Points de vue

Jamel El Hamri : Écrire le double roman national et spirituel

#1AnAprès

Rédigé par Jamel El Hamri | Lundi 25 Janvier 2016 à 19:05

Un an après les premiers attentats qui ont bouleversé la société française, que faut-il retenir de ces funestes événements et de leurs conséquences ? Quels messages promouvoir et que préconiser pour construire une société meilleure ? Le point sur Saphirnews avec Jamel El Hamri, président de l’Académie française de la pensée islamique (AFPI).



Jamel El Hamri est président de l’Académie française de la pensée islamique (AFPI) et doctorant en islam contemporain à l’université de Strasbourg.
Les attentats de 2015 ont bouleversé l’ensemble de la société française en particulier sa jeunesse. Des jeunes femmes et jeunes hommes, choqués, ont dû faire la douloureuse expérience des attentats sur le sol français. Les terroristes étaient, quant à eux, des jeunes en situation de précarité affective et sociale, acquis à la cause d’une idéologie terroriste se revendiquant de l’islam.

Avons-nous imaginé une instant la douleur des jeunes musulmans se sentant quasi obligés de se justifier ou de se désolidariser d’une action qu’ils n’ont jamais commise ni cautionnée ? Avons-nous réellement saisi la vulnérabilité de nos jeunes en difficultés qui sont exposés aux discours intégristes, communautaristes, voire terroristes ? Il est urgent de prendre en compte les besoins et les attentes de la jeunesse musulmane de France, que ce soit par les autorités de notre pays ou par les institutions musulmanes de France.

Les questions géopolitiques, politiques, économiques, théologiques et sociales sont aujourd’hui imbriquées plus que jamais. Dorénavant, avec le Net, un jeune français musulman, marginalisé socialement, peut être une proie pour une entreprise terroriste hors de nos frontières.

Les besoins de la jeunesse

Prendre en compte les besoins des jeunes musulmans de France, c’est d’abord rappeler que leurs besoins sont similaires à ceux de la jeunesse française dans son ensemble. Les mêmes besoins affectifs et sociaux, la même soif de liberté et d’espaces d’expériences, la même envie d’édifier leur personnalité. Ils veulent être heureux et épanouis, ici et maintenant, sans trop se projeter dans un avenir incertain.

Pour autant, il y a lieu aussi de mentionner quelques attentes spécifiques des jeunes musulmans de France. Au regard de l’Histoire de la colonisation et de celle de l’immigration, ils désirent se sentir à la fois pleinement citoyens français et croyants musulmans. Dès lors, de véritables programmes d’éducation civique et spirituelle doivent être envisagés de manière complémentaire. Ils devront prendre en compte avec beaucoup de pédagogie leur précarité affective, leurs difficultés sociales, leur crise d’identité due à leur richesse identitaire associée à leur bien maigre capital culturel et à leur grande envie de spiritualité.

Malheureusement, des obstacles dangereux pour la formation du futur citoyen et croyant autonome se dressent. Les discours des idéologies wahhabite et salafiste poussent une partie de cette jeunesse à se renfermer sur elle-même, à s’auto-exclure de la société. Cette propagande se nourrit à la fois de tous les discours populistes ainsi que de tous les actes racistes et islamophobes. Les multiples discriminations à l’école, à l’emploi et aux loisirs n’aident pas à la construction d’une identité apaisée.

Certains, pourtant nés en France, ne se sentent pas français et, au nom de leur idéologie salafiste, vont excommunier les musulmans ordinaires, pas assez « purs ». Se sentant extraordinaires dans un contexte d’humiliation sociale en France, ils seront aussi tentés de faire converger leur humiliation avec celle d’autres musulmans humiliés par les guerres impérialistes menées par les pays occidentaux.

Des responsabilités partagées

Les responsabilités sont donc multiples et partagées. La France doit mener des politiques publiques sur l’éducation qui dépassent les traditionnels clivages politiques avec une vision sur les vingt prochaines années.

La communauté musulmane doit élaborer également une politique éducative globale, religieuse et citoyenne, avec des programmes éducatifs efficaces et des indicateurs clairement définis pour mesurer l’impact des actions menées au sein des mosquées, dans les instituts religieux et culturels. Toute politique éducative doit mener vers la fraternisation afin de protéger la société française dans son entièreté et sa diversité.

Nous devons faire confiance à l’esprit créatif des jeunes musulmans de France, leur donner l’espace d’imaginer une société française plus unie et consciente de son destin commun. Contribuer au bonheur de leur société française doit être une finalité de leur religion, la citoyenneté devient ainsi le prolongement de leur témoignage spirituel.

Aidons la jeunesse musulmane de France à écrire le double roman : le roman national de leur pays et le roman spirituel de leur communauté. La jeunesse nous aidera à son tour, avec sa nature primordiale spontanée, à vivre ce double roman avec nos concitoyens et, parmi eux, nos coreligionnaires.