Religions

Mohamed Bechari revient en douce au CFCM

Sur un coup de « Qui perd gagne »

Rédigé par Amara BAMBA | Mercredi 22 Février 2006 à 03:45

Grosse agitation au Conseil français du culte musulman (CFCM): Mohamed Bechari retrouve son poste au Bureau exécutif. Alors que l'on croyait l'ère Bechari révolue, le président de la Fédération nationale des musulmans de France renaît de ses cendres. Il sera présent au Conseil d'administration prévu samedi 25 février 2006. Le bureau du CFCM est convoqué le jeudi 23 février pour s'y préparer.



Le premier mandat du CFCM fut celui des démissions. Démission réussie avec Dounia Bouzar, démission ratée avec Fouad Alaoui mais aussi des démissions simulées avec Dalil Boubakeur. Huit mois après son installation, le deuxième mandat du CFCM est parti pour être le mandat des évictions.


Les Conseils régionaux évincent

Le samedi 18 février 2006, le Conseil régional du culte musulman (CRCM) d'Asace a « reconduit » M. Soufari Ben Abdallah à la tête de son CA. Cette décision qui signerait l'éviction officielle de M. Latahy Mohamed, précédemment élu le 27 juin 2005 mais contesté dans sa fonction, intervient dans une certaine confusion. Car M. Latahy revendique toujours le titre de « président démocratiquement élu ». Une semaine plus tôt, c'était M. Abderahim Berkaoui qui était évincé de la tête du CRCM du Languedoc-Roussillon et remplacé par M. Tahri Lhossine. Depuis un moment, M. Berkaoui était contesté des membres du conseil qui lui reprochaient sa méthode de direction et certaines déclarations dans la presse. Quelques semaines auparavant, c'est au sein même du Bureau exécutif du CFCM que l'on avait assisté à l'éviction de M. Abdellah Boussouf, vice-président du CFCM.

M. Latahy, M. Berkaoui et M. Boussouf sont trois opposants au clan Bechari. Leurs évictions marquent le dénouement d'un feuilleton politico-judiciaire en trois épisodes.

Premier épisode

Il commence par la victoire de la FNMF aux premières élections du CFCM en 2003. La fédération dirigée par M. Bechari venait de gagner en visibilité, mais elle avait un handicap de taille. Très ancrée dans les mosquées mais trop absente du terrain associatif, la FNMF avait le bon profil pour gagner les élections. Le règlement électoral qui ne prenait en compte que les mosquées, était donc à son avantage. Mais cette visibilité soudaine intensifia le vent de contestation qui soufflait au sein du mouvement contre la personne de son président.

M. Bechari prône aujourd'hui « un islam de France; un islam d'ici, diversifié et libéré de l'emprise des chancelleries étrangères ». Mais lorsque la FNMF n'était qu'une structure sans visage, M. Bechari a joué de sa fibre marocaine pour asseoire sa légitimité à la tête de sa fédération. Plus jeune que ses pairs du CFCM et habile stratège politique, Mohamed Bechari s'est trouvé au bon endroit au bon moment. Et d'aucun lui prédisait un brillant avenir depuis l'affaire des otages à Bagdad. A cette occasion, il s'était retrouvé au devant de la scène.

C'est suite à un remaniement ministériel à Rabat, que M. Bechari aurait perdu ses entrées au consulat marocain en France. Ses adversaires sont proches de Ahmed Tawfik, le nouveau ministre marocain des Affaires religieuses. Et ils entendent reprendre le contrôle d'une fédération devenue viable. Ils ne s'en cachent pas, surtout depuis l'échec du « clan marocain » au Conseil exécutif des musulmans en Belgique en mai 2005. D'où le refus de voir M. Bechari conduire la liste de la FNMF lors des élections du CFCM en juin 2005.

Abdellah Boussouf vient à l'aide

Qu'à cela ne tienne ! La FNMF s'est trouvée un nouveau leader. Mohamed Bechari est alors écarté de la compétition au CFCM et M. Abdellah Boussouf, recteur de la mosquée de Strasbourg, est appelé à la rescousse. A peine remis d'une longue période d'ennuis de santé, suite à un accident de la route, M. Boussouf répond aux sollicitations qui lui sont adressées. En juin 2005, c'est lui qui mène les listes de la FNMF à la victoire. Il devient naturellement Vice-président du CFCM au poste qu'occupait M. Bechari dans le bureau sortant.

Homme de terrain, reconnu pour la qualité de son travail en Alzace, Abdellah Boussouf bénéficie du soutien des mosquées et de la bienveillance des autres fédérations. Dans un entretien qu'il accorde à notre confrère Sezame, il ne cache pas ses affinités avec le Maroc. S'il est apprécié à la FNMF, il n'en est pourtant pas membre. Le réseau de ses soutiens embrasse la mouvance de l'Association des étudiants islamiques en France (AEIF) dont il fut un des dirigeants. Et l'AEIF est membre fondateur de la FNMF.

Fort de sa légitimité électorale et de ses soutiens variés, M. Boussouf apparaît alors comme l'homme fort capable d'impulser une dynamique nouvelle, un autre visage, au CFCM. C'est sur cette impression que s'achève le premier épisode du feuilleton de la représentation de la FNMF au CFCM: finies les tribulations et place au travail.

