Politique

Immigration : Claude Guéant institutionnalise le « racket d’État »

Rédigé par Fanny Stolpner | Mercredi 18 Avril 2012 à 09:37

Depuis janvier, les sans-papiers paient une taxe de 110 euros pour retirer un dossier de régularisation. En cas de réponse favorable, la majoration d’autres taxes fait flamber le prix du titre de séjour : 700 euros en moyenne.



Dissuader les demandes de régularisation en les faisant payer au prix fort, il fallait y penser. C’est désormais la logique à l’œu­vre depuis le 1er janvier et l’application de la loi de finances 2012.

Passé ina­perçu lors des débats parlementaires, un article du budget de l’État a ainsi modifié le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Il crée une nouvelle taxe pour les personnes sans-papiers, en majore d’autres, et fait exploser le prix d’une procédure de régularisation.

Lorsqu’elle demande à régulariser sa situation, une personne sans-papiers doit désormais régler au préalable une taxe de 110 euros à la préfecture. Non remboursable en cas de refus ou d’expulsion. Si sa demande est acceptée, elle s’acquitte du reste de 220 eu­ros de la taxe dite de « chancellerie » (qui correspond à la sanction du défaut de visa ou de l’absence du bon visa au moment de la demande). S’y ajoutent 349 euros versés à l’Office français de l’immigration et de l’intégration et un droit de timbre de 19 euros pour la fabrication de la carte. Soit 708 euros au total pour la délivrance d’une première carte de séjour.

« Racket d’État »

Un « racket d’État » qu’ont dénoncé une trentaine d’associations, de partis politiques et de syndicats dans un communiqué, le 29 mars. La Ligue des droits de l’homme (LDH) et le Groupement d’information et de soutien des immigrés (Gisti) ont déposé le 12 mars un recours devant le Conseil d’État contre la circulaire d’application de la loi de finances.

« Nous signalons un détournement de pouvoir : M. Guéant invite les préfectures à réclamer le versement des 110 euros chaque fois qu’une personne demande sa régularisation (pas seulement pour la première fois, comme le prévoit la loi, ndlr). Il les enjoint aussi à ne plus appliquer le décret de 1981 qui prévoit une exemption de paiement de la taxe de chancellerie lorsqu’on est indigent », explique Fran­çois-Xavier Corbel, avocat à la LDH et rédacteur du recours. Il espère faire annuler la taxe de 110 euros, mais l’urgence du traitement des dossiers étant laissée à l’appréciation du Conseil d’État, la procédure pourrait durer de six à dix mois.

En attendant, certaines associations d’aide aux sans-papiers se trouvent dans l’embarras. Céline Dumont, du Réseau Chrétien-immigrés, témoigne : « Un monsieur a reçu une convocation pour retirer son récépissé à la préfecture. Une carte de séjour pour soins. Mais il ne peut pas la payer, et nous non plus ! On est en train de contacter des paroisses, organiser une quête pour réunir 500 à 600 euros et les lui donner. »

Même situation au Gisti où Jean-Pierre Alaux est chargé d’études. Il termine un entretien avec un Palestinien de Gaza, en France depuis 17 ans, qui vient d’obtenir une carte de séjour pour vie familiale après trois demandes de régularisation. « Il était effaré en se demandant comment faire pour régler la facture de 800 euros », rapporte-il.

Créer des sans-papiers par l'obstacle économique

N’ayant pas le droit de travailler, beaucoup de sans-papiers se trouvent en situation de précarité. « Les dernières lois ont de plus en plus restreint les possibilités d’accès aux papiers. Là, on institue un obstacle économique. La majoration astronomique et l’introduction de nouvelle taxes, c’est aussi une façon de créer des sans-papiers, et de les maintenir dans cette situation », expose Jean-Pierre Alaux.

Les acteurs du secteur associatif s’interrogent : « N’y aurait-il pas un calcul économique derrière ça ? Notre économie n’aurait-elle pas besoin de personnes sans-papiers ? Dans la confection, l’agriculture, le BTP, l’entretien, les sans-papiers sont une force de travail silencieuse, peu onéreuse et corvéable à merci. »

Constat partagé par Marie Henocq de la Cimade, également signataire du communiqué contre le racket d’État. « C’est du jamais vu. Au motif de “responsabiliser” les demandeurs et de faire la chasse aux abus, le législateur rend une administration payante. Il délaisse le service public de la préfecture, dans la continuité de ce que nous dénonçons depuis des mois : des conditions d’accueil déplorables, peu de moyens mis dans le traitement des dossiers. »