Points de vue

Le livre ou la télévision, la faillite du niveau culturel

Rédigé par Mustapha Cherif | Jeudi 27 Aout 2015 à 08:00



Dans un monde désorienté et marqué par la crise de l’éducation, nous avons besoin de réfléchir sagement et raisonnablement. L’amour de la lecture devrait nous y aider. La jeunesse regarde la télévision environ deux heures par jour, temps qui varie selon les pays et le niveau de développement. La télévision est un moyen de communication attractif qui offre des loisirs aux jeunes : films, musiques, jeux et autres émissions. Elle a un attrait et une richesse visuelle que n’a pas l’écrit.

Cependant, la lecture d’ouvrages reste la base de la culture, du savoir. L’image télévisuelle est agréable à la vue, mais éphémère, elle ne fait pas assez travailler l’esprit. C’est toute la différence entre l’écrit et l’image. L’audiovisuel sollicite la vue et l’ouïe, mais favorise rarement le temps de la réflexion.

Les avantages de la lecture

Dans la lecture et l’écrit, l’individu s’investit et mémorise de manière critique, d’autant que le texte est souvent choisi volontairement, contrairement à la télévision qui impose les images qu’elle veut. Un texte, on le suit à notre rythme et doit être décodé pour être compris. Chacun s’implique activement pour lire, alors que, face à la télévision, la passivité est plutôt de mise. L’acte de lire forme l’esprit à la participation, à la créativité et responsabilité. En outre, Cela détend et peut passionner dans la sérénité.

Aux jeunes nous devons offrir des livres. La lecture permet d’apprendre à s’exprimer, d’enrichir le vocabulaire, de découvrir des styles et de favoriser la vie culturelle. L’identité réside d’abord dans la maîtrise de la langue, de la mémoire et la capacité à renouveler et enrichir le patrimoine. Le livre en est la base.

La baisse du niveau culturel

Dans les pays de la rive sud, les enfants lisent peu ; dans ceux de la rive nord, ils lisent moins que par le passé. La télévision et Internet perturbent l’acte de lire. Les parents et les enseignants constatent la baisse du niveau culturel. Ne pas lire, c’est devenir analphabète. Des élèves peuvent à peine lire une page sans faire de fautes et ne comprennent pas le sens du texte, incapables d’en tirer toutes les leçons. Lire, c’est mémoriser des idées, un vocabulaire et des informations utiles pour la maturité et la vie sociale. L’intérêt pour la lecture doit être éveillé avant l’entrée à l’école, par les parents et l’école maternelle. Car la télévision et Internet empêcheront les enfants de lire, s’ils n’ont pas commencé tôt.

La télévision, malgré certains de ses avantages, crée une illusion et de la passivité. Umberto Eco écrit : « Pour moi, le plus grand danger, aujourd’hui, vient de la télévision. Ce danger commence avec l’animateur qui n’interviewe que des personnes défendant des thèses insensées et perverses. On fait croire aux spectateurs que la perversion, c’est la normalité. »

Se divertir est une activité normale, mais regarder la télévision ou travailler avec un ordinateur ne remplacera jamais la lecture. Certes, tout cela peut se compléter, mais le problème réside dans le fait que la lecture d’ouvrages est faible. La télévision et l’usage des NTIC plus de deux heures par jour. Le déséquilibre est flagrant. Pourtant, seule la lecture permet d’acquérir des savoir-faire approfondis et fondamentaux et de les développer de manière autonome.

Un exutoire

De plus, le temps passé devant la télévision est susceptible de perturber la personnalité et l’identité de l’enfant. Avant même que la question des programmes et contenus ne se pose, celle du temps passé consacré à la télé est un sujet majeur. Le fait de se mettre en face de l’écran duquel il est contraint à la passivité est susceptible d’enfermer l’enfant dans un statut de récepteur sous influence et sous accoutumance.

Les recherches relatives au développement du lien d’attachement montrent qu’il est à craindre qu’un enfant qui se développe avec cette présence permanente de la télévision, construit un tel attachement à cette télévision, qu’il sera partisan du moindre effort. Devenu adulte, il ne pourra plus se passer de cette présence, et sa personnalité sera passive, incapable de créer ses propres repères et visions du monde, de faire le tri des images et messages et de s’engager dans le réel.

En l’absence de loisirs et de programmes éducatifs attrayants pour les jeunes, la télé et Internet constituent leur exutoire. Cela est excessif et nuit à la possibilité de se connaître soi-même, de lire, de réfléchir et de dialoguer avec sa famille, ses amis et voisins. Certes, c’est une fenêtre ouverte sur le monde et il y a des émissions qui peuvent être instructives, mais elles sont de plus en plus rares.

