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Points de vue

L’approche herméneutique de Fazlur Rahman, outil pour un islam vivant et moderne (2/2)

Rédigé par Baudouin Heuninckx | Samedi 13 Février 2021 à 11:00

           


L’approche herméneutique de Fazlur Rahman, outil pour un islam vivant et moderne (2/2)
Pour l'érudit et philosophe Fazlur Rahman (1919-1988), le renouveau de l’islam passe par un retour au dynamisme intellectuel qui caractérisait les premiers siècles de l’islam et par une recherche des valeurs morales et éthiques universelles tirées du Coran, qu’il voit comme une source de justice sociale. Il prônait en particulier une méthode originale d’interprétation du Coran adaptée à la société moderne et la renaissance du raisonnement personnel (ijtihad).

Après un premier article introduisant son approche herméneutique, le but ici est d'expliquer le processus d’interprétation du Coran basé sur un double mouvement développé par Fazlur Rahman, le premier allant du présent vers l’époque de la révélation, et le deuxième constituant un retour vers le présent. Cette approche herméneutique doit permettre de remettre en question et de faire évoluer la tradition musulmane dans le but de la préserver ou de la réhabiliter (en particulier ses aspects normatifs) pour qu’elle puisse rester applicable à l’infini. Pour lui, cette tradition étant dépendante de son contexte, il ne peut y avoir de moment dans l’histoire où elle ne peut être remise en question, et elle doit évoluer de manière continue et vivante.

Le premier mouvement

Le premier mouvement de l’herméneutique coranique de Fazlur Rahman comprend deux étapes complémentaires.

La première étape consiste à tenter d’identifier l’importance et la signification des ayat du Coran que l’on souhaite interpréter à la lumière de la situation historique concrète à laquelle elles apportaient une réponse. Ceci nécessite une compréhension de la société, de la religion, des coutumes, et des institutions, en d’autres termes, de la vie, de l’Arabie de l’époque du Prophète. Il s’agit donc en partie d’un travail d’historien. Cette étape nécessite d’appréhender le Coran globalement et dans sa totalité, mais aussi dans la spécificité des circonstances. Vu la cohérence globale du Coran, il faut en effet interpréter chaque texte, non seulement à la lumière des circonstances, mais aussi dans la globalité du message divin.

La deuxième étape consiste à généraliser ces réponses spécifiques placées dans leur contexte pour en tirer des valeurs fondamentales, des principes généraux ou des objectifs moraux et sociaux qui puisse être universels et généralement applicables à long terme. A nouveau, ces valeurs, principes et objectifs doivent être cohérents avec l’ensemble du Coran, car ce dernier ne peut contenir de contradiction : il constitue une unité cohérente. Pour Fazlur Rahman, les valeurs, principes et objectifs identifiés au moyen de ce premier mouvement sont déterminées par Dieu, mais leur application par les humains n’est pas prédéterminée, comme on le verra dans le deuxième mouvement.

L’exécution de ce premier mouvement nécessite l’utilisation de la raison. On peut également s’inspirer de la Sunna et des opinions et avis des savants musulmans du passé, mais ces vues sont également colorées par leur époque et sont souvent subjectives. Ces opinions et avis doivent dont être interprétés suivant la même méthode que le Coran : être replacés dans la situation historique où ils ont été émis, de manière à pouvoir en tirer des principes généralement applicables. Cependant, ces opinions et avis étant humains, ils ne pourront pas permettre d’identifier des valeurs fondamentales non reprises dans le Coran, et les principes généraux que l’on peut en tirer ne peuvent évidemment pas contredire les valeurs, principes et objectifs identifiés dans le Coran.

