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Points de vue

Loi séparatisme : quatre propositions pour une République davantage inclusive que répressive

Rédigé par AbdAllah Yahya Darolles et Abd-al-Qayyoum Guerre-Genton (IHEI) | Mercredi 28 Avril 2021 à 11:55

           


Loi séparatisme : quatre propositions pour une République davantage inclusive que répressive
Lors de ses discours prononcés à Mulhouse et aux Mureaux en 2020, le président de la République a réaffirmé l’unité de la République en insistant sur la nécessité de lutter contre les « séparatismes » d’origine religieuse.

Le projet de loi « confortant le respect des principes de la République », présenté au Parlement depuis début 2021, entend constituer le premier volet de la politique du gouvernement dans ce domaine. Toutefois, ce projet de loi a suscité, dans notre pays, une vague de protestations, jusque dans les rangs de la majorité elle-même, et surtout du côté des institutions religieuses, toutes confessions confondues.

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Ce front uni nous semble suffisamment rare pour attirer une attention particulière sur le contenu du texte et sur ce qu’il ignore, mais aussi sur la méthode mise en œuvre. Par cette loi de circonstance, constituée d’un ensemble hétéroclite de mesures, dont beaucoup contribuent à restreindre les libertés publiques ou à alourdir le contrôle administratif, la République se montre davantage répressive qu’inclusive.

Prévenir les conséquences néfastes possibles du projet de loi

Les Eglises catholique et protestante ont réagi en exprimant leur désaccord et en faisant des contre-propositions. Pour leur part, les membres de l’Institut des hautes études islamiques (IHEI) ont souhaité intervenir, eux aussi, pour tenter de prévenir les conséquences néfastes que pourraient avoir les mesures prévues par le projet de loi sur l’équilibre législatif comme sur la cohésion sociale de notre pays, qui reposent tous deux sur les principes de la République, et notamment sur une laïcité garante de la liberté de conscience et de culte.

Soucieux de contribuer au bien commun et à l’intérêt général – ce qui correspond au sens même du terme res publica –, les membres de l’IHEI ont pris l’initiative, comme citoyens français engagés mais aussi comme croyants musulmans responsables, de s’adresser à un certain nombre de parlementaires et d’acteurs politiques afin de rappeler avec force la compatibilité de la pratique de l’islam avec les valeurs de la République, et de soumettre à leur attention des pistes de réflexion pour corriger les aspects les plus dangereux du texte de loi, et pour le compléter par des mesures visant à renforcer la concorde et le vivre-ensemble.

Des propositions à portée « universelle »

La démarche entreprise par l’IHEI résulte, tout naturellement, de l’engagement spirituel et de la responsabilité sociale qui incombent à tout croyant, pour contribuer au développement de la société. Une telle approche n’a donc rien à voir, d’un côté, avec un militantisme politique ou une sorte de lobbying qui conduisent certains à mélanger religion et pouvoir, ni, de l’autre, avec une forme de spiritualisme détachée des affaires du monde et de la société. L’accueil favorable qui a été réservé à cette démarche nous a conduit à développer le travail d’analyse, en présentant une vingtaine de propositions d’amendements au projet de loi en vue du vote à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Comme on pourra facilement le remarquer, les propositions de l’IHEI ne se réduisent pas à la défense des intérêts d’une religion en particulier, mais elles ont une portée « universelle », en ce sens qu’elles visent à préserver et faire reconnaître le patrimoine et la place de toutes les religions dans le paysage social et culturel français.

Les membres de l’IHEI ont participé depuis des années aux différentes instances de dialogue entre l’islam et la République, et sont reconnus dans plusieurs départements comme porte-paroles des associations et mosquées, notamment en relation avec les préfectures. Ils ont ainsi développé une expertise et des réseaux leur permettant de constituer une interface entre différentes réalités religieuses et sociétales. Ils organisent des rencontres interreligieuses avec leurs concitoyens de confession juive ou chrétienne, pour promouvoir une meilleure connaissance réciproque, et faire tomber les préjugés. Ils donnent cours et conférences pour présenter un islam spirituel et ouvert. Tout cela, ils le font en tant que citoyens et croyants.

Il s’agit pour les membres de l’IHEI d’une œuvre de « vivification » de la religion islamique, qui s’inspire d’un travail d’approfondissement spirituel, intellectuel et théologique, et a pour visée de promouvoir la concorde au sein de notre société sécularisée, dans la conformité avec les valeurs de la République.

Loi séparatisme : quatre propositions pour une République davantage inclusive que répressive

Mettre en œuvre les exigences de la vie en société dans la perspective d’un vivre ensemble respectueux des différences

Dans le contexte d’une interprétation trop souvent exclusiviste de la laïcité, les membres de l’IHEI recommandent aujourd’hui d’accepter pleinement et sans discrimination la présence pacifique des religions dans l’espace public, en leur accordant une visibilité qui leur paraît indispensable, afin d’éviter que la sphère privée ne devienne le lieu privilégié d’échanges d’opinions ou de points de vue individuels sur tout ce qui touche au domaine religieux. L’expérience a hélas montré que les espaces privés, les réseaux sociaux en particulier, peuvent devenir le lieu de prédilection de l’endoctrinement des esprits et de la manipulation des masses, notamment à travers les nouveaux moyens de communication où chacun peut, à sa guise, et sans aucun discernement ou contrôle, trouver tout ce qu’il désire pour réinterpréter à sa façon le message des religions ou, pire encore, se « fabriquer » sa propre religion.