La violence, l’incitation à la consommation, à la jouissance à tout prix, et la propagande pour telle ou telle idéologie, constituent l’essentiel des programmes télévisés dans le monde. L’influence de doctrines et pratiques superficielles, nuisibles et non conformes à nos valeurs et intérêts par les télés satellitaires, d’Orient ou d’Occident, leurs images et messages troublent et transforment les repères, notamment pour les enfants. Les télévisions perturbent les mentalités et traditions et diffusent parfois des programmes qui infantilisent et dénaturent.

Quel développement pour l'enfant ?

Aujourd’hui, le développement d’un enfant passe par la capacité d’interagir avec les différentes données et objets qu’il rencontre. Alors que, comme le savent les spécialistes, l’interactivité est psychique chez l’adulte et l’enfant devenu grand, elle a encore besoin de s’appuyer sur le corps et la motricité chez l’enfant jeune.

L’enfant a besoin du contact physique et réel du monde qui l’entoure. Il est à craindre que le temps passé devant les images virtuelles des émissions d’une chaîne de télévision (dessins animés ou films) ne l’éloigne en réalité des activités naturelles, motrices et interhumaines, fondamentales pour son développement.

L’enfant se développe et n’établit une relation satisfaisante au monde qui l’entoure que s’il peut se percevoir comme un être de relation. C’est ce qu’il fait quand il manipule des objets autour de lui et cherche à les réinventer et à les transformer selon sa propre imagination. Il est à craindre que l’installation trop longtemps d’un enfant devant un écran ne réduise sa volonté de pouvoir d’agir sur le monde et de dialoguer et ne l’enferme dans un statut passif, simple spectateur du monde.

Priorité au livre !

Des travaux scientifiques, notamment ceux qui sont appliqués à la relation mère-enfant, montrent que l’être humain est capable de s’accrocher aux éléments les plus présents de son environnement. La nécessité de développer la personnalité de la jeunesse passe par la variété des pratiques culturelles et un programme éducatif qui les encourage à rencontrer et discuter avec les autres, à lire et à assumer la sociabilité.

La société a besoin de donner la priorité au livre. Car la situation est préoccupante. Pour répondre aux immenses besoins de compétences, pour relever les défis du développement pour former des citoyens équilibrés et matures, la tâche de tous les acteurs culturels est de tout faire en vue de donner à lire à la jeunesse, afin qu’elle ne s’enferme pas, mais dialogue, s’ouvre au savoir et apprenne à agir de manière réfléchie. Il n’y a pas d’avenir sans livre. L’avenir se joue en partie sur cette question du livre, non pas face au petit écran passif pour fuir les réalités. Il devient urgent d’œuvrer pour inciter à lire et multiplier les bibliothèques et les librairies.

La télévision, dans le monde du libéralisme sauvage, notamment celle qui est entre les mains de marchands sans éthique ni principes, fait courir un danger aux jeunes et aux différentes sphères de la production culturelle. La télévision commerciale ou de propagande, comme certains médias, recherche l’audience, l’audimat, l’urgence, sans se soucier des problèmes de fond, des besoins et valeurs propres à chaque société. Le règne de l’audimat donne une place excessive à l’émotion superficielle, aux faits divers et au sensationnel sans enjeu, ce qui aboutit au nivellement et à la stérilité intellectuelle.

Dans le monde dominant, comme le signalait Pierre Bourdieu, des télévisions privilégient toujours les mêmes intervenants  qui proposent une sous-culture, des locuteurs habitués des médias pour dénigrer et polémiquer, dans un monde clos, de questions creuses et biaisées, en vue de banaliser des contre-vérités. Le livre, au contraire, permet au lecteur de se faire sa propre opinion, de vérifier, de prendre le temps, de critiquer et comparer. Un citoyen responsable qui respecte le droit à la différence et la diversité des opinions est un citoyen qui lit.

« Bonne lecture » devrait être le mot d’ordre de notre temps. La civilisation musulmane, qui a illuminé le monde durant mille ans, l’a fait sur la base d’un Livre, dont le premier mot révélé est « Lis », sur la base de l’amour des livres des savants. Le renouveau et le vouloir vivre ensemble peuvent se réaliser lorsque la réconciliation avec la lecture et l’écriture seront la tendance lourde.

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Mustapha Cherif est philosophe, auteur notamment de Le principe du juste milieu, Éd. Albouraq, 2014.