Sur le vif

Pakistan : la chrétienne Asia Bibi blanchie des accusations de blasphème par la Cour suprême

Rédigé par Benjamin Andria | Mercredi 31 Octobre 2018 à 15:49



La Cour suprême du Pakistan a acquitté, mercredi 31 octobre, en appel Asia Bibi, une chrétienne condamnée à mort pour « blasphème » en 2010 après une dispute avec des musulmanes au sujet d'un verre d'eau. Cette mère de famille avait alors été accusée d'avoir insulté le Prophète Muhammad, ce qu'elle a toujours nié.

Neuf ans après son incarcération, « elle a été acquittée de toutes les accusations », a déclaré le juge Saqib Nisar lors de l'énoncé du verdict mercredi matin, ajoutant que Mme Bibi, qui se trouve actuellement incarcérée dans une prison à Multan (centre), allait être libérée « immédiatement ». « Je ne vois aucune remarque désobligeante envers le Coran dans le rapport d’enquête », avait observé ce même juge lors de l’examen du recours d'Asia Bibi début octobre.

« Justice a été rendue, c'est une victoire pour Asia Bibi. Le verdict montre que les pauvres, les minorités et la fraction la plus modeste de la société peuvent obtenir justice dans ce pays en dépit de ses défauts », s’est félicité son avocat, qui a précisé que sa libération pourrait tout de même prendre plusieurs jours en raison de procédures administratives.

« Avez-vous entendu que vous êtes un être humain libre à présent ? Vous pouvez prendre votre envol et aller où vous voulez », a-t-il aussitôt annoncé par téléphone à Asia Bibi, en présence d'un journaliste de l'AFP.

Asia Bibi va devoir fuir le Pakistan

Des manifestations à l'appel de groupes fondamentalistes ont aussitôt éclaté à travers le pays pour dénoncer le verdict. « Asia ne peut pas rester (au Pakistan) avec la loi » sur le blasphème, avait estimé son mari Ashiq Masih, accueilli à Londres par l'ONG catholique Aide à l'Église en détresse (AED), pour qui les magistrats « ont pris une décision juste et rationnelle qui met fin à un trop long drame judiciaire », et ce « malgré la pression exercée par les groupes fondamentalistes ».

« Pour autant, Asia Bibi et ses proches sont en danger de mort. Ils vont devoir fuir leur pays car de simples allégations de blasphème suffisent à motiver des lynchages », a souligné l'AED. Un ancien gouverneur du Pendjab, Salman Taseer, qui avait pris la défense d'Asia Bibi, avait été abattu en plein coeur d'Islamabad en 2011 par son propre garde du corps.

Mise à jour vendredi 2 novembre : Trois jour après l'acquittement d'Asia Bibi, les manifestations se poursuivent à travers le Pakistan pour dénoncer sa libération. De grands axes routiers ont été bloqués et plusieurs villes paralysées par des rassemblements massifs à l'appel de partis religieux fondamentalistes.

L'armée a prévenu vendredi que sa « patience » avait des limites après qu'un des chefs de file des manifestants ait appelé au meurtre de juges de la Cour suprême et à la mutinerie dans l'armée. « Nous tolérons des remarques contre nous, mais des actions peuvent être prises conformément à la loi et à la Constitution. (...) Ne nous forcez pas à entrer en action », a fait savoir le porte-parole de l'armée. Le Premier ministre Imran Khan a appelé dès mercredi au respect du verdict de la Cour suprême et a appelé ses concitoyens à « ne pas céder » aux extrémistes car ils le font « pour leur propre intérêt politique » et « ne rendent pas service à l'islam ».

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