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'La destruction du Liban fait partie du plan « Grand Moyen-Orient »'

Rédigé par Propos recueillis par la rédaction | Jeudi 10 Aout 2006 à 15:46

Gilles Munier est un vieux militant de la cause palestinienne. Son engagement remonte au début des années 60 et à ses rencontres avec Abou Djihad, un des fondateurs du Fatah, puis Ahmed Choukeiri, Président de l’OLP.
En 1974, permanent de l’Association de Solidarité franco-arabe, il participe à l’opération Commandos de la Paix au Sud-Liban pour dissuader les Israéliens de bombarder – déjà - les villages et les camps palestiniens. Il séjourne dans le camp de Bordj Al Chamali, près de Tyr.
Secrétaire général des Amitiés franco-irakiennes depuis 1986 – association fondée par l’orientaliste Jacques Berque -Gilles Munier est un fidèle observateur et un fin connaisseur de l'actualité du Moyen-Orient. Il est également l’auteur du « Guide de l’Irak » paru en 2000 (Ed. Jean Picollec) et traduit en américain



Vous revenez dans votre dernier bulletin sur les circonstances de l’enlèvement des deux soldats israéliens, qu’on a présenté comme la cause du conflit. Que s’est-il passé ?

Beyrouth sous le feu des bombardements israéliens

Israël cherchait un prétexte pour attaquer, pour empêcher la concrétisation sur le terrain de l’alliance entre le Hezbollah d’Hassan Nasrallah et le mouvement du Général Aoun. Alors, les Israéliens ont envoyé un commando au Liban, du côté de Aitaa Al-Chaab, protégé par un char Merkava. Ils savaient que cela tournerait mal et qu’ils pourraient ensuite parler de casus belli.

Dans les heures qui ont suivi la destruction du char, les agences de presse – notamment l’Associated Press – et la chaîne de télévision MSBC ont rendu compte normalement de l’événement. Puis, comme Israël et les Etats-Unis avaient une autre manière de voir les choses – et comme la France est associée à leur projet – la version israélienne a prévalu : ordre était de dire que les soldats avaient été tués et enlevés en territoire israélien. C’est un gros mensonge… Bien sûr, on n’a plus entendu parler du char Merkava dont la carcasse était encore visible près de Aitaa Al-Chaab. Voilà un bel exemple de domestication de certains médias par le lobby pro israélien.

Selon Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche du monde arabe et méditerranéen, les poids lourds du monde arabe, Arabie saoudite, Egypte et Jordanie, avait donné leur aval pour une intervention israélienne rapide contre le Hezbolla


Je partage tout à fait son opinion. C’est d’ailleurs une preuve de plus que les événements survenus à Gaza et au Liban, ne sont pas la conséquence du « kidnapping » de soldats israéliens. L’existence du Hamas et du Hezbollah ne cadre pas avec les projets occidentaux dans la région, que ce soit ceux des Etats-Unis et d’Israël de remodeler le Proche-Orient, ou de la France qui cherche à sauvegarder sa zone d’influence, sa « part du gâteau » comme on disait après la Première guerre mondiale.

Quant aux dirigeants arabes, « poids lourds » ou « poids plumes »… ils sont pour la plupart usés par la corruption et les reniements successifs, pris entre deux feux : les ordres américains donnés en fonction d’intérêts du moment, et le vent de la révolte qui pointe à l’horizon dans chacun de leur pays.

Que les « poids lourds » prennent garde : ils sont peut-être les prochains sur la liste des néo conservateurs ! L’Arabie pourrait être divisée en deux royaumes : un du Nedj, l’autre du Hedjaz. En 1973, lors du premier choc pétrolier, Henry Kissinger y avait pensé. En Egypte, les néo conservateurs américains verraient bien la constitution d’un Etat copte, et la Jordanie pourrait être tout simplement démembrée, voir rayée de la carte, pour laisser la place à une enclave où seraient regroupés les réfugiés palestiniens.

Quelles seront les conséquences exactes de la destruction du Liban ?


La destruction du Liban fait partie du plan « Grand Moyen-Orient » et s’inspire d’un rêve sioniste datant de l’effondrement de l’Empire Ottoman. Mais rien ne dit que les néo conservateurs et les Israéliens parviendront à leurs fins, notamment la création d’un Etat chrétien vassal d’Israël.

La destruction du Liban, si elle survenait, provoquerait un raz de marée anti-occidental incontrôlable dans tout le monde musulman. Ce qui vient de se produire est déjà très grave et irréversible. Quand les Européens oseront-ils se désolidariser clairement des projets néo conservateurs ? Le double jeu de la France est pitoyable. Cette fois, la politique arabe gaulliste est bien morte.

Comme me le disait l’an dernier à Damas Khaled Machaal, chef politique du Hamas : « Si les Américains continuent, il y aura des Hamas et des Hezbollah du Maroc à l’Asie centrale ». C’est ce type d’organisation qui est aujourd’hui en phase avec les aspirations des peuples du monde arabe, pas les monarques discrédités et les nationalistes usés. Ce sont eux nos véritables interlocuteurs.