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L'Unicité de Dieu, at-Tawhîd

Pour une théologie de la paix

Rédigé par Memma | Vendredi 5 Mai 2006 à 04:03

Est-il encore possible d'écrire sur l'unicité de Dieu sans ennuyer son lecteur ? C'est là un défi que le Cheikh Tareq Obrou a pris le pari de relever dans « L'Unicité de Dieu, at-Tawhîd », un essai qui paraît aujourd'hui 5 avril 2006. En abordant ce vieux sujet, autrefois prisé, l'imam de Bordeaux se met en dehors de la mode. La mode est aux « questions de/à l'islam » sur le marché du livre musulman francophone. Les dogmes de l'islam, la pratique de l'islam, la société de l'islam, la politique en islam. Les rayons des librairies spécialisées ignorent le sujet de « Dieu ». L'islam est devenu un sujet plus porteur que Dieu. Actualité oblige. Mais l'imam n'a pas cédé à cette tentation.



Il faut croire que pour les croyants, écrire sur Dieu est un exercice délicat. Pour un musulman, l'exercice devient encore plus difficile lorsqu'il s'agit de parler de l'Unicité de Dieu. Et nous mesurons à sa juste valeur, le courage dont Tareq Obrou fait preuve en remettant au goût du jour un sujet que l'on sait inépuisable. La performance de l'auteur réside dans l'approche rationnelle qu'il adopte pour parler de ce sujet par excellence spirituel. Sa recette est une ouverture d'esprit et un impressionnant degré d'érudition qui, régulièrement, requiert toute l'attention de son lecteur. Le propos est alimenté d'abondantes références tirées non seulement du Coran, des hadith et des philosophes musulmans, mais aussi des sources juives, chrétiennes ainsi que diverses autres philosophies.

Dans le climat actuel de l'Europe, où la sécularisation est le modèle par excellence, ce traité de philosophie musulmane se veut optimiste. M. Obrou estime que «Les guerres d'aujourd'hui ne sont pas religieuses, ni même idéologiques ; elles sont devenues essentiellement des bras séculiers de l'économie, quelles que soient les couvertures qu'on leur donne : défense des droits de l'Homme, protection des minorités, installation de la démocratie. » Il soutient ainsi l'idée que des révolutions sont à faire au sein de nos religions pour produire des théologies nouvelles qui prenent en compte les avancées scientifiques, techniques, ainsi que les mutations sociologiques de notre histoire dont « la mondialisation » est l'une des parties visibles.

Optimiste toujours, Tareq Obrou refuse d'assimiler le recul des institutions religieuses à un recul de la spiritualité. Il y voit simplement une inaptitude des institutions traditionnelles à répondre aux besoins spirituels de l'Homme moderne. Le champ des possibles ainsi ouvert est analysé par l'imam à la lumière des éléments historiques et sociologiques parmi lesquels il range la présence musulmane en Europe. L'auteur soutient que la communauté musulmane en Europe est « encore marquée par ses origines ethniques anthropologiques et culturelles, présente aux yeux de l'Occident un foyer favorable à toutes les dérives, car elle est encore liée à un monde musulman où le retour au religieux s'effectue avec beaucoup d'effervescence incontrôlable et où la religiosité se construit souvent dans une logique de réaction. L'islam n'est plus seulement en Orient, il est désormais aussi en Occident. Sa présence y est faite d'enjeux multiples et capitaux. »

Parce qu'il est le discours d'un imam et qu'il traite des attributs de Dieu, le lecteur peut s'attendre à un livre complaisant émaillé de caractères majuscules pour faire l'économie de la rigueur intellectuelle. Il n'en est rien. En cela, « Unicité de Dieu, at-Tawhîd » est un livre surprenant car l'approche de l'auteur suit une logique implacable. L'on peut aborder chacun des deux chapitres de manière relativement indépendante. Mais à l'intérieur d'un même chapitre, le raisonnement est un enchaînement progressif compact et serré, généralement déductif avec une bonne dose d'exigence.

Les chapitres ne s'éloignent jamais du sujet sinon pour apporter du grain à la démonstration ou pour l'éclairer d'exemples périphériques très actuels. L'abondance de néologismes qui aurait pu flouer l'analyse est ici compensée par la fluidité du style et l'injection pédagogique des arguments. Autant d'ingrédients qui, ajoutés au courage intellectuel de M. Obrou, font de ce traité un livre riche, fouillé, jamais ennuyeux et néanmoins accessible au grand nombre à condition qu'il accepte d'y accorder un degré d'attention certain.