Société

Loi séparatisme : le Conseil constitutionnel valide « un changement de nature dans la relation entre l'État et les cultes »

Rédigé par Lionel Lemonier | Vendredi 29 Juillet 2022 à 08:30

Le Conseil Constitutionnel a validé, vendredi 22 juillet, plusieurs dispositions de la loi confortant le respect des principes de la République, dite « séparatisme », adoptée un an plus tôt. Ce texte était contesté par les représentants des cultes chrétiens qui y voyaient une restriction à la liberté de culte. Un responsable de la Fédération protestante de France (FPF) figurant parmi ceux qui ont piloté le recours réagit.



La déception est à la hauteur des attentes. « Nous estimons que cette loi (confortant le respect des principes de la République) apporte un changement de nature et non de degré dans la relation entre l’État et les différents cultes présents en France. L’Etat a institué un régime d’autorisation préalable à la main du préfet en obligeant les associations à déclarer leur caractère cultuel pour bénéficier des avantages propres à la catégorie des associations cultuelles. Si l’association conteste le refus préfectoral, ce sera devant le tribunal administratif et non plus le tribunal judiciaire. Or la loi de 1905 porte séparation de l’Etat et du cultuel », affirme auprès de Saphirnews Jean-Daniel Roque.

Le président de la commission Droit et liberté religieuse au sein de la Fédération protestante de France (FPF) ne cache pas que la validation par le Conseil constitutionnel des dispositions majeures de la loi dite séparatisme a surpris et déçu les responsables des grandes instances chrétiennes françaises. Pas moins de cinq institutions représentant catholiques, protestants et orthodoxes avaient demandé au Conseil d’État de transmettre deux recours, des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel sur la loi controversée. La décision des Sages, qui a fait réagir les mosquées du Rhône, n’était pas attendu aussi vite.

« Le Conseil constitutionnel ne motive pas sa décision »

Depuis 2008, tout citoyen peut saisir le Conseil constitutionnel via une QPC, à travers le filtre du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, et demander de vérifier qu’une loi existante sur laquelle le juge suprême ne s’est jamais prononcé respecte bien notre Constitution. Les Sages ont travaillé rapidement, estimant que les dispositions contestées « ne méconnaissent pas le principe de laïcité » en ne privant pas de garanties légales le libre exercice des cultes, selon les termes de leur communiqué. De plus, ont-ils ajouté, le législateur « a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public » en renforçant « la transparence de l’activité et du financement des associations assurant l’exercice public d’un culte ».

« Mais le Conseil constitutionnel ne motive pas sa décision, proteste Jean-Daniel Roque. Le Conseil reconnait d’ailleurs que la nouvelle loi est une atteinte à la liberté religieuse dans les alinéas 27 et 28 de sa décision en indiquant que "(…) les dispositions contestées des articles 4 et 4-1 de la loi du 2 janvier 1907 imposent à ces associations diverses obligations administratives et financières. Les dispositions contestées de son article 4-2 permettent par ailleurs au représentant de l'État de mettre en demeure une association ayant des activités en relation avec l'exercice public d'un culte, sans que son objet ne le prévoie, de rendre ce dernier conforme à ces activités." Et il ajoute : "Ces dispositions sont ainsi de nature à porter atteinte à la liberté d'association et au libre exercice des cultes." »

Autre sujet d’attention, le raisonnement du Conseil constitutionnel ne prend pas en compte les décrets d’application déjà publiés entre décembre 2021 et avril 2022. Or certains renforcent des obligations qui ne figuraient pas en tant que telles dans le texte de loi. « Par exemple, la loi indique que le préfet a le droit de demander la liste des lieux de culte. Et un des décrets transforme cette possibilité en exigence : les associations ont l’obligation de donner cette information tous les cinq ans », explique Jean-Daniel Roque.

Des différences « stigmatisantes »

La nouvelle capacité des préfets est par ailleurs un sujet d’inquiétude. « Les associations cultuelles existantes ont un délai pour appliquer la loi "séparatisme" qui court jusqu’en juin 2023. C’est clairement précisé dans le texte de loi. Mais certains préfets tempêtent déjà auprès des associations pour obtenir la preuve que le texte est déjà appliqué, en vertu du fait que les circulaires d’application ne reprennent pas cette précision. »

Jean-Daniel Roque pointe du doigt un manque de concertation entre le ministère de l’Intérieur et les représentants des cultes : « C’est l’exemple d’une loi jupitérienne typique du premier mandat d’Emmanuel Macron. Il n’y a même pas eu de d’accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Nous demandons une réelle concertation avec le gouvernement et les cultes sur les textes des décrets ainsi que sur les instructions données aux préfets. »

Ce juriste de formation, également pasteur, soulève un autre aspect qui lui parait critiquable dans le texte de la loi. « La loi "séparatisme" accroit la distance entre toutes les associations et celles qui assurent l’exercice d’un culte. Elle limite par exemple à 50 % de leur budget, les ressources annuelles tirées des immeubles de rapport dont elles sont propriétaires. Pour quelle raison ? La raison invoquée (proportionner ces recettes au montant total des ressources) ne figure dans aucune disposition générale relative aux associations », assure-t-il.

Les financements provenant de l’étranger donnent lieu à des batailles d’influence dans l’islam de France entre certains pays comme le Maroc, l’Algérie ou encore la Turquie. Mais un rapport de Bercy montre que ce sont les associations sportives et culturelles qui en reçoivent le plus : or, pour elles, les obligations commencent à 153 000 euros par an alors que la limite est fixée à 50 000 euros s’agissant des associations cultuelles… Jean-Daniel Roque avoue son malaise : « Ce texte de loi crée d’énormes différences entre les associations cultuelles et les autres. Des différences stigmatisantes. Les citoyens français peuvent s’interroger sur les dispositions spécifiques imposées aux associations cultuelles et se dire qu’il y a forcément un problème… Alors qu’il n’y en a pas ! »

Pour les instances chrétiennes qui se sont exprimées ensemble après la décision des Sages, « la procédure de contestation des décrets d’application de la loi du 24 août 2021 va désormais se poursuivre. Les requérantes ne doutent pas que ces recours seront examinés avec le plus grand soin par le Conseil d’État, en considération des réserves exprimées par le Conseil constitutionnel ».

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