Dans un esprit constructif, nous avons donc proposé aux députés et sénateurs une analyse du projet de loi en nous appuyant sur son étude d’impact, sur l’avis du Conseil d’Etat et sur les réactions des représentants des institutions religieuses. Plusieurs suggestions d’amélioration du texte ont été formulées, qui ont donné lieu au dépôt de propositions d’amendements lors de la première lecture à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Jusqu’à ce jour, les circonstances politiques n’ont pas permis une ouverture suffisante sur des dispositions visant à faciliter la coexistence pacifique des différentes composantes de notre société. Nous avons donc proposé des mesures permettant de mettre en œuvre les exigences de la vie en société dans la perspective d’un vivre ensemble respectueux des différences, en réhabilitant la valeur de la diversité des convictions en France, et notamment des convictions religieuses, diversité qui constitue une richesse plutôt qu’une menace.

Ainsi, les enjeux justifient la mise en place d’une politique publique complète qui, au-delà des préoccupations légitimes visant à assurer l’ordre public, doit intégrer une vision interministérielle, associant auprès du ministère de l’Intérieur, ceux de l’Education nationale, de l’Economie, de la Culture, de la Santé, et de la Justice.

Quatre grandes pistes de réflexion

Première proposition : faciliter la gestion des associations. Le projet de loi vise à renforcer le contrôle sur les associations cultuelles dites loi de 1905, alors qu’il faudrait faciliter leur fonctionnement pour que tous les lieux de culte puissent passer sous ce statut. Alors même que l’on reconnaît la nécessité irremplaçable de ces associations, terreau de notre démocratie, le projet de loi ne prévoit que le renforcement des mesures de contrôle et de police administratives à l’encontre du monde associatif.

Or la plupart des associations sont de petite taille et vivent avec peu de moyens. Seul le dévouement de leurs membres bénévoles leur permet de subsister. Des dispositions inutilement contraignantes vont conduire à la disparition de nombre d’entre elles qui se soumettent aux dispositifs réglementaires, sans pour autant atteindre celles qui ignorent délibérément leurs obligations. D’autant plus que des moyens d’action existent déjà, mais qu’ils ne sont pas mis en œuvre par défaut de ressources humaines ou de compétence dans les services concernés. Nous proposons donc d’abandonner ces dispositifs de contrôle supplémentaires, et notamment l’obligation d’un renouvellement régulier de l’agrément préfectoral.

Lire aussi : Séparatisme : les cultes entre malaise et inquiétude, ce qu'il faut retenir des auditions à l'Assemblée nationale

Seconde proposition : la formation des agents publics et des citoyens. Il nous semble qu’il est possible, et même nécessaire, de présenter les différentes traditions spirituelles et les pratiques religieuses dans la société contemporaine, de façon sereine et constructive, dans le respect des sensibilités et des droits de chacun, pour favoriser des échanges véritablement enrichissants et un vivre-ensemble harmonieux.

Aujourd’hui, la doctrine religieuse fait malheureusement encore l’objet de manipulations qui nourrissent le fanatisme, la radicalisation, la violence, la haine ou les discriminations comme l’antisémitisme et l’islamophobie. En effet, sorti de son contexte, le sentiment religieux peut être facilement instrumentalisé au service d’une idéologie meurtrière. Il est essentiel d’enseigner la différence entre explication de la doctrine religieuse et manipulation de la doctrine religieuse.

Dès lors, comment éclairer l’opinion publique sur la différence entre la pratique d’une religion authentique, spirituelle et tolérante, et les déviations et dérives idéologiques et politiques ? Comment assister les décideurs, qui vont devoir mettre en œuvre la loi, à faire la part des choses ? On se saurait envisager l’application sereine d’une loi portant sur les libertés publiques, alors même que les acteurs manquent de repères. C’est pourquoi il convient d’assurer, concomitamment à l’exercice de tout pouvoir de police, une formation de ces acteurs, tant dans les services de l’Etat chargés de mettre en œuvre ce pouvoir de police, que dans la société civile, ou auprès des différents intervenants associatifs, économiques, et dans les médias.

Certes, le texte adopté par l’Assemblée nationale comporte des avancées par rapport au projet initial : intégration dans le Titre 1er des « exigences minimales de la vie en société », c’est-à-dire du vivre ensemble, obligation de formation pour les enseignants et les fonctionnaires au principe de la laïcité, institution de référents laïcité. Ces mesures sont néanmoins insuffisantes : la formation des fonctionnaires ne peut se limiter au principe de laïcité, mais doit en outre intégrer celle du fait religieux et de la diversité religieuse et culturelle, ainsi que les modalités de leur application dans la vie quotidienne.

