Points de vue

La « success story » de l’islam de France

Par Franck Frégosi*

Rédigé par Franck Frégosi | Mercredi 25 Aout 2010 à 15:25



Franck Frégosi : « L’islam de France, résolument pluriel, est devenu acteur de sa propre sécularisation. »
L’habitude est prise de ne voir l’islam qu’au travers du prisme déformant et dépréciatif des polémiques (foulard dans les écoles, horaires aménagés des piscines, voile intégral…) et des querelles médiatisées (caricatures du Prophète…), qui attisent les phobies de certains : « islamisation rampante », « menace communautariste », « effondrement du modèle républicain »… Cela nous laisse la désagréable impression que, décidément, les musulmans peinent à trouver leur place dans une France devenue profondément sécularisée… et pourtant religieusement plurielle.

Pourtant, cet islam de France véhicule aussi son lot de satisfactions, d’acquis positifs et est tout aussi porteur d’espoirs. Tout d’abord, la question de la légitimité de la présence et de la visibilité des mosquées semble ne plus être une source majeure de tensions. Les articles parus dans la presse ne cessent d’égrener les mosquées sorties de terre, avec l’aval et souvent le soutien financier indirect – laïcité oblige ! – des élus. On serait même tenté de s’étonner devant tant d’empressement à bâtir des mosquées. Faut-il y voir une manière de rattraper le déficit passé en matière de lieux de culte musulman ? Ou bien la manifestation intéressée d’une stratégie visant à se fidéliser un hypothétique vote musulman ?

Ensuite, l’islam de France est devenu acteur de sa propre sécularisation. Cela se traduit par la diversité des manières de décliner dans le quotidien son appartenance à l’islam, selon des registres plus ou moins religieux, plus ou moins observants, plus ou moins culturels et identitaires. Par-delà les clichés et les tendances bien réelles à la standardisation de la pratique de l’islam, on observe que les musulmans de France semblent réfractaires à tout processus d’uniformisation de leurs comportements.

Heureusement, les musulmans ne sont pas plus enclins à accepter la stigmatisation grossière dont ils sont parfois la cible qu’à se voir dicter leurs comportements par d’autres, ni dupes envers les discours naïvement émancipateurs qu’on leur adresse. Ils ne sont guère plus sensibles à la logique d’embrigadement jihâdiste comme à la dynamique maximaliste de type salafiste, les incitant à se tenir en retrait des sociétés et des débats citoyens qui s’y déroulent. Ils ne sont pas plus enthousiasmés par les discours de ceux qui leur enjoignent de se délester d’une part de leur religion pour devenir de meilleurs citoyens.

Cet islam de France est résolument pluriel. Il est riche de parcours culturels, de profils intellectuels et de figures militantes. Du slameur soufi à la rappeuse convertie ; de l’imam dénonçant les sollicitations abusives des sources de la religion au philosophe aux accents existentialistes ; du président d’un CRCM engagé dans le dialogue islamo-chrétien au juriste spécialiste du fiqh sur le Net, en passant par les nombreux acteurs associatifs et politiques… Sans oublier les musulmans lambda, révoltés par le drame de Gaza mais qui ne mettent jamais les pieds à la mosquée… Tous ces visages font l’islam de France d’aujourd’hui.

C’est peut être d’abord cela la véritable success story de l’islam en France : un islam pluriel et des musulmans qui ne sont pas nécessairement d’accord entre eux sur ce que représente l’islam mais qui agissent et participent aux débats de notre société d’aujourd’hui, tout en étant porteurs de projets et d’espérances pour la société de demain.


* Franck Frégosi, directeur de recherche au CNRS, chargé de cours à l’IEP d’Aix-en-Provence, est l’auteur, notamment, de Bruno Étienne, le fait religieux comme fait politique (Éd. de l’Aube, 2009) et de Penser l’islam dans la laïcité (Fayard, 2008).