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L’avenir incertain des musulmans de Crimée face à la Russie

Rédigé par Christelle Gence | Samedi 26 Avril 2014 à 12:40

Opposés au rattachement de la Crimée à la Russie, les Tatars se sont prononcés par référendum pour leur autonomie au sein de la région ukrainienne. En dépit des signes de bonne volonté affichés par Moscou, cette communauté, trop habituée au double discours russe, vit dans la crainte des violences et s’inquiète pour son avenir.



Les Tatars de Crimée s'inquiètent pour leur avenir.
« Cette décision montre à quel Etat "civilisé" on a affaire », s'est exclamé Mustapha Djemilev après avoir appris, le 22 avril, en voulant se rendre à Kiev, qu'il était interdit d'accès en Crimée pour les cinq années à venir. Le leader historique des Tatars de cette province, désormais rattachée à la Russie depuis le « oui » au référendum du 16 mars, se voit ainsi banni de sa terre pour ses positions hostiles à l'égard du pouvoir russe. Le 19 avril, il était allé jusqu'à réclamer que le drapeau ukrainien flotte sur le Majlis, l'assemblée représentative des Tatars de Crimée, pour défendre l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Il ne flottera que trois jours.

En Crimée, une large majorité des habitants, russophones, ont leur cœur qui bat pour la Russie. Pour les Tatars, minorité musulmane turcophone, l’heure est loin d’être à la fête. Respectant la consigne de leurs représentants, ils ont largement boycotté le référendum du 16 mars, dénoncé comme illégal par Kiev et les Occidentaux.

En réaction à l’annexion russe, les Tatars, qui représentent environ 12 % des deux millions d'habitants en Crimée, ont organisé leur propre référendum d’autodétermination. Ils se sont prononcés le 29 mars en faveur de leur autonomie au sein de la région. Les représentants tatars, réunis en congrès à l’issue du vote, ont décidé le lancement de « procédures légales et politiques », Ils n’ont cependant pas expliqué par quels moyens les Tatars peuvent véritablement parvenir à leur autonomie.

Le double discours russe

Mustapha Djemilev
Entre les deux référendums, Vladimir Poutine, conscient de l'hostilité des Tatars à son égard, a tenté de les amadouer en se montrant favorable à leurs droits. Dans son discours du 18 mars prononcé à l’occasion de la signature du décret rattachant la Crimée à la Fédération de Russie, le président russe leur a assuré une représentation au Parlement, et a souhaité faire du tatar l’une des trois langues officielles de Crimée avec le russe et l’ukrainien. Dernièrement, le 21 avril, il a signé un autre décret portant sur la réhabilitation des Tatars de Crimée en tant que peuple victime de répression sous Staline (explications plus bas).

Mais le discours officiel russe ne convainc pas. Hantée par le traumatisme de la déportation vécue en 1944, la minorité vit dans la crainte des expulsions et des violences des autorités. Les propos du vice-Premier ministre de Crimée, Roustam Temirgaliev, ne sont pas pour les rassurer : il a déclaré en mars à la presse qu'ils devront renoncer à des terres sur lesquelles ils sont installés à leur retour en Crimée, autorisé à partir de 1989. L'apparition de croix gammées taguées sur les maisons tatares a renforcé le sentiment d'une chasse à l’homme à venir.

Menaces sur les droits de l'Homme

Reshat Ametov, très actif au sein de la communauté tatare et farouchement opposé à un rapprochement de la Crimée avec la Russie, a été retrouvé mort le 16 mars dans une forêt proche de la région de Simferopol. D’après un communiqué de Human Right Watch, son corps portait des traces évidentes de torture. Le fait divers a alerté le Haut commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU, qui a exprimé sa préoccupation sur la sécurité des minorités ethniques en Crimée.

Une délégation des Nations unies a été envoyée en Ukraine pour s’assurer du respect des droits humains mais les nouvelles autorités de Crimée leur ont refusé l’accès à la péninsule. Les membres de la mission ont toutefois pu rencontrer des Tatars qui en sont partis, justifiant leur exil par les menaces de représailles dus à leur soutien au pouvoir ukrainien. Des récits faisant état d’arrestations arbitraires et de tortures ont aussi été consignés.

Mustapha Djemilev, leader historique des Tatars, a dénoncé depuis les Etats-Unis début avril « l’occupation » russe de la Crimée, et a mis en garde contre un possible bain de sang. Au cours d’une réunion informelle du Conseil de sécurité de l’ONU – boycottée par la Russie – M. Djemilev a demandé l’envoi de forces de maintien de la paix, même s’il est conscient qu’un veto russe empêchera une telle prise de décision. Près de 5 000 Tatars auraient déjà quitté la Crimée vers l'ouest de l'Ukraine ou l'étranger. Une trentaine d’entre eux ont demandé le statut de réfugié en Pologne.

Les Tatars face à Staline : le douloureux souvenir du 18 mai 1944

A l’origine des craintes actuelles, la déportation en masse des Tatars de Crimée, le 18 mai 1944, sur décret de Staline. Accusés d’avoir collaboré avec la Wehrmacht pendant l’occupation nazie de la Crimée au cours de la Seconde Guerre mondiale, ils sont emmenés de force à l’aube. Des dizaines de milliers d’entre eux meurent pendant le voyage. Sur les 200 000 Tatars qui arrivent vivants en Ouzbékistan, la moitié ne survit pas plus de deux ans tant les conditions sont rudes. Le décret supprimant les accusations de collaboration est pris en 1967 mais les Tatars ne sont autorisés à rentrer en Crimée qu’en 1989, au crépuscule de l’Empire soviétique. Ils n’y sont cependant pas les bienvenus : les autorités locales refusent de leur attribuer des terres et ne leur accordent pas de permis de travail. Ils luttent ardemment pour le rétablissement de leurs droits en Ukraine après la chute de l'URSS en 1991, à travers le Majlis, l'instance qui représente cette minorité.

Plus que la collaboration de certains, c’est leur passé que Staline a aussi voulu faire payer aux Tatars en 1944. Constitués en khanat au moment où ils embrassent l’islam sunnite en 1441, alliés des Ottomans, les Tatars sont en guerre quasi permanente contre les puissances voisines chrétiennes, notamment la Russie. Ils sont craints et haïs de pour leurs incursions fréquentes et dévastatrices. En 1571, les Tatars prennent et brûlent Moscou. Mais plus que les pillages, c’est le commerce d’esclaves que craignent les populations des pays voisins, commerce que les Tatars ont pratiqué jusqu’au 18e siècle. En 1792, les Ottomans cèdent la Crimée aux Russes. Nouvellement soumis, les Tatars sont nombreux à s'exiler vers l'empire ottoman. Avec l'arrivée massive d'agriculteurs russes en Crimée, ils finissent par devenir minoritaires dans leur espace territorial.

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