Politique

Kevin Victoire : « Les abstentionnistes ne veulent pas offrir à Macron un score de dictateur africain »

Rédigé par | Jeudi 27 Avril 2017 à 17:15

Jean-Luc Mélenchon essuie, depuis dimanche 23 avril, une pluie de critiques car il refuse d’apporter son soutien à Emmanuel Macron dans son duel qui l’opposera dimanche 7 mai à Marine Le Pen lors du second tour de l’élection présidentielle. Le journaliste indépendant Kevin Boucaud-Victoire, auteur de l’ouvrage « La Guerre des gauches » (Ed. du Cerf, avril 2017) et par ailleurs sympathisant communiste, analyse pour Saphirnews la décision du candidat de la France Insoumise mais aussi du Parti communiste.




Saphirnews : Comment le choix de Jean-Luc Mélenchon de ne pas livrer de consigne de vote le soir de l’élection a été vécu par les militants de la France Insoumise ?

Kevin Boucaud-Victoire : Assez bien globalement. On lui a reproché en 2012 d’avoir très rapidement appelé ses électeurs à « battre Nicolas Sarkozy » et donc à voter François Hollande. Il faut savoir que, chez beaucoup d’Insoumis, il y a un refus du système qui est tel qu’on refuse de choisir entre un candidat comme Macron et l’extrême droite.

Si Jean-Luc Mélenchon avait appelé à voter pour Emmanuel Macron, cela aurait été très mal pris. Par ailleurs, de nombreux militants vont voter pour Macron et n’ont pas besoin pour cela de consigne de vote. Jean-Luc Mélenchon a décidé de laisser la parole à ses militants grâce à la plateforme Internet de la France Insoumise. Toutes les personnes qui étaient déjà inscrites peuvent répondre jusqu’au mardi 2 mai à un formulaire qui ne laisse que trois options : le vote blanc, l’abstention ou Macron.

Une partie des cadres (de la France insoumise) comme Eric Coquerel (porte-parole du Parti de gauche, ndlr) poussent à appeler directement à voter Macron tandis que Jean-Luc Mélenchon voulait prendre des distances. Ils ont décidé que les militants trancheront. Le choix est contesté à l’extérieur mais, finalement, c’est la décision la plus démocratique qui soit.

Les Insoumis peuvent en débattre sur la plateforme ?

Kevin Boucaud-Victoire : On peut créer des espaces de discussion sur le site mais ils débattent en réalité un peu partout. Il y a plein de groupes Facebook et de listes mails consacrés à Jean-Luc Mélenchon ou aux Insoumis où on débat. Au final, la décision qui en ressortira ne sera de toute manière qu’une indication. Parmi les militants, des personnes avaient déjà préparé un plan de communication pour militer en faveur de l’abstention si Jean-Luc Mélenchon ne passait pas le premier tour. Ils considèrent que le PS, l’UMP et aujourd’hui Macron sont la racine de la montée du Front national. Selon eux, voter Macron, c’est valider ce qui fera monter davantage le FN dans cinq ans.

Mais si Emmanuel Macron ne gagne pas, le FN sera au pouvoir tout de suite, non ?

Kevin Boucaud-Victoire : Il y a peu de chances que Marine Le Pen devienne présidente si on observe ses réserves de voix. Cela serait possible si les électeurs de droite se mobilisaient en sa faveur mais ils ne le feront pas. Ce n’est pas parce que ses valeurs sont trop éloignées d’eux mais parce que son volet économique leur fait peur. Pour l’électorat de bourgeois et de retraités de François Fillon, la sortie de l’euro fait trop peur, ils voteront donc Macron.

Concernant les électeurs de la France Insoumise, même s’il y aura de l’abstention, il y aura en majorité des reports de voix vers Emmanuel Macron. Globalement, l’élection est déjà jouée et l’enjeu pour ceux qui prônent l’abstention, c’est de ne pas offrir à Macron un score de dictateur africain comme celui qui a été obtenu par Jacques Chirac en 2002.

Et si jamais, malgré tout, Marine Le Pen finissait par l’emporter ?

