Economie

Les talents de la diversité reconnus par les gourmets

Quand les immigrés renouvellent les traditions françaises

Rédigé par Esat Bozkaya | Lundi 29 Mars 2010 à 02:42

La gastronomie française, fierté nationale, est en train de devenir le terrain de prédilection des Français issus de l'immigration, à l’image de Djibril Bodian, ce jeune boulanger récemment consacré pour avoir réalisé la meilleure baguette de Paris.



Djibril Bodian vient de remporter le prix de la meilleure baguette de Paris décerné par la chambre professionnelle des artisans boulangers. Son client pendant un an : l'Elysée.
Le lauréat du grand prix de la baguette de la ville de Paris a été décerné cette année à un jeune... d'origine sénégalaise. Ce prix, créé en 1994, ouvrant le droit de fournir l’Elysée pendant un an, est revenu à Djibril Bodian.

Né au Sénégal, il a grandi en Seine-Saint-Denis et est actuellement salarié au Grenier à Pain Abbesses. Bodian, qui concourait pour la troisième fois devant un jury composé de gastronomes et de Parisiens tirés au sort, était en lice face à 163 boulangers tous aussi expérimentés les uns que les autres. Il a été récompensé pour une baguette « tradition ».

Autant dire que la qualité ne saurait tenir compte des origines même lorsqu'il s'agit d'un symbole national qui véhicule une certaine image de la France et des stéréotypes à l'étranger. La passion du pain, Bodian l'hérite tout d'abord de son père « qui était déjà dans le métier » et comme il le dit sans ambages, « il n'y a pas de secret » mais une certaine discipline à « appliquer à la lettre la recette » et un « bon sens de l'observation ».

Ce qui fait la différence ? Bodian insiste sur la préparation d'une baguette qui « doit être bien cuite, avoir une croûte bien fine, un maximum d’alvéolage - grands trous bien réguliers - et une très bonne odeur ». Autant dire qu'il revêt toutes les qualités pour renouveler la « tradition » que sanctionne justement le prix de la baguette de la ville de Paris, par opposition à la baguette ordinaire.

A un moment où l'on débat de l'identité nationale, il est toujours utile de revenir sur un produit du terroir qui a façonné et diffusé des clichés en France et à l'étranger : celui du Français moyen revêtu du béret et la baguette sous le bras. Appartenant pleinement au folklore français pour certains, donnant une image arriérée pour d'autres, la baguette reste de l'ordre de l'affectif : elle renvoie à l'image que l'on se fait des Français en entretenant en France le mythe forgé à l'étranger. Le tableau se complexifie lorsque, comme dans le cas de Djibril Bodian, des immigrés mettent leur talent à contribution pour entretenir cette tradition de la baguette.

Les cordons bleus d’origine étrangère sont légion

Le cas de Djibril Bodian n'est pas un cas isolé. Dans l'autre secteur économique qu'est la restauration, le temple de la gastronomie française, les cordons bleus d’origine étrangère sont légion sans être cependant connus.

Toutes les nationalités y sont représentées et parfois même dans l'enceinte même d'une même enseigne. Lorsque la porte des cuisines se referme sur le prolétariat des fourneaux, il ne reste plus de place qu'au goût et aux talents. Et les chefs cuisiniers qui affectionnent la cuisine française sont nombreux, à l'image de Rougui Dia, de Chef Bibi ou encore de Chef Aoki.

D'origine sénégalaise, la jeune Rougui Dia a gagné ses galons chez Petrossian, La Mecque du caviar. Chez L'Ami Louis, où Chirac avait invité les Clinton, le natif de Djerba Ismaïl Ben Abdallah alias Chef Bibi, était plongeur en 1969 avant de passer derrière les feux puis de prendre la direction du restaurant avec Louis Gadby. Arrivé à 30 ans en 1988, Kyo Nakamura maîtrisait la gastronomie française avant même de parler français. A la Cave Drouot, peu savent que la piperade, les piquillos ou le gâteau basque sont concoctés par des mains nippones.

Autant dire que les immigrés contribuent au bonheur des gourmets qui veulent renouer avec les traditions du terroir, et déguster la cuisine française pure souche.


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