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Points de vue

« L'affaire Mila » ou l'élément révélateur des fragilités de la société et des communautés musulmanes

Rédigé par Saïd Daoui | Mardi 11 Février 2020 à 17:30

           


« L'affaire Mila » ou l'élément révélateur des fragilités de la société et des communautés musulmanes
Déjà plus de trois semaines que ce qui était, à la base, un simple « coup de gueule » d’une adolescente est devenu une affaire d’Etat, mobilisant ministres, personnel politique ou autres éditorialistes en tous genres. Au-delà de l’aspect factuel, ce nouvel épisode est surtout révélateur des lignes de fractures et des fragilités tant du côté de la société française que du côté des communautés musulmanes.

Les réseaux sociaux comme redéfinition des rapports sociaux

Tout d’abord, ce fait divers révèle les transformations induites par les réseaux sociaux sur les interactions au sein de la société. Ce qui aurait dû relever de l’anecdote banale animant une cour de récréation d’un lycée met en émoi tout le sérail politique et médiatique du pays du fait de la puissance mobilisatrice des réseaux sociaux et de la pression qu’ils exercent.

Des médias, quant à eux, dans une course à l’échalote effrénée face à ces mêmes réseaux sociaux, se sentent obligés de couvrir « l’affaire » pour ne pas être définitivement dépassés ou ringardisés, défendant ainsi leur dernier pré-carré d’influence sur l’opinion publique.

La fébrilité identitaire patente

Les communautés musulmanes ne sont pas en reste dans cette affaire. En effet, certains, parmi elles, se sont sentis agressés et blessés par les propos d’une adolescente de 16 ans, laquelle ne mesurait certainement pas l’impact qu’aurait sa vidéo. Le plus édifiant est que ce sentiment s’est même retrouvé chez les « leaders » parmi elles, c’est-à-dire chez les personnes ayant une parole publique à défaut d’avoir une légitimité représentative. Inutile de s’attarder sur ceux qui, drapés du lâche anonymat permis par les réseaux sociaux, sont tombés dans l’invective, l’injure ou la menace ad hominem.

Que des anonymes déversent des torrents d’insultes et de haine sur les divers réseaux, c'est hélas la réalité de notre modernité technologique ; mais que des personnes ayant une parole publique à l’audience importante ou relative, à l’instar d’un responsable du CFCM ou d’une militante d’une association communautaire, adoptent des positions irresponsables, jetant ainsi de l’huile sur un feu déjà bien vif, c'est soit de l'inconscience, soit la recherche du scandale pour légitimer des postures, soit les deux en même temps. Les adultes sont censés tempérer et montrer par l'exemple le cadre d'un débat démocratique ouvert et serein. Ces attitudes confortent l’idée, distillée par certains milieux politiques et médiatiques, selon laquelle les musulmans, décidément, ont un problème ontologique, si ce n’est théologique, avec la liberté d’expression… Irresponsable, disais-je !

Si les dires d'une jeune fille adolescente, à la notoriété jusqu’alors très limitée, offusquent à ce point, c'est bien l’illustration des représentations dépréciatives sur la société d’une partie des musulmans et la diffusion d’un sentiment d'insécurité identitaire parmi eux. C'est dire le niveau de fébrilité identitaire et psychologique parmi ces communautés musulmanes !

Si tel n’était pas le cas, les propos de cette adolescente auraient, au mieux, été ignorés, les confinant ainsi là d’où ils ont été proférés (la chambre de la jeune fille). Ses propos devraient même être facilement pardonnés au vu de la jeunesse de l’intéressée et de la futilité de ses dires. Au contraire, ils ont été l’occasion de cris d’orfraie, leur donnant ainsi encore plus d’audience et de visibilité. Des « personnalités » musulmanes ont clairement commis une faute en donnant de l’écho à cette affaire et en se joignant indirectement aux anonymes insultants et menaçants. Fort heureusement, la direction du CFCM a rappelé le principe de la liberté d’expression, appelant à « accepter que l’islam soit critiqué y compris dans ses principes et fondements ».

Lire aussi : Abdallah Zekri/Mila : Schiappa monte au créneau, le CFCM déplore l'occultation médiatique de sa position

La liberté d’expression, parent pauvre d’enjeux politiques

Absolument rien ne justifie les menaces de mort, de viol ou même les insultes que subit cette adolescente. Elles doivent être condamnées sans la moindre nuance. Mila a effectivement le droit de penser et de dire ce qu’elle veut quand bien même il s’agit d’obscénités à l’endroit d’une religion. Ces propos ne sont pas non plus le symbole de ce que représente la liberté d’expression. Ils ont juste le droit d’exister, sans subir les foudres injurieuses ni menaçantes de qui que ce soit. La liberté d'expression est effectivement non négociable.

