Société

Les Banlieues de l'Islam: Ce qui n'est pas dit

Rédigé par Bamba Amara | Mardi 17 Décembre 2002 à 00:00

La banlieue, les jeunes musulmans dont il est question … L’émigration en Islam. Quelles lectures et quelles repères ? Mythes et réalités ? Autant d’interrogations qui ont été soulevées par l’association HCC (Horizons Cultures et Civilisations) avec l’éclairage d’éminents chercheurs et acteurs sociaux en ce dimanche 15 décembre à Paris 18e .



Calme, cordial, fraternel et apaisant. Telle était l’ambiance en ce dimanche 15 décembre au centre Euro-sites ( Paris 18e - Porte de la Chapelle). Un comité d’accueil discret mais présent à pied d’œuvre depuis 13H pour enregistrer les inscriptions, encaisser les participations aux frais (6 € / pers) et distribuer les badges individuels frappés des trois lettres HCC : Horizons Cultures et Civilisation.

Le thème de cette conférence débat, ' Ces jeunes dont il est question ', donne une idée des centres d’intérêt du HCC. Comme nous le confirme M. KASBARI Abderahim, secrétaire général de l’association : ' HCC est avant tout un mouvement local. Une association de terrain, confrontée aux réalités du terrain. Œuvrant pour apporter des réponses à des questions, des demandes et des besoins concrets qui remontent du terrain. Aujourd’hui, nous nous interrogeons précisément sur la question des jeunes musulmans… '.

 UNE AFFICHE DE GRANDE QUALITE

Pour aborder cet épineux sujet, ont été conviés: Monsieur Yahya MICHOT et Monsieur AbdelHlim HERBERT. Deux hommes savants de grande renommée qui, à eux seuls, valaient le déplacement. Leurs approches analytiques seront à illustrées par des témoignages et des observations d’acteurs sociaux directement et souvent quotidiennement confrontés à la question des jeunes. C’est ainsi qu’interviendront M Claude MATHEZ (inspecteur honoraire à l’Académie de Paris), M. Julien Bobot (Secrétaire National du Mouvement des Jeunes Socialistes), M rachid NEKKAZ (porte-parole du Forum Citoyen des Cultures Musulmanes), Mme Dounia BOUZAR (chargée d’études à la PJJ), M Marwan Mohammed ( étudiant préparant une thèse de sociologie sur la délinquance des jeunes, président de l’association CNOUES)…

Cette affiche déjà haut en couleur a permis d’excuser plus facilement l’absence de M. Bruno ETIENNE, directeur de l’Observatoire du Religieux et membre de l’Institut Universitaire de France.

LES CINQ PILIERS DE L’EMIGRATION EN ISLAM

L’éloquente introduction du thème par Mme SOLTANI Fadila, vice-présidente de HCC, fut suivie d’une clarification du concept d’émigration tant dans son étymologie, dans la tradition musulmane que dans l’actualité musulmane par M. MICHOT. De nationalité belge, professant à l’université d’Oxford (Angleterre), M MICHOT connaît pourtant bien l’Islam en France. La barbe rousse, bien fournie, l’humour au coin de la phrase, ce chercheur est implacable dans ses observations. Il se lancera dans un exposé passionnant et dense, ponctué de citations et d’exemples tant historiques que contemporains. Méthodiquement, il décortiquera les motifs qui autrefois et de nos jours, ont poussé les populations musulmanes à l’émigration. 1- la pression politique à l’image de la première migration musulmane en Abyssinie sous la pression des mecquois. Mais aussi à l’image de nombreux mecquois réfugiés à Médine dont le Prophète de l’Islam. 2- La recherche d’un emploi dont le célèbre Avicenne est un exemple, mais dont de nombreux migrants de la première génération sont du nombre. 3- La recherche de la science. Une recommandation insistante du prophète qui a donné naissance aux célèbres chroniqueurs musulmans, infatigables voyageurs, traversant des contrées pour recueillir ou vérifier un hadith. Mais aussi de nos jours, les nombreux étudiants venus des pays musulmans étudier dans le monde occidental. 4- La découverte et l’exploration à l’image de Ibn JOUBAIR , de Ibn BATOUTA qui ont laissé des joyaux de littérature et d’histoire dans leurs carnets de voyages. Enfin 5- Le pèlerinage à la Mecque. Une obligation religieuse incitant à la migration. Surtout, à une époque reculée où les moyens techniques disponibles faisaient du hajj un voyage de plusieurs années.

