Points de vue

Le silence de la mort

Pourquoi se taisent les prêcheurs du dialogue face au génocide à Gaza ?

Rédigé par Mohamed Mestiri | Mardi 3 Février 2009 à 11:08



« Silence on tue ! », telle est la devise de la barbarie israélienne à Gaza.

« Silence on laisse tuer ! » telle est l’attitude du monde interreligieux dans son ensemble, à quelques exceptions prés. Une attitude notamment observée chez les prêcheurs du dialogue dans les communautés juives de France et d’Europe.
Pire encore dans l’indifférence à l’égard de la dignité des palestiniens, tous ceux qui croyaient à la sincérité de ces prêcheurs de la « paix » ont été choqués par cette volonté affichée de cautionner la politique coloniale et raciale d’Israël. Mais peut-on être porteur de paix et acteur de guerre à la fois ? Peut-on prier ensemble dans le mépris des droits et de la justice ? Peut-on s’inscrire dans la spiritualité et causer des souffrances à autrui ?

Où se cachent-ils ces artisans de la paix des âmes et entre les hommes, dans ces communautés de « justes », ceux avec lesquels on partage les beaux prêches réciproques lors des tribunes de l’interreligieux et de l’interculturel pour défendre l’idéal du vivre ensemble dans « l’amour de son prochain », le respect de son intégrité et le soutien de sa vérité et de sa juste cause ? Peut-on dialoguer dans ce silence obscur, sournois et complice ? Certes, le dialogue est une démarche de confiance et de paix qui se construit sur le principe de l’équité et de la justice, et dans l’esprit du respect réciproque. Le dialogue doit renforcer dans le croyant sa conviction que la diversité est une richesse, mais qu’il existe un devoir d’unité à retrouver dans cette diversité pour défendre la dignité. Cette dignité qui a honoré l’homme sur terre le proclamant vicaire « Nous avons honoré et rendu digne les fis d’Adam » (Coran 17/70)

L’attitude de suprématie dans un processus de dialogue ne provoque que des tensions et ne façonne que des complots. Elle génère aussi une atmosphère de surenchère sur la mémoire, les victimes, et l’adaptabilité aux règles de civisme et de démocratie. Une perversité de l’esprit qui trahit l’esprit de cohérence et de générosité, celui qu’on affiche dans ce beau monde du « dialogue ». Nous ne pouvons accepter de considérer les centaines de victimes civiles palestiniennes comme moins importantes que les quelques victimes israéliennes, et réciproquement consentir à la logique inverse, car une victime innocente doit être perçue dans sa dignité et non dans sa couleur religieuse, ethnique ou nationale. Au nom de la justice et de la sincérité, l’âme de toute religion, épargnons à nos morts d’être exposés à la course de la rivalité et de l’opposition. Laissons leurs âmes en paix à défaut d’avoir su les épargner de la mort.

Force est de constater que l’incohérence du monde interreligieux entre ses beaux discours et son mutisme désolidarisé sur le terrain à l’égard des communautés musulmanes n’est pas un phénomène nouveau. Nous observons fréquemment des hésitations flagrantes, voire même des complaisances déclarées face l’urgente condamnation de l’islamophobie, du racisme, et des inégalités dont sont victimes les communautés musulmanes en France et en Europe. En outre, dans l’ensemble des cercles du dialogue, des tentatives négatives persistent, faites de suspicion et d’amalgame à l’égard de l’islam. Leurs objectifs sont d’introduire au débat la question de l’incompatibilité et de l’incapacité de l’islam et de ses fidèles à intégrer la modernité, notamment dans son volet de droits de l’homme et de démocratie. Peut-on au nom d’une spiritualité ou d’un humanisme quelconque défendre une « démocratie » israélienne génocidaire ? L’art sophiste, celui de se moquer de la cohérence ne peut pas résister bien longtemps devant la vérité.

Cependant nous restons convaincu que le dialogue interreligieux est indispensable non seulement pour un meilleur vivre ensemble dans le respect, mais aussi pour mûrir la vocation universelle et humaniste au sein de chaque religion. A défaut, les religions risquent de trahir leur spiritualité et instaurer leur autorité en faveur du communautarisme et du repli identitaire. Seulement, le dialogue espéré ne devrait nullement se limiter à la charité, et encore moins à la propagande. Il doit s’inscrire dans une dynamique d’éducation pluraliste et humaniste capable d’occulter les tentations instrumentalistes à l’égard du capital spirituel de chaque religion, afin de contribuer à élever les conditions humaines vers une ère civilisationnelle plus respectueuse de la justice et de la dignité. C’est le dialogue du partage de l’humain contre celui du monopole de la vérité.