Société

L’éco-islam

Par Eren Güvercin*

Rédigé par Eren Güvercin | Mercredi 17 Juin 2009 à 09:00

Depuis quelques années maintenant, un discours écologique fait son chemin dans le monde entier, un discours qui rapproche les thèmes écologiques avec les principes islamiques. Mais à quel point l’islam nous guide-t-il vraiment sur la durabilité écologique ? Eren Güvernic, jounaliste indépendant qui écrit pour Qantara.de cherche des réponses auprès de Sigrid Nökel, sociologue.



C’est plutôt inhabituel d’entendre parler de protection de l’environnement et d’islam dans le même contexte. Quels genres de concepts écologiques l’islam a-t-il à offrir ?

Sigrid Nökel : Les problèmes écologiques que nous connaissons aujourd’hui sont le résultat de l’industrialisation et du capitalisme, ce sont là des questions relativement récentes. Les sources islamiques sont, quant à elles, vieilles de plus de 1000 ans et sont apparues dans un contexte complètement différent. Alors en ce qui concerne les gens et leur environnement, nous ne pouvons qu’en tirer des idées d’une nature plus générale.

Il y a des termes que nous avons, comme : fitra, qui se réfère à la création tel un ordre naturel originel ; puis tawhid, qui se réfère à l’unité de la création , autrement dit que toutes les choses dans le monde sont liées les unes aux autres, car elles sont des signes égaux de Dieu, également importantes, précieuses et méritant notre protection ; et enfin mizan, équilibre, état d’une création bien ordonnée et qui doit être maintenue ainsi ou réparée.

On peut ajouter le concept de khilafa qui se réfère au rôle de l’humanité en tant qu’administrateur de la création. C’est le devoir de l’humanité de sauvegarder l’ordre de la création. Les fruits de la Terre sont là pour qu’on en jouisse, mais ses ressources ne doivent pas être exploitées inutilement.

On retrouve aussi dans les paroles et les gestes du prophète Muhammad et des premiers musulmans des exemples qui suggèrent que nous devons être modérés et prudents dans notre utilisation des ressources naturelles et que nous devons bien nous occuper de nos animaux. Ces paroles donnent l’exemple pour les générations suivantes.

Est-ce que la tradition islamique propose des concepts fondamentaux en rapport avec la protection de l’environnement ?

S. N. : Dans le passé, il y avait des lois dans les régions musulmanes qu’on pourrait décrire comme des instruments de sauvegarde de la Nature et de la faune. On essaie aujourd’hui de raviver ces lois régissant ce qu’on appelle les zones harim et hima, qui étaient des zones protégées près des sources et des chutes d’eau où il n’était pas permis de s’installer – notamment pour éviter que l’eau ne se pollue.

Jusqu’à présent, les musulmans n’ont pas été très remarqués dans le débat sur la protection de la Nature. Comment cela se fait-il ?

S. N. : La plupart des musulmans ne sont pas vraiment conscients de la relation entre la religion et la protection de l’environnement, ils le sont en fait d’une façon plus générale. La fondation Stiftung Interkultur, qui se trouve à Munich, est en train de mener une petite enquête qui montre que les musulmans qui prennent la religion au sérieux pensent que celle-ci exige « le respect de la Nature », ce qui les pousse donc à agir en conséquence dans leur vie quotidienne, que ce soit en aidant à protéger les espaces verts ou en persuadant les autres de ne pas gaspiller l’eau ou la nourriture, ou encore en réfléchissant à ce qu’ils consomment.

Il n’y a cependant aucune étude exhaustive et empirique sur la conscience écologique des musulmans. Ils n’ont jusqu’à maintenant pas été considérés comme un groupe concerné par ce sujet, ou alors ils ont été considérés comme au-dessus de ce genre de problèmes.

Existe-il des projets ou des initiatives « éco-islamiques » en Europe ?

S. N. : La British Islamic Foundation for Ecology and Environmental Sciences (IFEES) est l’une des organisations les plus connues sur ce plan. Il s’agit d’une organisation non gouvernementale, sœur de l’Alliance of Religions and Conservation (ARC) active au niveau internationale, avec laquelle l’ONG a travaillé sur des mesures de protection des côtes en Afrique. Ces mesures ainsi que les initiatives prises au Royaume-Uni ont été très efficaces et ont aidé « l’éco-islam » à se faire une image positive dans les médias. Dans EcoIslam, leur lettre d’information, dont la présentation est très professionnelle, le langage employé est une brillante synthèse des discours islamiques et écologiques.

Cette lettre d’information comprend un mélange judicieux d’articles faisant état des problèmes écologiques dans le monde ainsi que de sujets pratiques de tous les jours. L’IFEES maintient des liens avec des organisations britanniques régionales qui ont commencé leurs activités au cours de ces dernières années.

A votre avis, qu’est-ce que les musulmans pourraient apporter au débat actuel et tumultueux sur « la protection de l’environnement » ?

S. N. : Il semblerait que les musulmans doivent mieux comprendre la relation entre la religion et l’écologie. Pour nombre d’entre eux, il s’agit de deux choses complètement différentes entre lesquelles qu’ils n’ont pas encore réussi à établir de liens.

Il est possible qu’un mouvement tel que « éco-islam » puisse susciter de nouvelles idées, et permettre aux gens de se sentir concernés par les problèmes écologiques et voir leurs modes de vie et leurs habitudes quotidiennes d’un œil nouveau.

Un grand nombre de personnes pourraient être sensibilisés par le biais des mosquées ou à travers des associations musulmanes, il s’agit de personnes qui, d’habitude, ne se sentent pas concernés par ces questions. Les discours écologiques pourraient commencer par là. Le réseautage avec d’autres groupes ou organisations écologiques pourraient être une possibilité.

Le mouvement écologique ferait alors un pas en avant. C’est là une affaire à laquelle chacun doit réfléchir individuellement. La protection de l’environnement et du climat deviendra alors une affaire spirituelle plus qu’une tendance de l’époque.

* Eren Güvercin est un journaliste indépendant qui écrit pour Qantara.de. Sigrid Nökel est sociologue et a mené une étude sur l’islam pour la Stiftung Interkultur de Munich dans une série sur la migration et la durabilité.

En partenariat avec Common Ground News − Partenaires pour l'humanité