Religions

« Mon but : être un ambassadeur de l’institution militaire »

Rédigé par | Mardi 8 Septembre 2009 à 07:30

L’aumônerie du culte musulman à la gendarmerie nationale a désormais un visage : celui de Samir Benhebri,* 32 ans. C’est dans son bureau, au fort de Charenton, à Maisons-Alfort, dans le Val de Marne, que l’aumônier nous reçoit pour expliquer son parcours, son engagement et ses projets.




Comment êtes-vous arrivé à devenir aumônier pour la gendarmerie ?

Samir Benhebri : J’étais loin d’imaginer, il y a un an et demi, que je serai officier de l’État français, dans une telle position historique. Je préparais mes concours d’inspecteur des douanes, des impôts et du Trésor public, que je préparais activement jusqu’au jour où j’ai rencontré mon chef actuel, Abdelkader Arbi, en 2007. Je le connaissais déjà, mais on s’était perdu de vue. Il m’a annoncé avoir été nommé au poste d’aumônier général de l’armée française un an plus tôt. On s’est échangé nos numéros.

Alors que j’étais en pleine révision, il me rappelle fin 2007 pour me présenter le métier d’aumônier, dont je ne connaissais rien. Il avait besoin d’un adjoint. C’est là qu’il m’a proposé le poste. J’ai réfléchi pendant un mois avant de rendre ma décision que je ne regrette pas.

Pour parfaire votre formation, vous avez intégré l’Institut catholique de Paris (ICP). Quel regard portez-vous ?

S. B. : Avant mon intégration, j’ai d’abord eu quelques frustrations. Tous, rabbins, prêtres et pasteurs, peuvent aller à l’université, à côté de leur formation théologique, pour un master ou un doctorat, alors que ce n’est pas le cas pour les cadres cultuels musulmans. S’ils se déclarent comme tels au moment de leur inscription, ils ne sont pas acceptés. L’université de la Sorbonne et Paris-VIII m’ont refusé sous couvert de défense de la laïcité. La volonté politique de l’État s’est trouvée mise à mal, puisqu’il n’arrivait pas à nous trouver de partenaire public. Mais il n’a pas lâché prise et s’est tourné vers le privé.

La seule université capable de nous délivrer une formation de qualité a été l’ICP. J’en garde un très bon souvenir, puisque j’en suis ressorti major de la promotion.

Comment avez-vous été accueilli à votre arrivée au poste ?

S. B. : Vraiment très bien. J’ai eu beaucoup de messages de soutien de la part de tous les militaires musulmans, qui m’ont inondé de mails, de lettres, de coups de téléphone, de visites. Mais les messages de félicitations venant de gendarmes non musulmans et du commandement m’ont particulièrement touché.

Je pense que la gendarmerie est une véritable institution qui prône l’éclectisme, le courage et l’engagement, un terme qui correspond parfaitement à la structure de l’esprit du croyant : engagé envers Dieu et envers l’autre.

Quelles sont vos tâches au quotidien ?

S. B. : J’apporte aux militaires qui viennent me voir un soutien spirituel et religieux. Ils viennent me voir pour toutes sortes de raisons, d’ordre familial par exemple : relations conflictuelles avec des parents ; éloignement physique avec la famille apportant un déséquilibre affectif ; conflits au travail qui sont d’ordre religieux ou non.

Une personne m’a demandé si elle pouvait porter le hijab pendant le service. Je lui ai répondu négativement, car le service public stipule qu’elle ne peut avoir un signe d’appartenance religieuse. Certes, je porte un képi avec le croissant islamique, mais ma fonction est purement religieuse.

Occupez-vous la fonction d’imam en parallèle de l’aumônerie ?

S. B. : Sémantiquement, un imam est une personne qui est devant pour guider la prière. Me concernant, je suis aumônier du culte musulman par statut tout comme mes homologues catholiques, protestants et israélites. Par analogie, je suis imam, car les autres aumôniers ont une fonction de prêtre, de pasteur ou de rabbin ; à partir du moment où je suis amené à guider la prière, je suis imam, comme n’importe qui peut l’être, car il n’a pas de statut juridique défini.