Cette formation à une meilleure connaissance de la diversité convictionnelle doit aussi être proposée par l’école de la République aux futurs citoyens : l’éducation des jeunes doit s’appuyer sur un enseignement du fait religieux qui ne se limite pas aux circonstances historiques d’apparition des religions, comme c’est le cas actuellement, mais qui prenne en compte les développements récents et l’actualité des relations entre les religions et la société. Les programmes pourraient s’appuyer sur l’enseignement de l’Education morale et civique, de la littérature et des arts, de la philosophie et de l’histoire.

Troisième proposition : promouvoir le dialogue. Les exigences minimales de la vie en société nécessitent aussi le dialogue des autorités et gestionnaires publics avec les familles spirituelles et philosophiques et les représentants des cultes afin d’avoir une connaissance partagée et apaisée des différentes convictions.

Dans cette perspective, nous avons proposé, comme cela existe dans d’autres secteurs de la société, la création d’un « Comité national consultatif sur la laïcité, le fait religieux, la diversité religieuse et culturelle ». Ce Comité permettra les échanges entre les ministères et les différents acteurs concernés, une mise en cohérence des débats, et la construction d’une politique globale axée sur la formation, l’éducation et le soutien méthodologique des acteurs.

Au niveau local, dans chaque préfecture, un référent « Laïcité, fait religieux, diversité religieuse et culturelle » serait identifié. Ce référent serait assisté d’une « Commission départementale sur la laïcité, le fait religieux, la diversité religieuse et culturelle », pour apporter l’information nécessaire. Il s’agit non seulement d’y intégrer les missions de médiation et de conseil envers les agents publics, mais également d’apporter une assistance aux associations vertueuses, et de soutenir, au nom de l’Etat, la réussite des projets visant à améliorer la connaissance de la diversité convictionnelle et de l’interculturalité. Des espaces de réflexion régionaux ou interrégionaux seraient également institués, en interface entre le Comité national et les Commissions départementales.

Le référent serait chargé d’assurer le soutien au monde associatif par l’information, la formation, et la mise en relation avec les acteurs institutionnels. Il assurerait également la médiation, dans le respect des lois de la République, avec le discernement nécessaire à leur juste interprétation, notamment en faisant la distinction entre ce qui relève de la légitime liberté religieuse et les coutumes importées des pays étrangers.

Quatrième proposition : faire de la réduction des incompréhensions réciproques une grande cause nationale. Afin que soient mises en œuvre les exigences de la vie en société, il convient de créer une « Agence nationale » qui permettra, dans l’indépendance et le respect de la laïcité, de mobiliser des fonds pour le financement de l’information, de programmes, d’études et d’évènements relatifs à la laïcité, à la connaissance du fait religieux, et à la diversité convictionnelle et culturelle, et de favoriser des partenariats entre universités et associations de terrain référentes qui interviennent dans les domaines de la culture, de l’éducation extra-scolaire, et de la promotion du vivre-ensemble.

Ces approches plurielles permettraient par ailleurs de distinguer efficacement ce qui relève du fait religieux, légitime dans sa diversité confessionnelle et culturelle, et ce qui relève de tendances exclusivistes et séparatistes à prohiber.

Enfin, il nous semble que la société française pourrait utilement bénéficier des enseignements tirés des rencontres symboliques unissant les représentants des différentes religions, qui s’efforcent de manifester la paix véritable. La devise de la République — Liberté, Egalité, Fraternité — ne trouve-t-elle pas un écho très actuel dans le « Document sur la Fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune », qui résulte de la rencontre, à Abu Dhabi en 2019, entre le pape François et le cheikh Ahmed al-Tayyeb, imam d’Al-Azhar ?

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AbdAllah Yahya Darolles et Abd-al-Qayyoum Guerre-Genton sont membres de l’Institut des hautes études islamiques (IHEI).

Lire aussi :
Loi séparatisme : prêtres et imams de Marseille expriment ensemble leur malaise




Réagissez ! A vous la parole.

1.Posté par francois.carmignola@gmx.com le 29/04/2021 17:26 | Alerter
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La mise sur le même plan de l'antisémitisme et de l'"islamophobie" est ici problématique.
D'abord, cela suppose au moins que le mot "islamophobie" soit largement accepté. Cela n'est pas le cas, et la détestation exprimée d'une religion et de ses contenus ne peut en aucun cas, pour beaucoup, s'assimiler à du racisme.

Au contraire, certaines marques d'irrespect à l'égard de tel ou tel symbole religieux dans la mesure où elles peuvent dénoncer certaines formes d'obscurantisme ou de pratique sectaire, visent à permettre de distinguer explicitement origine géographique ou ethnique et identité religieuse ou politique.

Car c'est bien la confusion des deux qui est une forme de racisme. En cela, assimiler critique de l'islam et détestation des personnes issues du monde musulman est en fait proprement raciste car cela revient à attribuer le caractère "musulman" à une personne libre qui n'a pas à le posséder essentiellement.


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