Hélas, ce premier mouvement est souvent délicat à mettre en place, car la littérature du contexte de la révélation est souvent incomplète et parfois contradictoire. En effet, ses auteurs ne réalisaient pas, à l’époque, son importance pour la compréhension future du Coran. Ils n’avaient pas besoin de replacer le texte du Coran dans son contexte historique, car ils en faisaient eux-mêmes partie. Le Coran donnait directement des réponses concrètes à leurs problèmes du jour. C’est seulement à postériori que l’importance des circonstances de la révélation et des faits et dits du Prophète est apparue. Mais le temps avait passé, et les souvenirs des compagnons et des compilateurs n’étaient pas nécessairement tous restés intacts.

Le deuxième mouvement

Le deuxième mouvement consiste à appliquer les valeurs fondamentales, principes généraux et objectifs identifiés dans le premier mouvement à la situation actuelle dans le contexte historique de notre société. A nouveau, ce deuxième mouvement nécessite l’usage de la raison.

Cette action nécessite un travail non seulement historique, mais aussi sociologique et éthique : il faut être capable de comprendre la société actuelle et comment elle diffère de la société Arabe du passé. Ce deuxième mouvement doit viser à applique de manière actuelle les valeurs fondamentales, principes généraux et objectifs du Coran, il doit rendre l’interprétation du Coran à nouveau vivante. Comme dit plus tôt, bien que ces valeurs soient déterminées par Dieu, le résultat de leur application n’est pas prédéterminé : il dépend des circonstances du moment présent et des actions des humains qui les mettent en œuvre.

Ce deuxième mouvement doit également être utilisé pour éventuellement corriger les résultats du premier mouvement : si l’application des valeurs fondamentales, principes généraux et objectifs identifiés dans le cadre du premier mouvement se révèle inadéquate ou inappropriée, donnant par exemple un résultat à notre époque qui soit contradictoire avec d’autres valeurs ou principes du Coran, il faut alors probablement revoir les résultats du premier mouvement.

En effet, il est par définition impossible qu’une valeur ou un principe général issue du Coran, qui se doivent d’être universels, ne puisse pas être appliqué en tous temps. Si cette application pose problème, c’est sans doute qu’ils ont été mal identifiés au cours de l’interprétation du texte Coranique sur base des circonstances du passé lors du premier mouvement, ou alors que l’on a mal compris l’analyse du présent dans le deuxième mouvement.

La renaissance de l’ijtihad

Pour Fazlur Rahman, ces deux mouvements nécessitent une application libre et moderne de deux méthodes ancestrales de l’interprétation du Coran. La première est l’ijtihad, un effort personnel et indépendant d’interprétation des textes et de leur application aux questions théologiques et légales, qui doit être vu comme un jihad, un combat intellectuel et moral et est indispensable pour utiliser sa raison.

La deuxième est le qiyas (raisonnement par analogie), qui cherche à comprendre la signification d’une nouvelle situation en la comparant avec un précédent du passé dont on peut déduire une règle, et à étendre, restreindre ou modifier celle-ci de manière à déterminer une solution à la nouvelle situation. Ce raisonnement par analogie ne doit cependant pas être mécanique et uniquement basé sur une interprétation littérale des textes, mais doit être contextuel, dynamique et basé sur la raison.

Dans son application de l’ijtihad et du qiyas, Fazlur Rahman considère que l’inefficacité de la volonté humaine telle que théorisée par les ascharites, sur base de laquelle les humains s’approprieraient des actes uniquement voulus par Dieu, est contraire au Coran. L’humain n’est pas non plus prédestiné, puisque même l’application des valeurs et principes du Coran n’est pas prédéterminée. Pour lui, l’humain bénéfice du libre-arbitre qui lui permet d’utiliser sa raison dans cet effort d’interprétation personnelle.

Une école de l’objectivité

Fazlur Rahman voit son approche herméneutique comme une école de l’objectivité. En effet, sa méthode cherche à déterminer objectivement la signification profonde du Coran telle que voulue par Dieu, et ce au moyen de la mise en contexte de celui-ci et en la séparant des facteurs normatifs et du contexte de l’époque où le Coran a été révélé. Pour lui, cette approche constitue une condition sine qua non de la mise en pratique du Coran à notre époque, vu que celui-ci est la parole de Dieu descendue via la Prophète Muhammad en réponse à un contexte précis. Toute application automatique ou littérale du Coran dans la société actuelle ne peut en fin de compte conduire qu’à des résultats contraires à ses valeurs fondamentales, ses principes généraux et ses objectifs de justice sociale.

Le problème de cette herméneutique, comme Fazlur Rahman lui-même le concède, est qu’elle peut en fait se révéler subjective si l’exégète y intègre sa propre interprétation, par exemple pour tenter de compléter des sources historiques incomplètes. Les plus grands théologiens du passé ont inclus leur propre subjectivité dans leurs œuvres (comme al-Ashari, al-Ghazali, Ibn Taymiya), donc nul n’est à l’abri de cette subjectivité. Ce risque est d’autant plus présent qu’il est particulièrement difficile de deviner objectivement la volonté de Dieu. Cette méthode doit donc être appliquée avec circonspection, souci du détail et après analyses approfondies. Malgré cela, elle constitue un outil exceptionnellement cohérent pour vivre le Coran dans notre société moderne.

*****
Baudouin Heuninckx, docteur en droit, docteur en sciences sociales, est écrivain, conférencier, consultant indépendant, chercheur auprès de plusieurs institutions académiques, membre de l'Association pour la Renaissance de l'Islam Mutazilite (ARIM), et des conseils d'administration du mouvement Voix d’un Islam Éclairé (VIE) et de la mosquée Fatima.

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32.Posté par Premier Janvier le 30/03/2021 19:52 | Alerter
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- C’est par ici qu’il est passé.
- Qui donc ?
- Un certain lapin.
- Vous en êtes sûr ?
- Sur de quoi ?
- Qu’il est passé par là.
- Qui donc ?
- Le lapin.
- Quel lapin ?

31.Posté par Premier Janvier le 07/03/2021 03:26 | Alerter
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Trop de commentaires (explications) annulent les commentaires.
Ils finissent toujours par devenir, j'explique le commentaire de mon commentaire.
Au bout d'un moment on finit par se répondre à soi même.
Preuve en est. La conversation est morte de sa belle mort; Lol.

30.Posté par Premier Janvier le 04/03/2021 01:52 | Alerter
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François. Tandis que nous semblons nous contredire, je pense que nous disons la même chose.
A savoir que nous tentons de faire des mots une science, une raison.
Tandis qu'ils ne sont qu'un moyen, un ustensile comme pourrait l'être un couteau, nous ne faisons en vérité que parler de la méthode et sommes vous et moi hors sujet.
Pourquoi. Parce que nous avons privilégié ce que nous connaissons. Le langage et son sens.
Comment on le dit et pas ce que c'est.
Nous n'avons hélas que le langage. Pour pouvoir dire ce que c'est.
Il nous contraint à nous le disputer sans jamais être à même de pouvoir dire ce qu'il veut dire.
Ce qu'il faut c'est repartir à la case départ. Si vous l'entendez bien sur.
Il n'y a que les choses elles mêmes qui puissent dire ce qu'elles sont.

29.Posté par Premier Janvier le 04/03/2021 01:27 | Alerter
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"On ne peut décrire sans nommer, sinon on ne sait pas ce qu'on décrit".
Absolument pas. Ma table est un cercle par exemple.
Un cercle n'est pourtant pas une table.
Qu'est-ce qu'elle est est. Un support. Mes genoux par exemple. Lol.
"Par exemple, votre grand-mère... (je rigole). On peut mal nommer et donc décrire la mauvaise chose".
Ma grand-mère n'est pas mon ancêtre mais est une épouse.
A partir de moi n'est pas dire ce qu'elle est.
"quand on s'interroge sur le sens des mots qui permettent de donner du sens quelque chose, c'est un peu ce qui vous emprisonne".
Vous êtes gonflé. Leur donner un sens est votre position et vous me l'attribuez. Je dis le contraire. De ce que l'on dit qu'ils sont qu'il peut se trouver ailleurs.
Pour ce qui est de votre solution, je ne l'aie pas comprise.
""Il y a une solution à cela: savoir que c'est indémerdable et tenter honnêtement de s'en sortir au lieu de se plaindre ou d'être exagérement pessimiste.
A vous. Ou pas. Lol.