Y aurait-il une question liée à l’islam qui est un sujet de débats au sein de la gendarmerie ?

S. B. : Il n’y a rien, c’est tout le paradoxe. Au sein des cursus de formation, il existe des modules de formation dans lesquels sont intégrés des cours sur la diversité religieuse, sur le respect des libertés publiques. La situation était ici tout à fait banalisée, car les musulmans sont présents depuis longtemps. On les recrute non pas en fonction de leur religion mais de leurs compétences. C’est plutôt à l’extérieur que l’on perçoit ma nomination comme un exploit… Les militaires ne m’ont pas attendu pour faire leurs preuves.

Trouvez-vous que les choses ont changé depuis votre arrivée ?

S. B. : Absolument. Cette nouvelle a renforcé l’image de la gendarmerie. C’est un exercice périlleux, car la question de l’islam est minée. Elle est généralement perçue sous un angle sécuritaire, puisqu’on l’envisage seulement comme une capacité à nuire la sécurité publique.

Ma nomination prouve le contraire et participe à un mouvement de société qui va vers une meilleure compréhension de la religion musulmane.

Quels sont vos projets en préparation dans votre service ?

S. B. : J’organise des repas de rupture du jeûne pour le Ramadan, l’iftar, avec le commandement. J’inviterai donc l’état-major avec des colonels, des commandants et les militaires, musulmans ou pas, le but étant de montrer que l’islam est une religion de partage.

En même temps, on se sert de ce moment comme vertu pédagogique pour expliquer pourquoi nous nous privons du matin au soir car, même si la culture du respect de l’autre est là, beaucoup ne savent rien de l’islam, surtout en cette période où l’image des médias envers les musulmans est négative. Mon travail est de la déconstruire.

Vous projetez d’organiser le pèlerinage, le hajj, pour bientôt ?

S. B. : C’est le projet le plus important. Il est prévu pour 2011, voire 2010. On essayera d’affréter deux avions de 220 places chacun. Actuellement, les militaires partent avec des agences de voyages civils, dont beaucoup sont défaillantes. Je souhaite qu’ils et leurs familles puissent bénéficier du soutien de l’aumônerie et donc du ministère pour que le protocole soit pensé en amont.

Je rappelle que l’État ne peut financer, au nom de la laïcité, le hajj ; de toute façon, religieusement parlant, c’est au pèlerin de payer le voyage. Nous partons bientôt repérer les infrastructures qui offriraient la possibilité, tout au long de l’année, aux militaires et à leurs proches d’effectuer le petit pèlerinage, la ‘umra. L’état-major des armées a été particulièrement favorable à cette idée.

Un jour, ce sera à vous de choisir des aumôniers locaux pour la gendarmerie…

S. B. : Exactement, mais pour l’instant ce n’est pas d’actualité car c’est tout nouveau. Mais j’espère que les effectifs augmenteront bientôt.

Quel message souhaitez-vous faire passer ?

S. B. : Mon message est celui de ma religion, celui de concourir à une vie commune de paix et d’engagement pour la justice. Pour cela, nous devons en apprendre davantage sur notre religion et je suis convaincu que c’est par la laïcité, telle qu’elle existe en France, que va émerger un islam qui soit à la hauteur de sa grandeur perdue.

Les musulmans de France doivent se débarrasser de ce syndrome dichotomique qui relève des cultures maghrébine et subsaharienne et qui sont loin des principes lumineux de l’islam. Ils doivent aussi se définir comme des citoyens à part entière. Une fois ce syndrome résolu, nous serons de vrais moteurs pour la société. La France est une chance pour les musulmans mais nous sommes aussi une chance pour elle.

*L'identité de l'aumônier national du culte musulman de la gendarmerie nationale a été modifiée.


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Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur