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Points de vue

Je n’aime plus l’Aïd al-Adha

Rédigé par | Vendredi 26 Octobre 2012 à 02:10

           


Quand j’étais enfant, il y a longtemps, l’Aïd al-Adha était une fête joyeuse. Des réjouissances et beaucoup d’habits neufs. Père, mère et parrains, chacun offrait quelque chose. Parfois une surprise tombait d’un oncle ou d’une tante... Et, bien entendu, il y avait le mouton, le mouton de la tabaski.

D’ordinaire, on mangeait de la viande. Mais ces jours-là, il y en avait plus qu’assez pour tout le monde. Les enfants pouvaient se régaler à satiété de morceaux généralement réservés aux adultes. Ma mère salait et gardait, dans une grande marmite en fer forgé, une partie de cette « viande de tabaski ». Lorsqu’un enfant, qui était absent le jour de la fête, rentrait, la marmite apparaissait et l’odeur de la « viande de tabaski » ressuscitait la fête, plusieurs mois après !

Les bêtes étaient dépecées méthodiquement. Chaque morceau était attribué à un parent selon la branche de la famille dont il était l’ainé. Rien ne se perdait. Seules les tripes restaient à la maison ; et aussi, la peau que l’on travaillait pour servir de tapis de prières.

En retour, arrivaient à la maison, de la part d’autres membres de la famille, des parts de moutons dont nos parents étaient légataires. Oui, l’islam est africanisé. Et le moindre impair dans cet échange intrafamilial occasionnait un rappel détaillé de l’arbre généalogique. Nous écoutions et nous en apprenions sur notre lignage même si nous voyions l’Aïd al-Adha, avant tout, comme des jours d’abondance de viande.

Avec le temps, les élevages en batterie, se gaver de viande n’était plus festif. La tabaski est alors devenue la fête de la famille. On pouvait rater un enterrement car la mort est imprévisible. Mais il fallait avoir une très bonne raison pour rater l’Aïd à la maison. Le mouton est devenu symbolique, l’essence de la fête s’est déplacée ailleurs…

C’est dans l’adolescence que j’appris le sens de l’Aïd el-Kébir. Ce n’était donc pas la fête du goût de chair fraîche. C’était le rappel d’un cap nouveau dans le pacte de soumission à Dieu. C’était un hommage à un prophète, Abraham, prêt à détruire ce qu’il avait de plus cher au monde pour accomplir son islam, sa soumission à Dieu.

L’Aïd el-Kébir célèbre aussi la foi d’un enfant en Dieu à travers son père. Car ce « fils unique » d’Abraham consent à périr de la main de son père si telle est la consigne de Dieu. Cette qualité filiale est aujourd’hui oubliée, remplacée par la qualité du mouton.

Plus que tout cela, l’Aïd témoigne de l’évolution de la conscience humaine dans son rapport aux différentes formes de vie. Car, en décidant de sacrifier son fils, Abraham n’invente pas une forme nouvelle d’adoration. Il s’inscrit dans les coutumes de son époque.

Les légendes des peuples, les données archéologiques nous rapportent des cas d’offrandes où l’on tuait des enfants. Parfois, quand l’enjeu était de taille, c’est le prince qui était sacrifié pour conjurer un malheur qui menaçait son peuple. Pour nous, ses enfants, Abraham a abrogé ces coutumes. Notre conscience de croyant a fait un bond en avant par rapport à la vie.

Quand j’observe la célébration de l’Aïd aujourd’hui en France, j’y vois un bond en arrière. Car le mouton tient la vedette. On peut manger du mouton tous les jours. Mais quand vient l’Aïd al-Adha, il sort le grand jeu et se livre à un strip-tease que je trouve dégoûtant.

Se bourrer de viande n’est pourtant plus une fête pour les enfants. Un tour dans une cantine scolaire suffit à s’en convaincre. Pour certains, cela est même une punition quotidienne : « Finis ta viande, sinon tu n’auras pas de dessert » tonnent les parents à table.

Mais, alors, pourquoi tuer tant de moutons quand on se moque tant de les manger ? Depuis le Prophète, notre conscience collective, dans le rapport à la vie, se serait-elle bloquée ? Quel est, aujourd’hui, en France, le sens spirituel à égorger des dizaines de milliers de bêtes en un jour ? Je me pose ces questions et je n’aime pas mes réponses.

Je ne suis ni végétalien ni végétarien. Tuer des plantes ou des bêtes ne me dérange pas si c’est pour se nourrir. Mais, dans notre contexte français, citadin, familles atomisées, où les enfants s’émerveillent devant deux petits poissons dans un bocal comme des œuvres d’art exceptionnelles, s’obstiner à vouloir tenir le couteau pour voir gicler le sang frais et chaud, comme acte d’adoration est une pratique qui m’interpelle. Car Dieu n’a pas besoin de sang.

