Archives

« La seule manière de voir si une prédiction est bonne est de faire des observations »

Rédigé par Assmaâ Rakho Mom | Mardi 11 Septembre 2007 à 11:19

A la veille de la Nuit du doute, cette nuit durant laquelle les musulmans observent le ciel afin d'y voir le premier croissant de lune annonçant le début du mois de Ramadan, Saphirnews a choisi de donner la parole à Patrick Rocher, astronome à l'Institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides (IMCCE), à Paris, dans le but d'éclairer nos lecteurs au sujet du mois lunaire et de sa détermination. Précisons que l'Institut a prévu scientifiquement le début du mois de Ramadan pour jeudi 13 septembre 2007. Entretien.



Saphirnews : Comment détermine-t-on un début de mois lunaire ?

Une lunaison est un cycle complet de la lune. La durée entre deux pleines lunes est environ 29,5 jours.
Patrick Rocher : Théoriquement, les mois lunaires débutent à la nouvelle Lune, qui est l'instant où la Lune et le Soleil ont la même longitude géocentrique.

Cet instant est calculable mais n'est pas observable. C'est pourquoi, depuis la plus haute antiquité, on utilise la visibilité du premier croissant de Lune pour décider du début du mois lunaire. On peut également utiliser un calendrier perpétuel basé sur la valeur moyenne de la lunaison. Si l'on fait cela, on a un calendrier qui suit bien la lunaison en moyenne mais cette lunaison moyenne peut être décalée de la lunaison vraie de plus ou moins sept heures. Ce qui est important, la Lune se déplaçant d'environ un demi-degré par heure. C'est pourquoi les musulmans continuent d'utiliser la visibilité du premier croissant pour déterminer le début et la fin du mois de jeûne. Un mois lunaire ne pouvant pas avoir plus de trente jours, si le croissant n'est pas observé le trentième jour, le jour suivant est le premier jour du mois.

Le mois lunaire varie-t-il d'un pays l'autre ?

Patrick Rocher, astronome à l'Institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides
Patrick Rocher : Si on utilise la visibilité du premier croissant pour déterminer le début du mois, cette observation est forcément locale. Or, la visibilité du croissant dépend du lieu d'observation et de la période de l'année. En effet, suivant le lieu d'observation la visibilité du croissant, pour une même distance angulaire entre le centre de la Lune et le centre du Soleil (élongation), peut être plus ou moins facile. Ainsi, il est très difficile d'observer le premier croissant aux fortes latitudes de l'hémisphère nord pour les lunaisons proches de l'équinoxe d'automne, inversement cette période est très favorable dans l'hémisphère sud.

De plus, le croissant de Lune est visible le soir au coucher du Soleil, plus on se décale vers l'ouest, plus le coucher du soleil est retardé et plus la distance entre la lune et le Soleil augmente, ce qui facilite la visibilité du croissant. Donc on a non seulement un effet de la latitude, mais également un effet de longitude. Le calendrier basé sur l'observation est donc fortement local. Il peut donc y avoir un jour, voir deux jours d'écarts (si l'on est proche de la ligne de changement de date) dans le début du mois. Pour les latitudes extrêmes, au niveau et au-dessus des cercles polaires, le croissant de Lune n'est plus visible pendant de longues périodes de l'année.

La nuit du doute a-t-elle encore un sens aujourd'hui ?

Patrick Rocher : Un calcul scientifique donne un résultat qui est très précis mais qui dépend des critères de visibilité utilisés. Il ne faut donc pas confondre la précision du calcul et la précision de la prédiction. Tous les critères de visibilité ne sont identiques et peuvent décaler la visibilité d'un jour pour un lieu donné en fonction du critère choisi, il y a donc une « Nuit du doute » même pour les calculs scientifiques, sauf lorsque tous les critères donnent le croissant visible ou invisible. De plus, les calculs de prédiction ne tiennent pas compte des conditions météo.

En conclusion, la seule manière de voir si une prédiction est bonne est de faire des observations. Il existe de nombreuses organisations qui, sur le Web, enregistrent l'observation ou non du premier croissant de Lune et cela toute l'année, par exemple ICO Project. Ces observations permettent d'améliorer les critères de prédiction, mais il convient d'être prudent car, comme les musulmans sont répartis en grande majorité dans des pays de faibles latitudes, ces observations peuvent présenter un biais observationnel rendant les critères issus de ces seules observations difficilement utilisables aux fortes latitudes.

Bien évidemment, les astronomes calculent la visibilité du premier croissant à la demande des instances religieuses, mais c'est à ces instances de décider de la date du début et de la fin du jeûne.

L'Institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides dépend de l'Observatoire de Paris et remplace l'ancien Service des calculs et de mécanique céleste du célèbre Bureau des longitudes. Son personnel, composé d'une trentaine de chercheurs mais aussi d'étudiants-stagiaires dépend du ministère de l'Education nationale et de la Recherche mais aussi du CNRS.

L'IMCCE a deux activités principales, peut-on lire sur le site de l'institut : « Une mission de recherche dans les domaines de la mécanique céleste sous ses aspects tant mathématiques que dynamiques, de l'astrométrie et de la planétologie et une mission de service consacrée à l'élaboration d'éphémérides. »

Ramadan_2007[1].pdf  (1.26 Mo)