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Les oubliées du 15 mars

Rédigé par Fouad Bahri | Mercredi 15 Mars 2006 à 20:29

Créée en mai 2004, pour faire face à l’exclusion massive et à la descolarisation des jeunes étudiantes voilées, consécutives au vote de la loi sur les signes ostensibles, l’association Gfaim2savoir tente d'assurer un encadrement et un accompagnement scolaire, mais aussi psychologique, à celles qu'il convient d’appeler "les oubliées du 15 mars".



Pour Maymouna Fauser, cette loi est injuste et discriminatoire
« Cette loi injuste et discriminatrice a fait beaucoup de dégâts et n'a pas fini d'en faire! ».
Douce et amère. Maymouna Fauser, présidente de Gfaim2savoir, a de quoi l’être. Convertie à l’islam il y a quelques années, cette jeune mère de famille a pris les choses en main quand, un certain 15 mars 2004, les députés de l’Assemblée nationale française, décidèrent de voter une loi interdisant le port du voile à l’école « républicaine et laïque ».

A la rentrée 2005, dix-sept jeunes élèves seront accueillies, encadrées et soutenues dans des locaux associatifs, à Aulnay-sous-bois. Onze d’entre elles passeront leur bac. Six l’obtiendront dont deux avec mention bien et assez bien.

Une tâche colossale


Mais pour les jeunes résistantes, la rentrée 2006 va s’avérer plus difficile. En effet, à chaque instant se pose la question des locaux, des enseignants et des moyens à fournir aux étudiantes. « Nous recherchons toujours des professeurs voire des étudiants pour enseigner ou faire du soutien, donner des méthodes de travail, les aider à bachoter et à s'organiser. Les moyens matériels, humains et financiers ne sont pas toujours au rendez-vous pour nous permettre de faire un travail de qualité. En effet, seuls les dons nous permettent de financer notre activité. Chaque année, nous recherchons de nouveaux locaux et cette année ne fait pas exception; de plus nous sommes obligés, pour le moment, de demander aux professeurs de travailler bénévolement sachant que nous leur demandons un gros travail. »

Comme l’an dernier, les niveaux d’études diffèrent également d’une élève à l’autre.
« Les élèves viennent de toute l’Ile de France et font, en moyenne, une heure de trajet aller (voire plus) pour venir à l'association, du lundi au vendredi, entre 9h et 16h30.

Les sections vont de la seconde à la terminale, avec différents cursus, terminale scientifique, seconde générale, 1ère SES et BEP comptabilité, ce qui évidemment ne facilite pas l'organisation des cours. Nous avons commencé l'année 2006 avec 20 élèves mais très vite l'effectif s'est réduit, ce qui est normal, compte tenu du travail autonome qu'elles ont à fournir. Nous suivons encore 3 élèves de l'année dernière qui n'ont pas eu leur bac et une qui est passée en première SES. Celles qui ne sont pas revenues travaillent seules chez elles. D'autres se sont mariées et n'ont pas vu l'intérêt de continuer leurs études.
Il y a encore celles qui ne font plus rien. »


Pourtant, tout n’est pas sombre. L’association a pu créer un poste cette année grâce au nouveau contrat embauche, pris en charge par l’Etat. Une expérience commence aussi à s’acquérir. « Nous avons appris beaucoup de notre première année d'activité et nous avons essayé d'en tirer les leçons pour cette nouvelle année. Nous avons notamment fait beaucoup de progrès sur l'encadrement des élèves au quotidien ainsi que sur les outils de gestion. Cependant le travail n'est pas terminé et nous espérons pouvoir le continuer et l'améliorer l'an prochain »

Mais pour l’association Gfaim2savoir, la tâche à effectuer déborde le cadre purement scolaire. C’est tout un travail de soutien moral et psychologique qui est mis en œuvre pour encourager les jeunes filles, souvent perdus.

«Beaucoup ne savent pas réellement ce qui les attend bien que préalablement nous les ayons rencontrées et exposés notre méthode de travail, les conditions pour pouvoir être intégrées, tel que l'accord des parents, l'assiduité, la ponctualité. Nous avons prévenu ces filles des difficultés qu'elles allaient rencontrer en quittant le milieu scolaire. Elles ont fait leur choix souvent, parfois en forçant leurs parents à l'accepter, tant les pressions qu'elles vivaient à l'école leur étaient devenues insupportables. »

Abandonnées par leur communauté


Exclues du champ social et éducatif, ces jeunes étudiantes, musulmanes portant le voile, n’ont, paradoxalement, pas trouvé de véritable soutien de la part des organisations musulmanes. Un abandon, une exclusion qui s’ajoute à une autre, très mal vécue par Maymouna.

« Certaines de ces jeunes femmes et même jeunes filles n’ont pas trouvé le soutien qu'elles méritaient au sein de leur propre communauté, celle là même qui ne cesse de dire ce qu'il faut faire mais n'agit pas pour elles! D'autres priorités certainement! Pourtant, c'est de l'avenir d’une partie de l’humanité dont il est question! J'entends souvent parler du rôle primordial de la femme dans l'éducation, de ses enfants. Mais que vont-elles leur apprendre si elles- mêmes ne sont pas éduquées correctement, si elles n'ont pas un minimum de savoir et de bagages culturels? On se targue de faire partie d'une communauté qui, depuis 1400 ans, a autorisé le droit de vote aux femmes. Mais aujourd'hui on se préoccupe peu de ce qu'elles ont à dire et de ce qu'elles vivent! Eh oui ! La France a été injuste envers elles, mais nous le sommes tout autant. »

Déception certes, mais Maynouna Fauser n’abandonnera pas « ses soeurs ». Forgée par son combat, elle a conscience de l’ampleur de sa mission, de ses responsabilités et de l’importance, pour elle, de les assumer jusqu’au bout. Comme le roseau, elle pourra, parfois céder, mais jamais rompre.

« Nous sommes leurs soeurs et leurs frères en Dieu. Et cette dimension dépasse toutes les frontières, toutes les divergences, toutes les peurs. Elles ont besoin de nous, elles ont besoin de sentir notre soutien dans ce combat qu'elles mènent au quotidien. »