À travers l’Aïd al-Adha, le souvenir d’Abraham, il y a une invitation à évoluer dans notre rapport aux formes de vie. Je crois donc qu’il faut repenser l’Aïd al-Adha en France. Non seulement pour être conforme au respect de la vie animale qui est croissant dans notre société, mais surtout pour laisser le symbole à sa place de signe afin d’éclairer l’objet qu’il symbolise. Après tout, l’objectif d’Abraham n’était pas de tuer.

J’ignore ce qu’il faudra faire, cela n’empêche qu’on puisse poser le problème. Mais je sais qu’il faudra tuer moins de bêtes et inventer des manières plus adéquates d’honorer le souvenir d’Abraham en libérant ce grand prophète des carcasses de mouton pour le rattacher au pacte dont il est l’instrument et le témoin pour le musulman, le chrétien comme pour le juif. Notre expérience, en France, l’exige et les organisations humanitaires font bien d’ouvrir cette voie en collectant « l’argent du mouton » pour alimenter la fraternité abrahamique.

En attendant que ces idées soient bien comprises et généralisées, l’Aïd al-Adha, comme chaque année, va nous repousser dans notre indigence de consommateur. Le prix du mouton, sa santé, sa traçabilité, le nombre d’abattoirs supplémentaires pour mieux les tuer, tous, rapidement, le même jour. Finalement, j’ai l’impression qu’Abraham a sauvé les gosses, mais le mouton a dévoré Abraham. C’est pourquoi je pense que je n’aime plus cette belle fête.


Diplômé d'histoire et anthropologie, Amara Bamba est enseignant de mathématiques. Passionné de... En savoir plus sur cet auteur


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31.Posté par Hkh le 28/10/2012 16:40 (depuis mobile) | Alerter
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En regardant les yeux de la bête morte je me suis vu mort et me suis rappelé que ce jour la je ne pourrais plus faire de bonnes œuvres et que si elles n'etaient pas assez nombreuse je risquerai très gros
En voyant l'ame sortir j'ai pensé à la mienne

32.Posté par Hkh le 28/10/2012 16:41 (depuis mobile) | Alerter
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En voyant l'ame sortir j'ai pensé à la mienne
En voyant sortir le sang d'une traité j'ai réalisé à quel point la vie est fragile 
En enlevant la peau j'ai découvert un corps de mammifère qui ressemble beaucoup au corps humain

33.Posté par Hkh le 28/10/2012 16:41 (depuis mobile) | Alerter
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C'est quoi ça? Un foi et ça sert à ça. Et ça? Un cœur  ah c'est comme ça un coeur? 
J'arrète la ou les coeurs aveuglés ont besoin de plus de détails ?

34.Posté par Hkh le 28/10/2012 16:44 (depuis mobile) | Alerter
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Que de leçons de la vie en ces quelques minutes passée avec un mouton!

35.Posté par No Meat le 28/10/2012 17:32 | Alerter
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Rien à dire. Beau témoignage et belle expérience... Beaucoup plus agréable que je n'avais cru au départ.

36.Posté par Pascal le 29/10/2012 13:03 | Alerter
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Tu as tort, Sabrina, et non pas «Tu as tord» !

37.Posté par Sénepse le 04/11/2012 10:51 | Alerter
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Merci pour ce texte, merci pour cette remise en question. Il est regrettable que de telles opinions ne soient jamais médiatisées : nous voyons régulièrement aux journaux télévisés l'intolérance, la fanatisme, les passions irrationnelles et meurtrières. Cette accentuation des dérives de groupuscules écervelés entraîne un effet pernicieux : propager l'idée que l'Islam est une religion d'intolérance et qu'il ne peut se remettre en question. Voici une preuve du contraire.

Je suis athée, de surcroît anti-religieux pour des raisons que l'on pourra trouver en partie sur mon propre blog.Mais nous avons ici un article qui peut redonner espoir, l'espoir que l'intolérance religieuse, ainsi que l'incontestabilité de pratiques religieuse, puisse un jour disparaître des cerveaux humains.

Toujours est-il qu'une religion, si elle ne veut pas faire figure d'archaïsme néfaste pour la société, se doit de s'adapter à l'évolution sociétale. Il me semble inadmissible à ce jour de pouvoir massacrer ainsi tant d'animaux (et qui plus est, en les laissant souffrir, ne fut-ce que l'espace de trente secondes...) en l'espace d'une journée. Pour ceux qui le souhaitent, voici le lien vers un article que j'ai publié également le jour de l'Aïd al-Adah : L'Aïd al-Adah, ou la réjouissance remise en question.