Pour conclure cette énumération, M. MICHOT exprimera sa préférence : ' Aujourd’hui, l’émigration est une occasion d’expansion pacifique de l’Islam vers des horizons nouveaux en Occident. D’aucun parlent de cette islamisation comme d’un danger ! Et ils préconisent la mise entre parenthèses de l’Islam. Comme si le citoyen occidental devait être infantilisé et protégé contre les idées musulmanes. Personnellement, je préfère cette expansion pacifique à d’autres types d’expansions idéologiques que nous voyons se dérouler à coup ' bombardements médiatiques' ou de ' frappes chirurgicales ' … '

LES DESSOUS DE LA BANLIEUE

M HERBERT, est anthropologue. Spécialiste du Brésil. Il commence son allocution par un diagnostic. Enseignant depuis plus d’une vingtaine d’années à l’école d’architecture de St Etienne, vivant dans une ' cité ' depuis plus de vingt ans, il connaît son sujet au point qu’il peut se permettre de prendre le parti de s’attaquer à quelques idées reçues.

Primo, le phénomène de banlieue est antérieur à l’immigration musulmane en France. ' L’origine du mot ' banlieue ' se situe au 13e siècle. ' Banc ' du ' lieu ' au sens de : mis au banc de la société. ' Précisera M HERBERT avant d’évoquer l’importance historique du phénomène d’émigration dans la conscience collective des musulmans. Un phénomène si important qu’il marque le début du calendrier islamique. ' On peut même aller jusqu’à dire que l’Islam est né avec l’émigration. Puisque la première communauté islamique fut fondée à Médine à la suite d’une émigration (la hijra). ' Le terme d’émigration revêt donc, pour le musulman, un caractère mythique que le conférencier a illustré par des données statistiques : ' Dans les deux premiers siècles de l’Islam, les musulmans ont fondé plus de 150 villes dont certaines dans des régions où ils venaient à peine de s’installer pacifiquement, y compris en Andalousie. Pour le chercheur, cela reste comme un mystère, vu les moyens de l’époque…' Cette émigration ne semble pas avoir posé des problèmes insurmontables. Puisque de tout temps, y compris de nos jours ' le tiers de la communauté musulmane est localisée géographiquement dans des pays à majorité non musulmane. Ces musulmans ont, de tout temps, contribué positivement à faire évoluer l’équilibre des forces sociales. ' Ce qui fait dire à M HERBERT ' qu’il faudra qu’un jour, les populations occidentales acceptent l’idée que la définition de l’être social ne se limite pas à l’identité nationale. '

Secundo, c’est une réalité de la société française qui veut que 45% de la population soient détentrice d’un patrimoine foncier à côté de 55% qui ne possèdent aucun patrimoine. Les décisions courageuses prises par les gouvernements de transition, à la révolution de 1789 n’ont pas modifié cette situation de manière significative. Ce fut l’occasion pour M HERBERT d’expliquer les conséquences d’une telle scission sociale.

Enfin, M. HERBERT a invité l’assistance à une autre lecture des ' problèmes ' que l’on a tendance à relier à la présence des logements sociaux, ' les cités '. Sur ce préjugé très implanté dans les mentalités, il s’effacera devant son maître HENRY LEFEVRE qui écrit : ' la ville est la projection des rapports sociaux dans l’espace. ' Entendons, les troubles que connaissent certaines agglomérations ne sont que les manifestations d’un contexte social sans lequel ces troubles n’auraient aucune raison d’exister. Et la démonstration de M HEBERT est éloquente en la matière : ' Aujourd’hui, on évalue à 3 500 000 les personnes dites ' indigents sociaux '. ' Il expliquera qu’en 1971, il y avait environ 150 000 demandeurs d’emploi. Ce qui correspondait approximativement au nombre de personnes en phase de changement d’activité. Les cités existaient déjà. Elles ne faisaient pas la une des journaux. Mais à partir de 1975, le nombre de chômeurs a bondi à 450 000. C’est curieusement à cette même période que l’on désigne les banlieues comme zones à problèmes. Divers plans sociaux aux sigles les plus loquaces seront échafaudés sans qu’adviennent des changements notables puisque, aujourd’hui encore l’on compte ' 1 500 000 personnes en situation de paupérisation. C’est à dire des personnes en attente de logements sociaux mais ne disposant pas de revenus suffisants pour y accéder. '

Selon M HERBERT, l’incrimination de l’Islam est une vérité qui fait oublier les raisons sociales véritables qui sont à la source des difficultés des jeunes issues de la l’immigration. Car les populations immigrées ne sont pas les plus riches de ce pays. La solution, selon le conférencier est ' l’implication sociale des citoyens musulmans '. Seul, dira-t-il, une telle démarche pourra valablement bousculer les gouvernants dans leurs retranchements.

DE L’AEIF A HCC : UN PATRIMOINE MYTHIQUE

Pour les responsables de HCC, cette rencontre se solde par un déficit financier (environ 1500 € ). Il en faut bien plus pour décourager ces jeunes militants musulmans dont le calendrier ne se limite pas aux seules conférences.

En effet, le HCC qui existe depuis seulement un an, est une des dernières émanations de l’AEIF (Association des Etudiants Islamiques de France). Une association d’avant garde, créée dans les années 60 à l’initiative du professeur MUHAMMAD HAMIDULLAH, auteur d’une traduction du Coran en langue française. Lieu de brassage culturel, maison d’édition, centre d’accueil de nouveaux étudiants arrivant des pays musulmans, l’AEIF dont la section parisienne est domiciliée au 23 rue Boyer Barret (Paris 14e ), est une référence ; un laboratoire de foisonnement intellectuel à l’image de ses célèbres pères fondateurs dont sont sortis de nombreux acteurs de la vie associative islamique en France et dans de nombreux pays du monde musulmans.

Depuis les années 60, le paysage islamique français s’est considérablement modifié. L’association a dû adapter ses structures administratives sans renoncer à sa vocation initiale vouée à des activités d’éducation et de formation intellectuelle et spirituelle.

Régulièrement confrontée à l’instabilité des ses membres et aux difficultés financières récurrentes aux organisations estudiantines, l’AEIF a su, contre vents et marrées, garder son indépendance. Fidèle à ses principes fondateurs, elle a réussi le pari de n’être corrélée à aucune mosquée, aucun pays, aucune des sources de financement classiques, généralement extérieures à l’Hexagone. Les responsables de HCC confirment cette ligne de conduite. En apprenant le déficit financier que coûte cette rencontre, M. KASBARI secrétaire général de l’association déclare, avec sérénité: ' l’autogestion coûte cher, mais la liberté n’a pas de prix. ' Puis il énumère les activités et projets qui réunissent régulièrement leurs membres au local de l’association : ' les rencontres d’Horizons ' , discussions philosophiques multi-confessionnelles ; les ' ateliers pédagogiques ' d’initiation à l’informatique, de formation juridique ou médicale ; les ' cercles de rencontres ' pour la convivialité et l’écoute fraternelle, les ' visites culturelles ' dont voyage sur les traces de l’Islam en Andalousie est en projet etc. '

Interrogé sur la position de HCC sur la question de ' Représentation ' des musulmans en France, M KASBARI déclare : ' je me sens concerné en tant que musulman et français. Mais en tant qu’association, nous ne nous sentons pas concernés. Simplement parce que personne ne nous a concertés. '

Il ne fait de doute que Mlle HAYET GHEZZAL, présidente en exercice de HCC, est consciente du précieux patrimoine de l’AEIF qu’il lui revient de revaloriser (notre interview à paraître la semaine prochaine). Le HCC a donc du pain sur la planche !