28.Posté par francois.carmignola@gmx.com le 28/02/2021 23:38 | Alerter
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On ne peut décrire sans nommer, sinon on ne sait pas ce qu'on décrit. Par exemple, votre grand-mère... (je rigole). On peut mal nommer et donc décrire la mauvaise chose.
Quant à comprendre, là, c'est différent: on avait parlé du cercle herméneutique déjà: quand on s'interroge sur le sens des mots qui permettent de donner du sens quelque chose, c'est un peu ce qui vous emprisonne.
Il y a une solution à cela: savoir que c'est indémerdable et tenter honnêtement de s'en sortir au lieu de se plaindre ou d'être exagérement pessimiste.

27.Posté par Premier Janvier le 28/02/2021 18:10 | Alerter
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On ne peut trouver que ce qui était déjà là. Tout est déjà là. On ne fait que le trouver.

26.Posté par Premier Janvier le 28/02/2021 18:04 | Alerter
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....pour tout le monde. Ce qui fait que l'on ne peut que les nommer sans jamais pouvoir les dire. Il n'y a que la raison qui le puisse, la pensée (trouver) et donc ne pas le chercher. Autrement on en aurait pas besoin (de le chercher) puisque c'est l'avoir trouver. Lol.

25.Posté par Premier Janvier le 28/02/2021 17:56 | Alerter
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Nommer est moins que décrire. La suite, "mal les nommer" est un pléonasme, puisque nommer n'est pas décrire.
Ne pas dire c'est ne pas dire.
On ne peut comprendre un mot que si l'on en connaît le sens.
Les mots servent à dire de ce que c'est, non pas ce que c'est, mais ce que l'on dit que c'est. Ils ne peuvent pas être un pour moi, puisqu'ils visent à dire pour tout le monde. Leurs raisons d'être se trouve là, autrement on ne pourrait pas se comprendre.

24.Posté par francois.carmignola@gmx.com le 27/02/2021 09:17 | Alerter
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Ne pas nommer les choses les décrit encore moins, et les mal nommer est encore pire.

23.Posté par Premier Janvier le 26/02/2021 17:28 | Alerter
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Demain ne peut pas précéder aujourd'hui. Ce n'est pas nommer les choses qui disent ce qu'elles sont, on aurait pu appeler rouge vert. Lol.

22.Posté par Premier Janvier le 26/02/2021 17:23 | Alerter
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Rouge n'est pas à moi. Il n'y a que rouge qui puisse être rouge. Lol.

21.Posté par francois.carmignola@gmx.com le 25/02/2021 06:45 | Alerter
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@101 Si vous ne serez rouge que demain, c'est que vous ne l'êtes pas aujourd'hui. Si vous l'étiez dés à présent, vous le demeureriez jusqu'à ce soir pour ne plus l'être demain...

20.Posté par Premier Janvier le 23/02/2021 22:13 | Alerter
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Etre positionné a besoin du temps. Lol.
Rouge.
Réponse. Demain.

19.Posté par francois.carmignola@gmx.com le 20/02/2021 22:54 | Alerter
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@101 Il est tout à fait exact que l'être positionné a besoin du temps, car le là et pas ailleurs ne peut être dit que si on précise l'instant correspondant.
L'assimilation du là et de l'ailleurs ne peut donc pas durer tout le temps. Vous être donc à côté de la plaque au minimum à quelque instant.

18.Posté par Premier Janvier le 20/02/2021 18:44 | Alerter
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- C’est par ici qu’il est passé.
- Qui donc ?
- Un certain lapin.
- Vous en êtes sûr ?
- Sur de quoi ?
- Qu’il est passé par là.
- Qui donc ?
- Le lapin.
- Quel lapin ?


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