Economie

Les musulmans s'emparent de la mode du crowdfunding

Rédigé par Christelle Gence | Jeudi 8 Mai 2014 à 06:05

En croissance continue depuis plusieurs années, le secteur du crowdfunding, ou financement participatif, ne connaît pas la crise. Permis par l’essor d’Internet et des réseaux sociaux, le succès des plateformes répond à un vrai besoin de financement des projets en phase de lancement. Quelques investisseurs musulmans se sont saisis de la tendance et ont lancé des plate-formes « muslim-friendly ».



Quel point commun entre Pebble, la pionnière des montres connectées, le chanteur Grégoire, ou encore Big Moustache, une entreprise livrant des lames de rasoir à domicile ? Aucun, si ce n’est qu’ils se sont tous lancés grâce au financement participatif. Le crowdfunding, littéralement le « financement par la foule », est un mécanisme de financement qui permet de récolter des fonds auprès du grand public afin d'apporter les capitaux nécessaires à la phase d’amorçage d’un projet. Les fonds unitairement versés sont faibles, mais les donateurs potentiels nombreux. Une entreprise, une association ou un particulier peut récolter quelques milliers, voire des dizaines de milliers d’euros par ce moyen.

Financement 2.0 vs banques

Si le principe de financement par des contributeurs n’est pas nouveau dans l'histoire (les ONG humanitaires fonctionnent ainsi depuis des dizaines d’années tandis que le mécénat existe depuis des siècles), le développement d’Internet et des réseaux sociaux ainsi que l’apparition de plateformes dédiées au crowdfunding a opéré un changement radical d’échelle. Désormais, n’importe qui peut, en quelques clics, soutenir le projet qui lui plaît.

Un porteur soumet son projet sur une plateforme de crowdfunding, avec un objectif chiffré des fonds dont il a besoin. Celui-ci doit être atteint avant un nombre de jours donné, sans quoi, la plupart du temps, les sommes versées sont remboursées aux investisseurs et le porteur de projet ne touche pas d’argent. Plus que de récolter des fonds, le système permet de tester l’adhésion au projet et donc, en partie, sa viabilité. Les investisseurs, quant à eux, se sentent impliqués et vont souvent avoir à cœur de parler du projet autour d’eux : en nombre et avec un réseau développé, la viralité fait le reste.

La crise a également boosté le phénomène. Pour les jeunes et micro-entreprises, il est déjà souvent compliqué de se financer auprès des banques mais ces dernières sont devenues encore plus frileuses après 2008. Le crowdfunding peut se révéler être une alternative aux formes de financement traditionnelles.

Le retard français d'un secteur en croissance exponentielle

Phénomène de mode ou mode de financement appelé à faire durablement de l'ombre aux financements traditionnels ? Seule certitude, l’engouement actuel pour le crowdfunding ne cesse de croître année après année et connaît ces derniers mois une véritable explosion. En 2013, 3 à 5 milliards de dollars ont été levés dans le monde, deux fois plus qu’en 2012, selon diverses estimations. Près de 900 plateformes ont vu le jour à l’échelle de la planète. L'une des plus connus des supports américains, Kickstarter, a atteint en mars 2014 le milliard de dollars levé depuis sa création en 2009. Les projets, à l’origine artistiques ou entrepreneuriaux, se sont étendus à des domaines aussi divers que la science, le sport ou l'édition. Les projets caritatifs appelés à être financés sont aussi très répandus.

La contribution de la France reste limitée. Selon le cabinet CompinnoV, 78 millions d’euros ont été collectés en 2013 par 36 plateformes de financement participatif actives sur la soixantaine qui existent. Le secteur a cependant triplé son chiffre par rapport à 2012. 44 % des 11 330 projets financés ont servi à des entreprises. Les trois plus importantes, Ulule, Kiss Kiss Bank Bank et My Major Compagny, lèvent la plus grosse part des fonds. Leur principal source de revenus : le pourcentage prélevé sur les fonds récoltés pour des projets réussis.

Longtemps freiné par un cadre législatif trop contraignant, un nouveau texte qui devrait faciliter l’accès au crowdfunding aux entreprises comme aux investisseurs, sera voté en juillet prochain. Fleur Pellerin, alors ministre déléguée chargée à l'Economie numérique, l’a présenté en février, après que François Hollande, en déplacement dans la Silicon Valley, a exprimé sa volonté de donner « une nouvelle impulsion » à ce mode de financement participatif pour « le rendre aussi incitatif qu’aux États-Unis ».

Les musulmans s'y engouffrent

Dans un secteur de plus en plus concurrentiel, il faut faire preuve d'imagination pour se différencier. Des plateformes spécialisées sont apparues, par exemple dédiées aux commerces et associations de proximité (Bulb in Town), à l’écologie (Ecobole), à la mode (IamLaMode), aux films (Touscoprod) et même à l’enseignement supérieur, à la recherche et à la santé (Davincicrowd).

Sont aussi apparues des plateformes « muslim-friendly ». Le crowdfunding peut en effet exister à travers plusieurs concepts : le don, avec ou sans contreparties, en nature ou en numéraire ; le prêt, rémunéré ou non ; et l’investissement dans le capital. A l'exception du prêt rémunéré par un taux d'intérêt, ces modes de financement sont compatibles avec l'économie islamique, fondée sur l’interdiction de l'usure et le partage des pertes et des profits. Par ailleurs, les plateformes affichent des valeurs de partage, de solidarité et de transparence, autant qui plaisent aux musulmans.

Des plateformes encore fragiles

Les plateformes de crowdfunding musulman, qui bannissent de leur contenu des projets basés sur des activités illicites (haram) en islam, se sont ainsi multipliées en Europe et en Amérique du Nord. Launch Good aux Etats-Unis déclaré avoir levé 320 000 $ (230 000 €) pour 45 projets depuis sa création en décembre 2012. En France, le créneau est naissant, occupé à ce jour par Aoon, crée en mars 2013, et Easi Up, tout juste lancé en janvier, avec l'éthique pour mot d'ordre commun.

Mais les initiatives du type se caractérisent par leur fragilité. UmmahHub, Fundamuslim, Islamica, Muslim Crowdfunding, Masjid Project Funder, Ummaland Fundraising sont quelques unes des plateformes qui, après quelques mois d’existence seulement, ont fait un flop : elles ne sont plus actualisées ou ne présentent plus de projets qui sont, très souvent, de type humanitaire, un secteur déjà bien investi par les associations musulmanes, et qui ne génèrent pas de revenus. Même Halalfunder, un des pionniers dans le crowdfunding musulman lancé en 2012, n'a pas réussi à convaincre les internautes avec un contenu aussi pauvre. Or, le succès de toute plateforme tient plus que jamais sur le nombre de projets, la façon dont ils sont présentés et dans quelle mesure ils sont innovants. Qu'ils émanent de musulmans ne suffit pas à faire un bon projet : il en va aussi de l'intérêt et du portefeuille des potentiels investisseurs.