Mais que l'on ne se méprenne pas sur mes propos : je n'accuse pas uniquement les pratiques animales de certaines religions, car la société de consommation fait encore bien pire avec son élevage intensif d'...  

38.Posté par Assma. le 12/11/2012 00:33 | Alerter
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Hmm, Tout d'abord bonjour, je ne vais pas m'attarder sur un tel sujet car je pense bien que ce n'est pas sur page internet que l'on pourra faire changer d'avis une personnes. (à part quelque-uns, ceux-là bien sûr sont des cas assez spéciaux, malgré le fait qu'il y en a beaucoup de nos jours, d'où le terme "islamophobie" utilisé plus qu'un "merci")
Puis, pour ceux qui ont de la "soi-disant" peine pour ces pauvres moutons tués sachez que l'animal ne ressent aucune douleur lors de son abattage : " Scientifiquement, il a été établi qu'à l'instant où il est égorgé, il suffit d'un coup sec qui sectionne toutes les artères partant vers le cerveau. Le mort Cérébrale a lieu de 7 à 15 secondes, ce qui veut dire que le cerveau se vide de son sang et ne peut plus envoyer de signal nerveux au reste du corps. C'est pour cette simple et pure raison que le corps de la bête bouge de manière aléatoire, non pas qu'il se tord de douleur, mais c'est tout simplement l'adrénaline qui se libère et qui n'est plus contrôlée par le cerveau."
Puis, arrêtez donc un peu de stigmatiser et de blâmer l'Islam juste à cause de bête sacrifiées en ce jour de fraternité et de "PARTAGE" !!! ll serait plus intelligent de créer un site sur tous les génocides qui se passent à l'instant où je vous parle.. Le nombre de mouton face à ça n'est qu'un fil dans une garde-robe. Pour ce qui est du reste je pense que Sabrina a tout dit.
A bon Entendeur.

39.Posté par Alima le 22/12/2012 12:31 | Alerter
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Comme c'est surprenant de lire un texte comme celui-ci sur un site musulman. Cela prouve qu'il y a encore des musulmans libres malgré le matracage que nous subissons dans nos mosquées. Mes parents m'ont parlé de l'aïd el-kébir au pays mais moi je suis née ici et je n'ai pas connu ce que racontre madame amara. Pourtant je suis entièrement d'accord avec elle: on peut tuer des moutons mais on ne doit pas se comporter comme des moutons. On est au XXIe siècle.
Ce qui me désole ce sont les commentaires. Cette Assma qui nous explique la souffrance animale me donne envie de vomir. Non, les animaux ne souffrent pas dit-elle. Cette année, en France, on a tué 120 000 moutons le même jour. Ma soeur, si cela ne vous dérange pas, moi ça me dérange.
Et puis on dirait que les génocides commis ailleurs dans le monde sont comparables à la fête de l'aîd. Là aussi, cette comparaison me donne la nausée. Soit c'est un manque de culture ou, et je préfère penser ainsi, c'est une simple provocation.
En tout cas, depuis deux ans, mes frères et moi avons étudié la situation et nous avons décidé de nous réunir à l'aïd chez notre mère pour sacrifier un seul mouton au lieu de sept !! Mon mari est conveti à l'islam et c'est une idée de lui qui nous satisfait tous. Les musulmans du XXIe siècle ne sont pas les musulmans du VIIe siècle. Les musulmans de France, ne sont pas les musulmans du bled. Mais l'islam, puisque c'est l'islam ça le problème, l'islam reste le même et ne changera jamais. Car il appartie...  

40.Posté par Dalaï lama le 15/10/2013 21:59 | Alerter
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Voilà, l aid el adha 2013 vient de s achever et comme chaque année je suis triste de penser à toutes ces têtes qui vont tomber par la lame aiguisée d un égorgeur pas forcément qualifié. Je suis triste quand je pense a tous ces moutons qui auraient voulu continuer de vivre mais on les en a empêchés au nom d un rituel de plus en plus sanglant. Car dans notre fichue société de consommation, plus on consomme plus on existe. L'essentiel est juste de consommer coûte que coûte. Nous sommes victimes des lobbies viandards qui nous assènent sans relâche que manger de la viande c est bon pour la santé, alors que scientifiquement il a largement été établi le contraire. On peut très facilement remplacer la viande par des protéines de nature végétales. Et il en existe a foison. L'essentiel et c est comme pour tout, est de le vouloir...

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