Archives

« La meilleure façon d’avancer se trouve dans la résistance pacifique »

Rédigé par Propos recueillis par Fouad Bahri | Mardi 27 Juin 2006 à 16:47

Fille du fondateur du mouvement islamique marocain ‘Adl wal ihsane (Justice et spiritualité), Nadia Yassine est l’une de ses représentantes et de ses voix les plus porteuses. Ecrivain, conférencière, elle arpente les nations et les sociétés pour défendre la liberté d’expression et la justice dont son organisation est privée, confisquées par les autorités de Rabat qui voit d’un mauvais œil le développement d’un mouvement de plus en plus populaire au Maroc. A l’occasion de sa dernière conférence à Paris, vendredi 23 juin, nous l’avons rencontré pour en savoir plus sur ses intentions et ses espoirs.



Saphirnews.com : Quelle est votre réaction à la suite de la vague de répression qui a frappée votre mouvement ?

Nadia Yassine : Je pense que le makhzen (ndr : le palais royal) veut d’une part nous décrédibiliser en nous poussant à avoir des actions violentes ce qui lui permettra d’aller dans le sens de la spirale anti-mouvement. Il n’est pas question de lui donner cette aubaine car nous croyons très fort que ce n’est pas en optant pour la violence que l’on peut changer nos sociétés arabo-musulmanes. Je pense que la meilleure façon d’avancer se trouve dans la résistance pacifique.

Nous sommes sur ce point égaux à nous-mêmes depuis plus de trente ans. Nous avons un principe de base qui est la non violence et nous resterons non violents jusqu’au bout. Par contre nous avons opté pour la résistance, pour ne pas baisser les bras, quitte à être tous emprisonnés, et je crois que cette résistance pacifique est notre force.

Après quelques temps d’accalmie qui avait marqué l’accession de Mohammed VI au trône, à quoi attribuez-vous cette recrudescence répressive ?

N.Y : Il y a une nervosité accrue chez le makhzen car il y a les échéances électorales de 2007 avec les élections législatives. Cette nervosité est du à un pronostic américain qui donne le PJD (ndr : Parti pour la justice et le développement), qui est l’autre mouvement islamique intégré au système, comme susceptible d’avoir 47 % des voix. Le makhzen pense que nous sommes en train de fomenter une sorte de campagne électorale en connivence avec le PJD, il croit qu’il se prépare une sorte de magouille électorale ce qui n’est pas le cas du tout. Voilà la lecture que l’on peut faire des évènements actuels.

Par ailleurs, il y a certainement d’autres paramètres. Le makhzen ne supporte pas l’ouverture et nous avons opté pour des portes ouvertes (ndr : c’est à la suite de l’organisation de journées portes ouvertes pour se faire connaître du public, que le mouvement ‘Adl wal ihsane a connu une vague de répression par le pouvoir marocain). Chaque été nous faisons des actions de communications et cet été c’était les journées « portes ouvertes ». On essayait de lever le voile sur cette campagne de dénigrement systématiquement entretenu par une presse pro-makhzénienne, et il y en a beaucoup.

Il n’y a pas de presse indépendante au Maroc. Nous avons essayé de communiquer car c’était le seul moyen que nous avions. Nous n’avons pas d’organe de presse, nous n’avons pas le droit aux mosquées. Pour nous, il était vital de communiquer avec l’opinion publique marocaine et cela a énormément dérangé le makhzen.

Au-delà des étiquettes qu’on accole à l’adl wal ihsane, comment présenteriez-vous votre mouvement ?

N.Y : C’est très difficile d’aller à l’encontre de ces étiquettes que l’on colle à l’ensemble des mouvements islamiques. On dit islamiste. Mais en fait ce n’est pas cela. Nous sommes un mouvement de société qui fait récurrence, qui a toujours fait récurrence dans l’histoire des musulmans.

A chaque fois que les sociétés musulmanes allaient mal, il y a eu des personnes ou des mouvements qui se sont prononcés en faveur d’un certain changement. Je dirais que nous, nous allons plus loin qu’un certain changement puisque avec nous, le changement est certain ! En dépit du climat international et des clichés « islamistes » que l’on nous colle, nous sommes un mouvement de société dans une aire arabo-musulmane.

Votre mouvement milite t’il toujours pour l’abolition de la monarchie et l’établissement du califat ?

N.Y : Ce sont des caricatures que l’on essaie de nous adosser. Nous militons pour des valeurs de justice et de spiritualité qui sont liées au califat. Il n’est pas important que cela soit réalisé sur la forme, il est important que cela le soit dans l’esprit du califat. C’est une exigence de justice.

Comment obtiendrez-vous les changements que vous réclamez si vous refusez toute participation électorale ?

N.Y : Les conditions d’une participation politique et démocratique au Maroc ne sont pas réunies. Comment voulez-vous que les gens votent et choisissent leurs responsables alors qu’une partie importante du peuple souffre d’analphabétisme ? Parler d’élections libres dans ces conditions est une blague. Le jeu politique est verrouillé et toutes les élections au Maroc ne sont qu’une farce.

Nous observons néanmoins que nombre de nos propositions ont été reprises par le makhzen telle que dernièrement la création d’un centre de formation pour des femmes imams et des cadres religieux. Cela fait longtemps que nous réclamions et proposions ce type de réforme.

Vous avez pris une certaine ascendance au sein de l’Adl wal ihsane. Cela pose la question de la succession à la tête de votre mouvement. Une femme leader est-il un scénario envisageable ? Les esprits sont-ils prêts pour cela ?

N.Y : Je vais parler en mon âme et conscience. Je n’ai aucune envie d’être à la tête du mouvement. C’est une très lourde responsabilité quant on s’inscrit dans le cadre de la spiritualité. Je ne vois pas pourquoi on reproduirait des schémas que nous critiquons et que nous fustigeons.

L’hérédité, même si on a peut-être du mérite, même si j’avais été un garçon, je pense que j’aurais beaucoup de réticence à accepter ce genre de chose. Nous reproduirions la monarchie héréditaire, ce qui n’est pas notre volonté.

Maintenant, objectivement parlant, il ne faut pas rêver. C’est un phénomène universel, une femme est très difficilement acceptée à la tête de mouvements qui sont perçus, entre autre, comme politique. On a vu qu’ici en France, Ségolène Royale, ce n’est pas encore dans la poche même après trois cent ans de démocratie.

Nous sommes parties pour avoir un héritage institutionnel. Ce seront des institutions qui hériteront du charisme de mon père. Mon père est irremplaçable dans la mesure où c’est lui le fondateur du mouvement. Tout est bien en place pour que la succession se fasse au sein d’institutions mine de rien, extrêmement démocratiques, extrêmement équilibrées.

Vous êtes de retour des Etats-Unis où vous avez milité pour l’établissement d’un partenariat entre sociétés civiles. Vous avez aussi de nombreux sympathisants en France. Quel message souhaitez-vous leur adresser ?

N.Y : J’espère sincèrement que la société civile française n’a pas totalement basculé dans la langue de bois et les lectures réductionnistes parce que quelque part, les piliers de la société civile ce sont une certaine pensée intellectuelle et je crois que cela commence à manquer terriblement au sein de la société française. Je suis extrêmement pessimiste mais je garde un espoir en pensant qu’il y a des alternatives même au sein de cette société civile française et je compte sur ces personnes qui ne sont certainement pas dénuées de sagesse et de bonne volonté.