Points de vue

'La France est en chute de popularité au Moyen-Orient'

Rédigé par Propos recueillis par Fouad Bahri | Jeudi 3 Aout 2006 à 11:55

Barah Mikail est un chercheur de l'Institut des relations internationales et stratégiques, spécialisé sur le Moyen-Orient. Il revient, pour nous, sur les objectifs poursuivis par la diplomatie française et les conséquences que pourrait avoir le conflit sur l'ensemble de la région.



Saphirnews.com : Quelle est la logique poursuivie par la diplomatie française ?

Barah Mikaïl : La France a favorisé l'adoption de la résolution 1559, qui demandait à la Syrie de se retirer du Liban et au gouvernement libanais de procéder au désarmement des milices palestiniennes en présence au Liban ainsi que du Hezbollah, en septembre 2004, c'est-à-dire bien avant l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais Rafik Hariri. Mais force est de constater que depuis lors, la diplomatie française n'a pas réussi à concurrencer les Etats-Unis sur l'échiquier politique libanais.

C'est ainsi que le gouvernement libanais issu des élections législatives du printemps 2005 s'est finalement désengagé de l'influence syrienne pour se fondre sous coupe américaine. Et les développements intervenus sur la scène libano-israélienne n'ont pas pour autant poussé les Américains à modérer leur soutien quasi-inconditionnel à Israël, ni même à faire une quelconque pression sur lui de manière à favoriser un arrêt des violences.

Dans ce contexte, la France se voit forcée d'adopter une posture qui donne une impression de nuance vis-à-vis des Etats-Unis, mais sans pour autant risquer le moindre risque de confrontation directe. Quand Paris flatte Téhéran, c'est tout simplement une manière d'accompagner le rapport de forces régional qui se profile actuellement.

En dépit des apparences, l'Iran est tout simplement en train de se refaire une virginité et de réintégrer graduellement le concert des nations. La situation libanaise actuelle s'assimile de fait à une forme de tractation américano-iranienne indirecte, par voie de médiateur. Ce médiateur étant la France.

Par sa tiédeur et la condamnation tardive des assassinats de civils libanais, la France n’a-t-elle pas dilapidée son capital diplomatique au Proche-Orient ?

B.M : C'est à la fois vrai et faux. Il va de soi que les Syriens par exemple, en tant que population, étaient très remontés contre la France bien avant ces événements, chose que l'on a pu percevoir de manière très symbolique à l'occasion de la Coupe du monde.
La défaite française a en effet été source de satisfaction pour une très grande partie des Syriens amateurs de football, puisqu'ils y percevaient une sorte de revanche sur un pays qu'ils accusent d'avoir favorisé l'adoption de la résolution 1559 par opportunisme et volonté de se rapprocher de Washington.

Cependant, prises dans leur globalité, les opinions publiques arabes sont surtout "anti-américaines", et on ne peut pas vraiment avancer le fait qu'elles assimileraient pleinement Paris à Washington. La France est indéniablement en chute de popularité au Moyen-Orient actuellement, mais on ne peut pas pour autant parler de situation catastrophique pour elle ni même de point de non-retour.

Les Arabes de manière générale favorisent plutôt une analyse globale qui consiste à constater qu'aucun Etat ne semble réellement avoir le courage de s'inscrire à contre-courant des volontés américaines, que ce soit dans le cas de la France ou d'un quelconque autre pays.

Cela dit, il va de soi que l'absence de condamnation par la communauté internationale de la destruction d'infrastructures vitales et civiles libanaises, ainsi que le quasi-mutisme face au bombardement de la ville de Qana ainsi qu'à l'assassinat de nombreux civils libanais, ne contribuera en rien à renforcer l'aura régionale de la France ni d'un quelconque autre pays, occidental notamment.

N'oublions pas cependant que les relations internationales tendent de plus en plus à favoriser les tractations d'Etat à Etat indépendamment de ce que pensent ou manifestent les opinions publiques. C'est ce pari de Realpolitik pour lequel semble avoir opté notamment la totalité des Etats membres du Conseil de sécurité.

Certains observateurs font valoir le fait que ces attaques israéliennes étaient préparées depuis longtemps et qu’elles sont à rapprocher du plan d'un grand moyen-orient américain. Qu'en est-il exactement ?

B.M : Je ne crois pas qu'il faille voir dans les événements actuels la preuve d'une détermination israélienne préalable exclusive. La clé de décodage de cette situation se trouve, à mon sens, plutôt du côté de Washington.

Certes, la spirale de violences actuelle est née d'un événement qui n'était en rien inédit, le Hezbollah n'en étant pas à son premier coup d'arme vis-à-vis des intérêts israéliens. Néanmoins, le refus des Etats-Unis de peser en faveur d'un cessez-le-feu conforte la thèse selon laquelle Washington encouragerait les Israéliens à poursuivre leurs bombardements au Liban. Et c'est là que l'on est effectivement tenté de faire un rapprochement avec le fameux projet de Grand Moyen-Orient, qui est, exemple irakien à l'appui, synonyme de confessionalisation politique, et non de démocratisation de la région.

Si la situation actuelle venait à perdurer, l'une des hypothèses envisageables serait de voir les différents leaders politico-confessionnels afficher des désaccords politiques sur la question du Hezbollah qui pourraient engager leurs "électeurs" respectifs. Cas dans lequel toute dissension politique ne manquerait pas de rejaillir sur les différentes communautés libanaises.

Ce n'est pour l'heure qu'une hypothèse, mais qui, si elle venait à aboutir, consacrerait l'apparition d'un nouvel Irak régional, avec ce qui s'ensuit de tensions confessionnelles forcément en rupture avec toute favorisation de l'idée d'unité nationale.