Points de vue

Les écrans dans la famille : quelle place leur donner ?

Rédigé par Sabine Duflo | Jeudi 16 Juin 2016 à 11:45



Les écrans ont envahi nos vies : on en compte une dizaine par famille aujourd’hui. Nous y consacrons un temps de plus en plus long, souvent supérieur que celui que nous consacrons à nos proches. (1) L’usage que nous en faisons varie suivant l’âge : usage essentiellement récréatif pour les enfants et les adolescents, outil de travail pour les adultes.

Au sein de la famille, l’écran, en particulier la télévision, exerce un très fort pouvoir de captation sur les petits comme les grands au point qu’il remplace parfois tous les moments traditionnels d’échanges : le repas, les moments informels de discussion, les jeux en extérieur, les sorties.

L’enfant, éduqué par les écrans, devient progressivement le porteur des valeurs et des comportements transmis par ces objets, son esprit est formaté par eux. Les tentatives des parents de reprendre leur rôle d’éducateur et de transmetteurs de valeurs sont vaines car l’écran est un formidable capteur d’attention et un simulateur de présence.

Il est devenu la cause première de conflit dans les familles : les parents agacés veulent éteindre mais leur enfant se met alors à crier, pique une colère, ou bien il tourne en rond, dit qu’il s’ennuie dès que l’écran est éteint. Car s’il est mis trop tôt et trop souvent devant les écrans, l’enfant ne peut réguler le temps qu’il y passe et ne sait plus comment jouer, s’occuper sans eux.

Si les parents souhaitent que leur enfant développent un esprit critique et devienne maître de cet objet, il est donc essentiel qu’ils gardent le contrôle du temps que leur enfant y passe et du contenu auquel il est exposé. Sans régulation du temps passé devant les écrans, l’enfant risque d’en devenir captif et en aura un usage très pauvre, c'est-à-dire essentiellement récréatif.

Mon travail auprès des familles m’a conduite à mettre au point les recommandations ci-jointes. Elles sont faciles à mettre en place car elles s’appliquent à toute la famille. Les recommandations de temps qui varient suivant l’âge de l’enfant sont difficiles à tenir pour les parents. Dire à Kaïs, 15 ans, qu’il a droit à 3h d’écran par jour, à Loubna, 12 ans, 2h, et Adem, 3 ans, 30 minutes, c’est être sûr qu’on va retrouver au bout d’une demi-heure Adem dans la chambre de Kaïs devant ses jeux vidéo !

Mon enfant face aux écrans : quatre pas pour mieux avancer

Voici quelques conseils qui permettront à votre enfant de s’approprier l’écran sans en devenir captif.

Quatre « pas » qui donneront le temps à votre enfant de mettre en place tout ce qui est nécessaire avant d’aborder les écrans.

1) Pas d’écrans le matin

2) Pas d’écrans durant les repas

3) Pas d’écrans avant de s’endormir

4) Pas d’écrans dans la chambre de l’enfant


Pourquoi ces quatre pas ?

1. Pas d’écrans (télévision, DVD…) le matin

Les écrans (TV, jeux vidéo) sont des capteurs d’attention. Or l’attention est essentielle pour les apprentissages scolaires. L’écran sur-stimule l’attention non volontaire. L’enfant est capté par les stimuli visuels et sonores ultra rapides changeant à l’écran. Son attention s’épuise au bout de 15 minutes. L’enfant qui regarde un écran le matin fatigue son système attentionnel avant d’arriver en classe. Or un enfant dont l’attention est fatiguée est un enfant qui bouge, qui parle, qui fait tomber ses affaires… et qui ne parvient plus à se concentrer !

Ce mécanisme freine le développement de son attention volontaire, requise pour le travail scolaire. Ses résultats scolaires peuvent chuter. (2)

2. Pas d’écrans durant les repas

La télévision allumée durant les repas familiaux empêche votre enfant de vous parler et vous lui parlez moins. Un enfant qui grandit avec une télévision allumée en permanence acquerra un vocabulaire plus pauvre, un langage moins riche. Chez les enfants de 15 mois à 4 ans, 2h de TV quotidienne aboutit à multiplier par trois la probabilité de voir apparaître des retards de développement de langage. (3)

Le contenu anxiogène de certains programmes, en particulier le journal télévisé, a des répercussions sur le comportement et la gestion des émotions de l’enfant même s’il est trop jeune pour comprendre. Lui expliquer ne modifie pas ses émotions.

3. Pas d’écrans avant de s’endormir

Le sommeil qui se forme avec les dernières images perçues sera de moins bonne qualité car l’image animée, même adaptée, n’est pas une activité calmante pour le cerveau de l’enfant. Elle est trop stimulante émotionnellement. (4)

Par ailleurs, l’écran diffuse une lumière bleue (LED) qui inhibe la mélatonine, hormone régulatrice du sommeil, empêchant l’enfant de s’endormir naturellement. (5)

4. Pas d’écrans dans la chambre de l’enfant

La présence d’un écran dans la chambre de l’enfant diminue son temps de sommeil. De plus, avec la télévision, l’ordinateur, la tablette… dans la chambre de l’enfant, les parents n’ont pas la possibilité de contrôler ce que leur enfant regarde. S’ils lui interdisent verbalement de regarder les contenus inadaptés, ils lui confèrent une trop grande responsabilité.

Sans écrans dans sa chambre, l’enfant apprend à développer des compétences essentielles : activités sensori-motrices, jeux de faire semblant, jeux symboliques, graphisme, nécessaires pour le développement de sa pensée, son attention, sa socialisation.

Dernier conseil : respecter les limitations d'âge

L’enfant apprend… en imitant. S’il est exposé à des contenus inadaptés, c'est-à-dire violents ou pornographiques, ces images produiront sur lui un effet traumatisant et excitant. Il peut développer une appétence pour ce type de contenus et parfois tenter de les reproduire. L’image violente « manipule » le cerveau émotionnel de l’enfant. Le discours secondaire du parent ou sa présence aux côtés de l’enfant durant le visionnage du film ne diminuent pas la charge émotionnelle de l’image et son pouvoir sur l’enfant.

Mettre en place ces quatre temps sans écrans dès aujourd’hui, c’est prendre soin de votre enfant afin qu’il développe au mieux :

-Son langage
-Sa pensée
-Son imagination
-Sa capacité à être seul
-Son autonomisation
-La distinction entre le réel et le virtuel

(1) Les 4-14 ans passent en moyenne trois heures par jour devant les écrans. On compte dix écrans en moyenne par foyer. Un enfant sur trois possède une tablette (Etude Ipsos 2014 pour la chaîne Gulli).
(2) LANDHUIS C.E et al, « Does chilhoood television viewving lead to attention problems in adolescence ? Results from a prospective longitdudinal study », Pediatrics n°120, 2007, p.532 et passim; n°104, 199, p.E27
(3) CHONCHAYA W. et al, « Television viewing, associates with delayed langage development », Acta Paediatr., n°97, 2008, pp 977 et passim
(4) OWENS J. et al., « Television-viewing habits ans sleep disturbance in school children », Pediatrics n°104, 1999, p.e 27
(5) Psychomedia, 04/09/2015

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Sabine Duflo est psychologue clinicienne et thérapeute familial. Première parution de l'article sur le site de Participation et Spiritualité Musulmanes (PSM).

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