Points de vue

La difficulté de dire Dieu dans une société qui pense ne pas en avoir besoin

Rédigé par Fethi Mahmoudi | Samedi 16 Mars 2019 à 01:51



« Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! » Ainsi parlait Zarathoustra, dans les œuvres de Friedrich Nietzsche, en faisant le constat, à la fin du XIXe siècle, de la déchristianisation des sociétés européennes suite à la révolution industrielle et la transformation profonde des modes de vie (organisation du travail et des classes sociales, urbanisation massive, productivité et consommation). « Comment nous consoler, nous, les meurtriers des meurtriers ? Ce que le monde a possédé jusqu’à présent de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous notre couteau », poursuivait-il.

« Dieu est mort ! » est une des célèbres citations du philosophe allemand qui constatait le détachement du fait religieux en Europe et prônait une doctrine n’admettant aucune contrainte de la société sur l’individu. Refusant ainsi tout absolu religieux, métaphysique, moral ou politique. L’homme est un animal habité par des pulsions internes qu’il faut libérer pour lui garantir son évolution et intensifier sa vie physique et sensorielle.

L’homme n’est que matière. Toute notion d’idéal établie par les philosophies premières ou la religion chrétienne doit voler en éclat pour laisser l’homme penser librement. C’est ce qu’appelle Friedrich Nietzsche la « volonté de puissance » de l’homme.

Réhabiliter l’homme, c’est le réconcilier avec lui-même

Ce constat de la mort de la religion que partageaient d’autres philosophes de l’époque (Hegel, Durkheim, Foucault…), laissant vide le ciel des sociétés européennes modernisées, annonçait une chute de la morale, des antagonismes du bien et du mal, de la métaphysique et de normes chrétiennes. L’existence est devenue sans finalité aucune. Bien qu’il puisse observer l’univers qui l’entoure composer un mouvement harmonieux et la nature un merveilleux équilibre, l’homme vit, au milieu de tout cela, une absurde existence sans trajectoire et se débat quand-même pour « mieux exister ».

Cette vision de l’épopée industrielle, encouragée par une montée en puissance des prouesses technologiques, a-t-elle tenu ses promesses en matière de libération et d’émancipation de l’homme ? Avons-nous atteint les sommets d’une société vertueuse où l’équité et la fraternité fleurissent ? La route vers un avenir meilleur pour nous et nos enfants nous est-elle encore longue ? La nature nous rend-elle grâce des martyres – espèces disparues – que nous lui avons infligés ? N’aurait-on pas déconstruit certaines fondations annonçant un effondrement à venir ? Ne faudrait-il pas une boussole pour sortir du labyrinthe ?

Ces interrogations pointent aujourd’hui le doigt sur l’homme et non plus sur Dieu. Réhabiliter l’homme, c’est le réconcilier avec lui-même (son intériorité spirituelle qui sommeille en lui), avec son entourage, son environnement, le temps qui compose sa vie et s’accélère par trop de frivolités, de communication et d’informations. Ce travail sur soi d’amnistie et de pacification, qui demande une détermination, une prise de conscience et un long souffle spirituel nourrit l’âme et remet sur pied l’homme.

Il n’est plus le producteur-consommateur-destructeur mais il est la promesse d’un monde meilleur. Il devient l’artisan du changement global qu’attend l’humanité vers une civilisation de l’amour et de la sagesse. Sa vie n’est plus une trajectoire folle mais un parcours harmonieux, un cheminement orienté sur l’axe vertical de la spiritualité et l’axe horizontal de l’amour, de la bonté et de la fraternité. L’axe vertical de la spiritualité le hisse vers les sommets de la connaissance de soi qui ouvrent à la connaissance de Dieu. Le rapport apaisé à soi et aux autres est le fruit d’un rapport apaisé au Créateur. Il n’y a plus d’intermédiaire entre l’Homme et Dieu mais des obstacles à franchir dont l’égo, les passions, l’avarice et bien d’autres pathologies.

Tous les dieux sont-ils réellement morts ?

Ce chemin plein d’embûches ne peut se faire seul. Il nécessite une bonne compagnie qui a déjà parcouru ce chemin, dotée d’une profonde sagesse et d’un grand cœur. Ce sont les héritiers des prophètes, qui ont su par leur grand cœur conserver l’authenticité du message que l’érosion des siècles corrompt. Ils invitent à la connaissance de Dieu dans le détachement. Ils ne recherchent aucun pouvoir, ni titre, ni notoriété. Ils sont dans l’effacement mais leur lumière finit par les dévoiler. Ces hommes se font rares et ne sont pas forcément là où on les attend.

Le matérialisme, le rationalisme et l’individualisme suscités par la « mort de Dieu » n’a fait qu’exacerber la violence et la concentration des richesses et du pouvoir par une minorité qui dicte la norme à l’humanité et impose son credo. Tous les dieux sont-ils réellement morts ? Un dieu qui se nourrit de ses sujets et les asservit est un dieu voué à mourir laissant derrière lui un champ sinistré. Dire Dieu à travers le vocable arabe La ilaha illa Allah, c’est refouler tous ces faux dieux (interne ou externe à l’homme), et prendre le chemin de cette ascension vers l’accomplissement et la liberté (ihsane).

Ce n’est que de très haut que l’on prend l’air pur, que la vue s’éclaircit, que l’on dépasse les obstacles, que l’on rejette toute forme de violence et que l’on résiste à toute forme d’injustice, qu’espoir et confiance jaillissent et que peur se dissipe. C’est de là-bas, très-haut, que l’on trouve sa liberté et son émancipation. C’est de là-bas, que la vision d’un retour vers l’Eternel, devient limpide, nous sort du labyrinthe et ouvre les perspectives de la vie dernière.

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Première parution de l'article sur le site de Participation et Spiritualité Musulmanes (PSM).

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