Points de vue

Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde !

Rédigé par Mohammed Moussaoui | Vendredi 3 Juillet 2015 à 08:05



Depuis que l’essai Le choc des civilisations et la refondation de l'ordre mondial écrit par Samuel Huntington en 1996 est paru, le terme « civilisation » n’a cessé d’être utilisé par de nombreux hommes politiques pour nourrir des débats et des polémiques controversés.

L'emploi de l’expression « guerre de civilisation » par le Premier ministre, Manuel Valls, sur Europe 1, dimanche 28 juin, a déclenché une série de réactions dont certaines font partie des traditionnelles querelles politiciennes. Certains, tout en se réjouissant de cet usage, reprochent au Premier ministre de l’avoir fustigé par le passé. D’autres regrettent que M. Valls ait pu utiliser une expression imprécise à haut risque.

Après avoir dit que « nous ne pouvons pas perdre cette guerre, parce que c'est au fond une guerre de civilisation. C'est notre société, notre civilisation, nos valeurs que nous défendons », le Premier ministre a précisé que « cette bataille se situe aussi, et c'est très important de le dire, au sein de l'islam. Entre d'un côté un islam aux valeurs humanistes, universelles et de l'autre un islamisme obscurantiste et totalitaire qui veut imposer sa vision à la société ».

Dans son intervention, M. Valls a pris soin d’évacuer toute idée de choc entre l’Occident et l’islam. Cependant, la réaction de Julien Dray, quand il revient sur cette notion (en s’interrogeant : « Mais que l'on m'explique quelles sont les civilisations qui sont en guerre ? J'ai un doute parce que je ne crois pas que la civilisation arabo-musulmane soit un risque pour la civilisation chrétienne »), montre bien que les précautions prises par le Premier ministre n’ont pas suffi à atténuer l’impact de cette expression si controversée.

Une barbarie sans marqueur civilisationnel

Le terrorisme instrumentalisant l’islam est une réalité qu’il convient de bien nommer pour, comme dit Camus, ne pas ajouter au malheur du monde. Ce terrorisme ne peut être considéré comme porteur d’une civilisation, sauf à donner à celle-ci une acception inacceptable.

De par son rapport à la vie et à la dignité humaine, de par ses crimes et ses mises en scène macabres, de par son rapport au patrimoine de l’humanité, ce terrorisme est l’expression même de la barbarie.

Oui ! Ce terrorisme livre une guerre à toute forme de civilisation. La civilisation arabo-musulmane est en guerre contre ce terrorisme depuis des décennies. C’est dans les espaces géographiques historiques de cette civilisation que ce terrorisme s’exprime davantage, au point que de vastes territoires sont aujourd’hui sous son emprise ou menacés de l’être.

Le 26 juin 2015, notre pays a été touché par un acte de barbarie abjecte. Le même jour, une mosquée au Koweït a été attaquée, faisant 27 morts parmi les fidèles, tandis qu'à Kobané, en Syrie, plus de 150 victimes dont plusieurs enfants ont été sauvagement tués. En Tunisie, 38 personnes ont été lâchement assassinés.

Tous ces actes terroristes font souffrir atrocement des millions de musulmans qui constatent avec impuissance que leur religion, instrumentalisée et dévoyée par des individus manipulateurs ou manipulés, se trouve amalgamée avec des violences insoutenables.

Vouloir opposer la civilisation arabo-musulmane à la civilisation judéo-chrétienne, sous prétexte que ces terroristes se réclament de l’islam, c’est mal nommer les choses : c’est donc ajouter au malheur du monde.

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Mohammed Moussaoui est président d’honneur du Conseil français du culte musulman (CFCM) et président de l’Union des mosquées de France (UMF).