C’est d’ailleurs cette même liberté d'expression qui, par ces lignes, permet de dire que la position défendue par la jeune fille est superficielle et, malgré les apparences, assez convenue. Pour user de la liberté d'expression, nul besoin de tomber dans l'outrance dans la critique, même radicale, de la religion, ou dans la menace comme réponse à cette critique.

Les prises de position publiques vis-à-vis de la religion, quelles qu’elles soient, n’impliquent pas non plus, forcément, d’employer la vulgarité comme moyen d’expression. Prétendre que la liberté d’expression à l’endroit de la religion ne peut être exercée que par l’insulte est réducteur et ne fait qu’appauvrir le débat. La satire, même avec des soubassements vulgaires, contre le fait religieux fait certes partie d’une tradition littéraire ou journalistique en France mais elle n’est pas la seule voie.

La liberté d’expression est un trésor chèrement acquis. Il est dommage de la voir prise en otage dans des polémiques de bas niveau qui dépassent, comme c’est le cas pour Mila, les individus qui en sont les instigateurs. La liberté d’expression, à travers de telles polémiques, va servir de prétexte et venir nourrir d’autres desseins politiques.

L’extrême droite comme arbitre politique

Ceci étant rappelé, il faut aussi dire que la récupération politique, orchestrée principalement par l'extrême droite et les mouvements identitaires, est quasiment un cas d'école pour illustrer le mécanisme infernal en marche ces dernières années concernant les questions qui ont, peu ou prou, à voir avec le fait musulman. A partir d’un fait divers, souvent tiré des réseaux sociaux ou relayé par ces derniers, on inquiète, on crie au loup de l'islamisation rampante et beaucoup parmi la classe médiatique et politique suivent le tempo édicté par les milieux d'extrême droite, chacun ayant peur d'être accusé de laxisme ou d'être l’idiot utile de la menace intégriste.

Cette logique est indéniablement devenue une tendance lourde de ces deux dernières décennies, le développement des réseaux sociaux amplifiant le phénomène. A tel point que l’on se retrouve dans la situation incongrue où ce sont ces milieux identitaires qui s’érigent en défenseur de la laïcité et même, dans le cas d’espèce, de la lutte contre l’homophobie. C’est, là aussi, la preuve que ces deux principes évoqués ne sont que les prétextes pour l’extrême droite de gagner en légitimité sur le terrain politique et symbolique.

Les autres acteurs publics, suivant le mouvement impulsé par l’extrême droite, sont condamnés à constamment avoir un train de retard et à surenchérir pour exister sur le champ politique. Un cercle vicieux pernicieux en somme qui conduit à une «extrême droitisation » de tout le champ politique ! Il est fort à parier que d’autres affaires similaires vont régulièrement apparaître, toujours alimentées par les mêmes milieux d’extrême droite et identitaires, banalisant ce durcissement du discours politique.

L’appel à la raison face à l’hystérisation des débats

C’est ainsi que l’on comprend pourquoi seule l’hystérisation du débat autour de questions identitaires, comme l’est l’affaire Mila, prévaut et qu’elle va inéluctablement crescendo. Les prochains débats, pourtant nécessaires à la base, autour de la lutte contre les replis communautaires risquent malheureusement de passer, eux aussi, par les mêmes fourches caudines de cette hystérisation, menée par l’extrême droite.

Même si c’est certainement faire montre de naïveté, il faut tout de même rappeler que ces débats méritent calme, sérieux et clairvoyance et non plus ce déchainement passionnel et de déraison. Cet appel à la raison concerne non seulement le personnel politique et médiatique, mais aussi les diffuseurs de discours musulmans, dans un esprit d’apaisement profitable à tous.

La réalité de la vie quotidienne est là pour nous rappeler que la société française est beaucoup plus solide que certaines représentations médiatiques ou politiques le laissent penser. Il n’est donc pas interdit d’être optimistes malgré tout.

*****
Saïd Daoui est diplômé de science politique.

Lire aussi :
Affaire Mila : la liberté d’expression au détriment du principe de tolérance ?
Mila regrette la vulgarité de ses propos mais revendique son droit au blasphème

Du même auteur :
Affaire Tariq Ramadan : de la nécessité de faire preuve de prudence et de retenue
Les musulmans face à l’urgence : jusqu'où penser la « solidarité fraternelle » ?




Réagissez ! A vous la parole.

