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Les musulmanes suisses réclament le droit à l’indifférence

Rédigé par lila13@hotmail.co.uk | Vendredi 30 Octobre 2009 à 00:00

Entre l’islam intégriste et l’islamophobie relayée par l’UDC, les musulmanes de Suisse, dont l’immense majorité est laïque, se sentent obligées de prendre position dans un débat qui ne les concerne pas. Elles dénoncent cette forme d’assignation qui les prive de leur liberté fondamentale. Il n’y a pas à choisir entre la peste et le choléra.



Nemat Mardam-Bey est Suissesse et musulmane ; elle préside la fondation de l’Entre-Connaissance, qui vise à tisser des liens entre la civilisation islamique et le reste de la société. (DR)
Elles sont gestionnaire financière, présidente de Fondation, coiffeuse indépendante ou journaliste. Elles vivent en Suisse, s’y sentent bien, ont une famille, des amis et vont au spectacle. Alors pourquoi en parler ?

Parce qu’elles sont musulmanes et que désormais, cette seule identité, suffit à les rendre différentes. « Les fantasmes sur l’islam, et les femmes en particulier, commencent à devenir lancinants, dit avec beaucoup de calme Nemat Mardam-Bey, Suissesse d’origine syrienne, gestionnaire financière et présidente de la Fondation Entre-Connaissances à Genève engagée dans le rapprochement des cultures. « L’UDC nous colle une image qui ne correspond pas à nos réalités, mais à laquelle il faut répondre. Du coup, on ne parle que de ça ! »

370 000 musulmans en Suisse

Entre les fondamentalistes qui encagent les femmes et l’UDC qui enferme chaque musulmane dans une image univoque, la marge de manœuvre se rétrécit pour les 310 000 musulmans en Suisse (soit 4,3 % de la population), dont la grande majorité est laïque. Mais cette estimation fédérale datant de 2000 est à revoir à la hausse : le nombre de musulmans s’élèverait désormais à 370 000. Environ 10 % d’entre eux, considérés comme pratiquants, s’en tiennent aux prescriptions du Coran. Voilà les chiffres. Et puis, il y a les fantasmes, les confusions, les amalgames de part et d’autre.

Arabes, mais de quelle confession

Bel exemple de confusion, celui vécu régulièrement par la libanaise Soha Bechera, détenue pendant dix ans dans une prison de Khiam après avoir tiré deux balles sur le général Antoine Lahad. C’était en 1988. Depuis, la lauréate du prix « Femme exilée, femme engagée » vit à Genève. Souvent, lors des conférences qu’elle donne à travers le monde, les gens s’adressent à elle en tant que musulmane…. sauf que Soha Bechara ne l’est pas. « Je suis Libanaise, communiste et s’il faut encore aller plus loin… de naissance chrétienne. Au Liban, on s’est battu justement contre ces confessionnalismes qui nous ont minés. Je suis surprise qu’en 2009 on puisse ignorer à ce point qu’il y a des Arabes chrétiens, juifs et musulmans. »

Mais si l’on peut être arabe sans être musulmane, on peut aussi être musulmane sans être arabe. « Quand je dis que je suis musulmane, on dit « Ah, arabe ! ». Non, je suis Afghane et de culture persane », s’amuse Zamilia Yunus, coiffeuse indépendante. Femme libre à Genève comme elle l’était à Kaboul avant 1982, la religion relève pour elle de la sphère privée. « On n’a pas besoin des minarets pour prier. »

Mosaïque musulmane

Culture, traditions et religion sont des choses différentes. « L’islam est un mais il y a diverses interprétations. En revanche, il n’y a pas d’homogénéité musulmane. Chaque pays a ses spécificités historiques, politiques, culturelles. Le Maghreb est différent du Moyen-Orient, l’Iran de l’Arabie Saoudite, l’Afghanistan du Yémen », précise Nemat Mardam-Bey qui ne porte pas le voile bien qu’elle soit pratiquante. On s’en étonne. « C’est un choix personnel, chaque femme a sa propre déontologie. Si le voile est une prescription, il est lié à la discrétion. Mais comme sa visibilité est exacerbée depuis 10 ans, il est devenu un objet ostentatoire fortement instrumentalisé. Quel paradoxe ! »

La polémique Diam’s

« Je n’ai pas besoin de montrer que je suis musulmane » dit Nehza Drissi, marocaine pratiquante et présidente d’Althea à Pully, une Fondation qui œuvre depuis 2002 au Maroc, en Mauritanie, en Egypte et en République démocratique du Congo pour que l’accès à la santé et à l’éducation devienne une réalité pour tous.
Cette Marocaine installée en Suisse depuis 19 ans, « mon deuxième pays » estime d’ailleurs que le voile est de plus en plus « une marque identitaire, presqu’une arme pour tuer l’autre ». Le phénomène est surtout visible en France, où les photos de la rappeuse Diam’s arborant le voile continue de susciter la polémique.

« Les grands médias français portent une certaine responsabilité dans la radicalisation de l’islam en France. Ils n’ont pas voulu voir l’émergence de l’élite musulmane, diplômée de l’administration, chercheurs, intellectuels, ce qu’on a appelé la « beurgoisie ». Au lieu de ça, ils se sont focalisés sur d’improbables burqas », dit Nadia Khouri-Dagher, auteure de L’Islam moderne, des musulmans contre l’intégrisme et ancienne rédactrice en chef du magazine féminin Yasmina.

Religion ou pauvreté

« Désormais, on donne une dimension religieuse à tout », se désole Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (CERMAM) qui plaide pour un islam laïc, enfin affranchi de son identité mère. Mais à qui la faute ? Aux islamophobes qui font le lit de l’intégrisme ? Ou aux fondamentalistes religieux dont les discours propagandistes prospèrent grâce aux nouvelles technologies de diffusion (TV et Internet), faisant porter le soupçon sur tous les musulmans.

Analphabétisme et poids des traditions - dont les femmes sont les premières victimes -, voilà les deux plaies à panser au plus vite pour les musulmanes interrogées. « Les femmes sont le pivot de la société, si on s’attaque à elles, c’est la société tout entière qu’on attaque » dit Nemat Mardam-Bey.

Quant à la misogynie, elles relativisent. « Dans le milieu de la finance, où je travaille, la misogynie et les préjugés sont partout. Chrétiennes et musulmanes, c’est le même combat ! », dit Nemat Mardam-Bey. De son côté, Nehla Drissi raconte cette anecdote délicieuse, vécue la veille sur une route marocaine : « J’ai pris un vieux berbère en autostop. Il s’adressait à moi en disant Monsieur. Dans son inconscient, il ne pouvait pas imaginer que j’étais une femme puisque je conduisais. La misogynie n’est pas l’affaire des religions mais celle des hommes. »


Auteure : Marie-Claude Martin
Source : LesQuotidiennes.com