Economie

L’Etat en guerre contre la délocalisation du centre d'appels Stif vers le Maroc

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Mardi 21 Aout 2012 à 00:00

L’appel d’offres concernant le centre d’appels du Stif (syndicat des transports d'Ile de France) a été remporté, en juillet, par une entreprise française (B2S), dont le centre d'appels est basé au Maroc. Une décision de l’autorité organisatrice des transports en Ile-de-France inacceptable pour le gouvernement français, qui est vite monté au créneau par le biais d’Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif. En pleine crise, le gouvernement est en effet parti à la chasse aux délocalisations. Face à ce tollé, Jean-Paul Huchon, le président du Stif et de la Région Île-de-France, a décidé de calmer le jeu en assurant, vendredi 18 août, que « la majorité des emplois » resterait en France.



B2S fait partie des sociétés du groupement d'entreprises françaises retenu par le Stif pour prendre en charge les appels de l'Agence solidarité transport, qui renseigne les bénéficiaires du RSA ou de la CMU sur leurs droits. Mais son problème est d’avoir un centre d’appels basé au Maroc et donc hors des frontières françaises. Ce qui, en temps de crise, ne plaît vraiment pas au gouvernement.

« Nous nous battons pour relocaliser les emplois, ce n'est pas pour qu'on les délocalise », avait déploré le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg, vendredi 27 juillet, sur Europe 1. Mais, surtout, il s’était insurgé contre la disparition de 80 emplois. En effet, depuis 2006, le centre d’appel du Stif était géré par la société Webhelp, qui, après ce dernier appel d’offres, se voit forcé de supprimer 80 postes actuellement basés à Fontenay-le-Comte (Vendée) et à Saint-Avold (Moselle).

Affaire d’Etat

Ces suppressions de poste ont très vite pris une tournure politique. « J'ai dit à Jean-Paul Huchon qu'il était utile de reconsidérer la décision en remettant l'appel d'offres sur le métier de manière à ce que les services publics eux-mêmes ne soient pas prisonniers de règles qui contribuent à délocaliser les emplois », avait commenté Arnaud Montebourg, en rappelant à l’ordre le président du Stif.

L’entreprise Webhelp, à laquelle le marché va échapper, avait décidé de contre-attaquer en déposant un référé devant le tribunal administratif de Paris. Mais « la justice a confirmé la régularité de la procédure de mise en concurrence pour le renouvellement du marché public », s'est réjoui le Syndicat des transports d'Ile-de-France (Stif).
L’autorité organisatrice des transports en Ile-de-France a toutefois annoncé, vendredi 17 août, que le groupement d’entreprises choisi, dont B2S « lui a confirmé son strict respect des obligations liées au label de responsabilité sociale » et que Jean-Paul Huchon a « obtenu (de l’entreprise B2S) que la majorité des emplois liés à ce contrat soit localisée sur le site de Gennevilliers, en Île-de-France ».

« B2S s'est proposé de créer, par ailleurs, une trentaine d'emplois supplémentaires sur le territoire national avant le démarrage de son contrat. Enfin, B2S s'engage au renforcement de son implantation en Île-de-France, dans le cadre d'un vaste projet de centre d'appels de dimension européenne regroupant une centaine d'emplois, qui pourrait se concrétiser avant la fin de l'année », a ajouté le Stif.

Mais, à droite, on n’est pas satisfait. Valérie Pécresse, la présidente du groupe UMP au Conseil régional d'Ile-de-France a « demandé à Jean-Paul Huchon de détailler les garanties pour le maintien des emplois » sur le territoire francilien, « l'audition du groupement d'entreprises choisi par le CA du Stif pour avoir pleine assurance qu'il s'agit bien de garanties réelles et non de simples promesses » ainsi qu’un « audit de tous les marchés de la Région et du Stif au regard du critère de l'emploi en France ».

« Made in France »

La crise économique renforce cette lutte contre la délocalisation. D’ailleurs, la campagne présidentielle 2012 a été marquée par le sceau du « made in France ». Chacun des candidats s’est engagé à privilégier la production française. La défense du travail des Français et la lutte contre les délocalisations ont été prônées par tous les prétendants à l’Elysée , quitte à se rapprocher des idéaux du Front national.

Élu, François Hollande a voulu montrer son engagement dans ce sens avec la création d’un ministère du Redressement productif.

Après l’indignation de l’Etat face au très médiatique plan social de PSA Peugeot-Citroën, qui prévoit la suppression de 8 000 postes, le Stif n’en est qu’une petite illustration. Avec un taux de chômage en constante hausse, qui grimpe à 10 % au premier trimestre 2012 en France (départements d’Outre-mer compris), tous les emplois semblent prendre de l’importance.

Concernant le Stif, Jean-Paul Huchon avait expliqué avoir retenu l'offre la moins chère dans le respect scrupuleux des règles car le Code des marchés publics n’interdit pas de faire appel à des entreprises étrangères ou présentes à l’étranger.
Mais, déjà, une réforme de ce Code permettant de prendre en compte des critères de localisation pour le choix du prestataire et donc d’interdire les délocalisations pourrait avoir lieu. Une réunion dans ce sens entre M. Huchon, M. Montebourg et Pierre Moscovici, ministre de l'Economie, est prévu, indique le Stif.

Compétitivité

Ce volontarisme contre les délocalisations surprend et irrite même. Abdelhaq Sedrati, éditorialiste du site d’actualité marocain Au faitmaroc.com ne comprend pas la position d’Arnaud Montebourg sur le dossier du Stif.
« C’est cela l’aide aux pays en voie de développement. C’est cela le soi-disant statut avancé avec l’UE. On ne vous donne d'une main que ce qu'on peut reprendre de l'autre », déplore-t-il dans un éditorial daté du 27 juillet.

M. Montebourg « a oublié le marché du TGV passé en direct à une entreprise française, la prise en charge par le Maroc de 50 % du capital de Renault à Tanger et toutes les facilités portuaires et ferroviaires mises à sa disposition, l’ouverture du Maroc à près de 800 entreprises françaises qui y prospèrent en servant leurs produits aux Marocains et en rapatriant chaque année environ 2 milliards d’euros sous forme d’assistance technique et de bénéfices. Sans parler de tous les biens d’équipements et marchandises que le Maroc achète en France pour environ 4 milliards d’euros par an », rappelle-t-il.
D’autant plus, que les centres d’appels sont au centre de la « stratégie de développement économique » du gouvernement marocain, indique-t-il. Dans ce secteur, leur compétitivité est grande. « Une heure de centre d'appels au Maroc coûte 28 euros en France, contre 14 au Maroc », précise Frédéric Jousset, le coprésident de Webhelp, qui avait démarré cette activité à l’étranger et notamment au Maroc.

En France, environ 270 000 personnes travaillent dans le télémarketing qui, malgré les délocalisations, reste dynamique. Dans le quotidien La Croix, Jean-Pierre Dumont, le président de l’ATRC (Association tourangelle de la relation client), estime que le secteur d’activité atteindra « 300 000 emplois d’ici à la fin 2012 », malgré l’activité délocalisée (offshore) qui, en dix ans, aurait coûté « l’équivalent de 45 000 emplois à la France», selon lui.

Le déclin de l’industrie et notamment de l’automobile s’explique, lui aussi, par la forte compétitivité d’autres pays comme l’Allemagne. Les ventes automobiles allemandes augmentent de 5,3 % en moyenne par an depuis 2000, contre − 0,4 % pour la France, d'après les chiffres du commerce extérieur d'avril 2012.
Le manque d’innovation et de produits de haut de gamme se fait ressentir sur l’économie française.