1.Posté par Premier Janvier le 11/02/2020 22:40 | Alerter
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Ce que l'on ne dit jamais mais que pourtant on dit tout le temps, c'est que c'est de qui ça émane qui fait tout.
Je suis anti toutes les religions. C'est rock'nroll. C'est bien vu.
Moi il y en a une en particulier que je ne peux pas piffer, ça devient etre un gros dégueulasse.
Un meme propos n'a pas la meme valeur selon de qui il émane.
Et ça on ne le dit jamais.
Ce que l'on peut dire n'a rien à voir dans l'affaire.
C'est de qui ça émane qui fait tout.
Lui il le dit parce qu'il est d'extreme droite. Ca mon pauvre c'est le jeu de la démocratie. Le patriotisme est une valeur honorable.
Lui il le dit parce qu'il défend le républicanisme (la liberté). Ha! Respect.
Lui il le dit parce qu'il défend la laicité. C'est pas mal. C'est bien.
Lui il le dit parce qu'il anti religions. C'est normal.
Lui il le dit par sectarisme. C'est pas folichon mais c'est la liberté d'expression.
Celui-là est nihiliste. Celui est là est apolitique, celui-ci à un raisonnement qui lui est propre. Celui-ci par provocation……
Bref. A ce que l'on peut dire l'autre y cherche un pourquoi. Un motif. Une raison. Une logique. Un sens. Et il conclue.
Parfois est décrétée un meme motif, une meme cause et son contraire à une meme position.
D'autres fois, ce meme motif ne peut avoir qu'un sens et un seul.
Selon de qui il émane, d'un meme propos, on en dit qu'il n'a pas le meme sens.
Les mecs disent pareil. Mais on en dit que ça n'a pas le meme sens. Le meme but. C'est de qui ça émane qui fait tout.
La seule croyance...  

2.Posté par francois.carmignola@gmx.com le 12/02/2020 06:56 | Alerter
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@Premier Janvier
Votre dénonciation de l'athéisme "comme religion" a du sens mais mériterait d'être approfondie. Car il y a deux sortes de religions: celles qui pensent intervenir dans la vie et les usages des hommes et les autres.

L'athéisme, comme négation de Dieu lui même a surtout comme vocation de refuser que Dieu ou les considérations à son sujet, intervienne dans la vie des hommes. A ce titre, vous pouvez dire qu'il s'agit d'une croyance, cela est assez vrai, mais d'une croyance en l'absolue indépendance des hommes quand au choix de leur modes de vie, pouvant et devant être décidé au nom de critères exclusivement rationnels et humains et excluant toute tradition religieuse ou toute nécessité surnaturelle.

D'où le nom "a" (privatif) "théos" (divin). Une croyance, donc vous avez raison, mais en une relation particulière à la société.

L'autre type d'athéisme, celui là purement spirituel est différent et concerne ceux qui nient toute forme de motivation ou de référence surnaturelle dans l'appréciation de soi ou du monde. Plus proche des croyances en une super naturalité particulière (la nature globale par exemple), on peut effectivement le suspecter de fausse conscience; il n'empêche que quand il affirme la non nécessité du monde et l'absolue solitude de la conscience, et bien on peut au moins le croire...

3.Posté par Premier Janvier le 19/02/2020 17:53 | Alerter
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L'athéisme c'est refuser de croire en un dieu déterminé par une communauté déterminé.
Il est une religion comme les autres.
Les athées comme les autres sacralisent des objets (un réel), des choses (des faits), des personnes (un état, une nature).
Les athées sont des croyants comme les autres.
Ils sont révérencieux devant des concepts sorti de leurs imaginations et comme les autres font de grand messe en les évoquant.
Les croyances ne pas sont l'idée d'une représentation physique des choses mais une intensité de ce en quoi l'on croit et ça peut etre n'importe quoi.
Le but de la vie est de partir serein, repus et satisfait.
On pourrait donc citer par exemple la sérénité.
Mais la sérénité n'est pas un réel, un objet, on ne peut la voir, la toucher, la sentir, c'est un sentiment, une satisfaction.
La beauté par exemple. Etre beau pour soi meme, aimer les sapes ou en créér pour les autres. Ca peut etre n'importe quoi.
Ensuite on en fait des défilés, des musées ce que l'on veut.
C'est pourtant du chiffon qui finira fatalement poussière, mais ça peut remplir de joie, de bonheur. Chacun est contraint de trouver sa voie et faire son truc. Ca peut meme etre ermite, soi meme, la nature et penser.
Ca peut etre n'importe quoi.
On sait que rien n'est vrai, que tout ce que peut contenir la Terre est une illusion.
L'homme ne peut pas rivaliser avec l'idée de dieu.
L'idée de dieu c'est dire une éternité, un inimaginable, et donc une supériorité sur l'homme.
C'est cela qui lui est insupport...  


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