Kevin Boucaud-Victoire : Il y aura encore les législatives (les 11 et 18 juin, ndlr) et le Front national n’est pas en capacité de gagner ces élections. Si Marine Le Pen arrive au pouvoir, il faudra compter sur tous ces abstentionnistes pour se mobiliser et faire barrage au FN avec leurs candidats. Elle serait très vite muselée par une cohabitation. Elle a promis de gouverner par référendum mais, à part cela, elle ne pourra pas faire grand-chose. Ce sera au peuple français de trancher sur la sortie de l’euro.

Est-ce vrai qu’un tiers des personnes qui ont voté Mélenchon iront voter Marine Le Pen ?

Kevin Boucaud-Victoire
Kevin Boucaud-Victoire : Je n’ai pas les chiffres dans le détail. Je pense qu’il faut bien distinguer les militants et les votants. Parmi les militants, il y en aura peut-être (qui voteront FN, ndlr) mais ce sera très marginal.

Concernant l’électorat de jean-Luc Mélenchon, un report de voix vers le FN est probable pour plusieurs raisons. La première est sociologique. L’électorat de Le Pen et celui de Mélenchon se ressemblent, ce qui n’était pas le cas en 2012. Il a fait une vraie percée parmi les ouvriers et les employés. Ces derniers ont voté Mélenchon en première position et Le Pen en seconde. Les sondages ont longtemps mis le FN en tête des prévisions mais il a reculé.

Dans le même temps, Mélenchon a progressé en siphonnant des voix à Benoît Hamon mais aussi à Marine Le Pen. Symboliquement, on a le cas de cette chômeuse de Calais, sympathisante FN, invitée à poser des questions à Jean-Luc Mélenchon dans l’émission de David Pujadas (L'Emission Politique du 23 février sur France 2, ndlr). Quelques jours après, elle a annoncé sur les réseaux sociaux qu’elle avait été convaincue et qu’elle irait voter Mélenchon. Il sera difficile de convaincre les électeurs FN qui ont opté pour Mélenchon, de voter ensuite pour Macron. Jean-Luc Mélenchon a fait une vraie critique de l’Union européenne, de la mondialisation... et certains des électeurs peuvent retrouver leur compte chez Marine Le Pen, même s’ils sont de gauche.

Comment expliquer que le Parti communiste ait appelé instantanément à voter Macron ? Quel est son statut dans cette campagne ?

Kevin Boucaud-Victoire : La France Insoumise a été créé par Jean-Luc Mélenchon en dehors du Front de gauche (composé du Parti communiste-PCF, du Parti de gauche-PG et du mouvement Ensemble, ndlr) à la suite de divisions. Il a lancé sa candidature en février 2016, attendant que Clémentine Autain (porte-parole d'Ensemble, ndlr) et le PCF viennent le soutenir. Il y a eu des débats pendant plusieurs mois au sein du PCF. La direction a refusé dans un premier temps de soutenir Jean-Luc Mélenchon. Les militants ont ensuite été amenés à voter et se sont prononcés à 55 % pour soutenir Jean-Luc Mélenchon (en novembre 2016, ndlr).

Je pense qu’aujourd’hui le PCF est moins radical que la France Insoumise, ce qui est paradoxal vu que Jean-Luc Mélenchon vient du Parti socialiste. Le PCF est moins dans la critique frontale du système. Sa grande ligne, c’est l’union de la gauche, PS compris. Lorsque Benoît Hamon a été élu (à la primaire en janvier 2017, ndlr), la première chose que le PCF a essayé de faire, c’était de pousser à une candidature commune. Au final, qu’il soutienne Macron en le considérant comme un moindre mal n’est pas étonnant.

Une des distinctions aussi entre le PCF et la France Insoumise, ce sont les élus. Le PCF a de nombreux élus locaux qui sont parfois alliés au PS et il y a souvent des arrangements lors des élections locales pour retirer des candidatures afin de battre la droite. Je pense que le PCF ne veut pas se fâcher trop frontalement avec le PS. Il ne veut pas paraitre comme non raisonnable.