Bechari perd et gagne 

Un conflit interne éclate alors à la tête de la FNMF. M. Chérif N'diay, secrétaire général de la FNMF, porte plainte contre son propre président. Il remet en question la procédure d'élargissement du Conseil d'administration de la FNMF qui a permis l'arrivée d'une équipe nouvelle dans les affaires de la FNMF. Devant le tribunal de grande instance de Saint-Etienne, il obtient gain de cause le 8 juillet 2005. La fédération de M. Bechari est ainsi condamnée pour « dysfonctionnement grâve ». En somme, le juge ordonne à la FNMF de revenir sur l'arrangement stratégique qui lui a permis de gagner les élections de juin 2005. L'importance de cette décision de justice, en pleine période de vacances, échappe au clan anti-Béchari qui ne semble pas en tenir compte jusqu'au mois de novembre.

Plutôt satisfait de ce coup de théâtre judiciaire qui lui redonne les rennes de son mouvement, M. Bechari peut en toute légalité s'autodésigner représentant de la FNMF au bureau du CFCM. Il ne s'en prive pas. Abdallah Boussouf est évincé. Il parle de « putsch concocté par les minorités ». Lors de la réunion du bureau tenue le 16 février dernier, M. Boussouf d'ordinaire posé, est entré dans une colère noire contre ce qu'il considère comme une manipulation organisée pour lui voler sa victoire électorale. D'autres interlocuteurs nous qualifient la situtaion de « supercherie planifiée qui donne un poste électorale à une personne qui ne s'est même pas présentée aux élections». M. Bechari se défend: «  je n'ai pas le choix, dit-il, je dois obéir à la décision du juge. »

Visiblement mal à son aise, le bureau exécutif présidé par le Cheikh Dalil Boubakeur, n'a pas plus le choix. Dans un communiqué diffusé le 9 janvier 2006, il annonce ses recommandations pour la fête de l'Aïd el-Kébir et glisse la nouvelle liste des membres de Conseil d'administration en fin de communiqué. Le deuxième épisode de la participation de la FNMF au CFCM se termine ainsi sur une victoire du clan Bechari. Mais l'opposition a senti le vent tourner. Elle a pris des dispositions. Elle a créé le Rassemblement des élus du CFCM, le Rec. Il tient le rôle principal dans le troisième épisode du feuilleton.

La démocratie de mosquées

Présidé par deux opposants au clan Bechari, M. Abderrahim Berkaoui et M. Abdellah Boussouf, le Rec est créé le 1er décembre 2005. Ses membres estiment que « les attentes des musulmans de France, ainsi que l'ensemble de la communauté nationale, sont de plus en plus grandes » par rapport aux CFCM. D'où la nécessité d'un « rassemblement, le plus large possible au delà des clivages habituels » qui rendent le CFCM aujourd'hui inactif. Cette nouvelle association « rassemble les élus (ndr, du CFCM) qui adhèrent à ses objetifs, au-delà de toute considération d'origine ethnique ou raciale. Elle est indépendante de toute fédération existante ».

Ils sont trente-cinq élus à se réunir le 28 janvier 2006 à la grande mosquée d'Evry Courcouronne pour « dénoncer la volonté de mainmise et d'hégémonie de certains membres du Bureau exécutif du CFCM sur l'islam de France... » Dans un communiqué signé par des membres du Bureau du CFCM, des membres du CA ainsi que des présidents de région, ils nient l'éviction de M. Abdallah Boussouf et déclarent son maintien dans son rôle de vice-président chargé des régions.

Qu'adviendra-t-il du Rec, maintenant que son président, M. Abderrahim Berkaoui, a officiellement perdu la tête du Conseil régional du culte musulman du Languedoc-Roussillon ? Convoqué le 12 février dernier par le conseil d'administration du CRCM qui souhaitait l'entendre, M. Berakaoui ne s'est pas présenté. Le conseil a voté son remplacement par M. Tahri Lhossine qui devient ainsi le nouveau président du CRCM-Languedoc-Roussillon.

D'aucun regrettait que le CFCM soit dirigé par un président de concenssus qui ne dispose ni de la force ni de la liberté d'action qu'offrent la majorité dans une structure démocratique. Désormais, le bureau devra en plus composer avec un vice-président marginalisé dans son propre camp. Pour les représentants des mosquées qui ont massivement participé aux élections du 19 juin 2005, cette démocratie de mosquées commence à avoir un goût amère. Et l'on peut se demander s'il était utile d'organiser des élections, si c'était pour en arriver là.

Le CA de ce samedi 25 février pourrait marquer un tournant dans la jeune existence du CFCM. Le Cheikh Khalil Merroun, recteur de la grande mosquée d'Evry (91), connu pour être un franc tireur, souhaite qu'un vote de confiance du CA au bureau figure à l'ordre du jour. D'autres initiatives du même type sont à craindre. Pour parer à ces imprévus, le bureau exécutif est invité à se réunir le jeudi 23 février. Bien entendu, Mohamed Bechari y est convié.