les lois anti-blasphème étendues malgré leur utilisation frauduleuse

Rédigé par Lionel Lemonier | Lundi 30 Janvier 2023 à 08:00

           


Pakistan : les lois anti-blasphème étendues malgré leur utilisation frauduleuse
L'Assemblée nationale du Pakistan a voté le 17 janvier un amendement renforçant la législation déjà très stricte pénalisant le blasphème. La justice pakistanaise peut déjà condamner à mort toute personne poursuivie pour offense à l’islam ou au Prophète Muhammad. Il lui sera aussi bientôt possible de punir quiconque sera accusé d’avoir insulté une personne en lien avec le Messager de l’islam, à savoir ses femmes, ses compagnons et ses proches. La peine pourra aller jusqu'à 10 ans de prison et 1 million de roupies d’amende (3 700 euros), rapporte le New York Times. En outre, les personnes accusées de blasphème ne pourront plus bénéficier d'une libération sous caution en attendant leur procès.

Cette évolution législative, qui attend d'être approuvée par le Sénat avant sa promulgation, n’est pas sans inquiéter les défenseurs des droits humains, alors que les lois anti-blasphème sont fréquemment utilisées pour régler des comptes personnels ou persécuter des minorités religieuses. Dans une société pakistanaise devenue plus conservatrice ces dernières années, il n'est d'ailleurs pas rare de voir les personnes accusées de blasphème être les cibles d’une foule en colère qui les torture ou les tue avant même que l’affaire soit jugée légalement, comme ce fut tristement le cas avec la mort d'un ressortissant sri-lankais fin 2021.

« Cette nouvelle législation est très inquiétante », indique Saroop Ijaz, responsable de Human Rights Watch en Asie. « Les lois pakistanaises ont permis et encouragé les discriminations et les persécutions depuis des dizaines d’années. Et ce, au nom de la religion. »

Un ancien président et les oulémas en défense d'une chrétienne

Dans nombre de cas, la plus emblématique étant l'affaire Asia Bibi, les accusations avaient pour réels motifs des inimitiés personnelles. Dernière affaire en date, la mésaventure vécue début janvier par Samina Mushtaq, responsable d’un service douanier de l’Autorité de l’aviation civile (CAA) à l’aéroport de Karachi.

De confession chrétienne, cette veuve et mère de quatre enfants s’est opposée à l’entrée d’un véhicule non autorisé dans l’espace de déchargement pour marchandises. Cette intervention a rendu furieux un collègue qui l’a menacé de l’accuser de blasphème si elle ne donnait pas son autorisation. « Muhammad Salim m’a hurlé qu’il appellerait les autorités religieuses et qu’il me lacèrerait de coups de couteau si je n’acceptais pas sa demande », a-t-elle déclaré.

Fort heureusement, Samina Mushtaq avait pris la précaution d’enregistrer cet échange pour garder la preuve de son innocence. Sur la vidéo, lorsque son collègue la menace de blasphème, elle lui réplique qu’il « est libre d’accuser une chrétienne de blasphème devant la justice, mais qu’au fond, c’est lui qui se montre irrespectueux envers sa religion en se comportant de la sorte ». Elle a partagé sur un réseau social sa vidéo qui, selon la presse pakistanaise, est devenue virale.

L'homme a depuis été suspendu de la CAA. L’ancien président de la République, Asif Ali Zardari, a exigé qu’une enquête soit ouverte pour faire toute la lumière sur ce « dangereux précédent concernant des accusations de blasphème ». Il a également demandé au gouvernement et aux autorités locales de prendre des mesures pour assurer la sécurité de Samina Mushtag.

De même, des responsables religieux ont apporté leur soutien à la veuve. Allama Ziaullah, le président du Conseil des oulémas du Pakistan, a rencontré Samina Mushtaq et l’a assuré de son soutien « sur les plans religieux et juridique ». « Si elle souhaite ester en justice et déposer un premier rapport de l’incident contre le représentant de la CAA, nous la soutiendrons pleinement durant l’enquête et devant la justice », a-t-il déclaré. Un appui considérable pour Samina Mushtaq qui aurait pu vivre un autre destin, plus funeste, si elle n'avait pas eu le réflexe de filmer et de diffuser la vidéo l'innocentant.

Voir aussi la vidéo de La Casa del Hikma : Le blasphème, un pousse-au-crime légitimé par l’islam ?

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