Société

Imams et responsables de mosquées sous pression, Hozes fait le pari de la formation

Rédigé par | Samedi 2 Novembre 2019 à 11:00

La tuerie survenue à la Préfecture de police de Paris a, une nouvelle fois, fait resurgir dans le débat public la question du rôle des imams dans la prévention contre la radicalisation. Des imams mais aussi des responsables de mosquées qui sont de plus en plus mis sous pression, tant par leurs fidèles que par les pouvoirs publics, les médias et la société. Créé en 2013, Hozes permet aux cadres cultuels et culturelles de « monter en compétence ». L'association, inquiète du climat délétère illustré par la récente attaque visant la mosquée de Bayonne, veut « aider les responsables de mosquées à mieux gérer leurs structures », y compris sur le plan sécuritaire. Cinq questions à son président, Yacine Hilmi, à l’origine de l’ouverture de la formation de français à destination des imams.




Saphirnews : A chaque attentat, il est rappelé aux imams qu’ils sont en première ligne dans la lutte contre le terrorisme. Qu’en dites-vous ?

Yacine Hilmi : En effet, à chaque attentat revendiqué au nom de l’islam, le réflexe est de se tourner vers les lieux de fréquentation du terroriste. Si, dans son cheminement, il a fréquenté une mosquée, alors le regard se tournera vers le symbole de la mosquée : l’imam.

La réalité est que les personnes radicalisées ont, dans leurs parcours, coupé tout contact avec la mosquée et l’imam de leur quartier. Pour eux, la prière n’est pas accepté dans ces lieux et les prêches n’appliquent pas le principe de « l’alliance et du désaveu » (al-wala wal-barra), principe de fracture entre les croyants et non-croyants.

Malgré cela, je pense que les imams jouent un rôle en amont dans la prévention contre la radicalisation des jeunes. Plusieurs facteurs de radicalisation existent, elles peuvent être psychologiques, sociaux, économiques mais aussi théologiques. J’ai en tête l’exemple d’une mère, venue avec son fils de 17 ans radicalisé rencontrer un imam de Seine-Saint-Denis car son fils souhaitait rejoindre une zone de guerre. L’imam a réussi à convaincre, avec des arguments théologiques, de la manipulation et la fausse interprétation des textes à laquelle ce jeune a eu accès. Grâce à cet imam, un jeune a été sauvé de cette idéologie mortifère !

Muriel Domenach, ancienne secrétaire générale du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), a plusieurs fois rappelé que les cadres religieux ont aussi un rôle à jouer dans la lutte contre la radicalisation. Les imams doivent, certes, maîtriser le corpus théologique mais de façon à être en phase avec le contexte, ce qui demande une maîtrise de la langue française. L’imam doit aussi s’outiller pour maîtriser sa communication vis-à-vis des jeunes, qu’il doit aider à orienter au besoin vers les personnes qualifiées quand leurs problèmes ne sont pas d’ordre religieux.

Quel état des lieux dressez-vous de la situation des imams en France ?

Yacine Hilmi, président de l'association Hozes.
Yacine Hilmi : Avant de répondre à votre question, j’aimerais souligner le rôle important que joue l’imam dans notre société française, au-delà de ses seules activités cultuelles.

Bien souvent, l’imam assure les cinq prières quotidiennes, le prêche du vendredi, donne des conférences à la mosquée. Il est aussi sollicité pour les cérémonies religieuses (mariage, baptêmes, veillées funéraires). L’imam est aussi appelé en tant que médiateur afin de régler des conflits conjugaux, familiaux, de voisinage ou d’héritage. Il joue aussi, parfois, le rôle d’aumônier lorsqu’il est sollicité pour visiter des malades à la maison ou à l’hôpital. Il peut lui arriver de participer à des rencontres interreligieuses dans sa localité.

L’imam peut être amené aussi à jouer un rôle pour animer la mosquée en tant que lieu social où il arrive que des conférences ouvertes à tous y sont organisées. Certains lieux de prière organisent même des rencontres pour l’emploi ou des découvertes de métiers. Ils peuvent être un centre de solidarité pour les plus précaires de toutes confessions. Je me souviens aussi que, durant les émeutes de 2005, des maires ont pris contact avec des responsables de mosquées de leurs communes pour délivrer un message d’apaisement et de calme durant le prêche du vendredi… La réalité est aujourd’hui plus complexe que ce qui est présentée dans les médias mainstream.

Dans le même temps, le statut de l’imam est précaire, alors même qu’il doit faire face à une multitude de sollicitations non seulement des fidèles mais aussi des responsables de sa mosquée et, maintenant, de la société toute entière. L'imam est souvent bénévole. S'il a la chance d'avoir un contrat de travail, il est souvent embauché à mi-temps en tant qu'animateur pour un salaire au Smic. Je connais certaines mosquées qui offrent une rémunération plus confortable mais ce sont des exceptions. L'imam dépend beaucoup de la générosité des fidèles et des invitations aux cérémonies religieuses. Il n’a, en général, aucun pouvoir sur la gestion de sa mosquée car elle est dirigée par le président et les membres du bureau de l'association. Ce sont ces derniers, selon leur obédience, qui oriente et donne la ligne directrice des discours religieux.

Je constate aussi que beaucoup d’imams n’ont pas une connaissance approfondie de l’histoire et de la culture française. A cela s’ajoutent des difficultés à communiquer avec les fidèles et ont donc beaucoup de mal à répondre à leurs interrogations et à leurs sollicitations. C’est particulièrement vrai envers le public jeune, qui n’a souvent pas d’autres moyens de s’exprimer en français.

Que préconisez-vous pour améliorer cet état de fait ? Quelles réponses concrètes apportez-vous aux cadres religieux avec Hozes ?

Yacine Hilmi : Les imams peuvent maîtriser les différentes sciences islamiques mais, sans la compréhension des institutions, du contexte français et de la laïcité, ils ne pourront exercer sereinement.

Il existe, dans les grandes villes de France, des formations sur la laïcité et les religions qui accueillent les cadres religieux. Ces diplômes universitaires (DU) leur donnent la possibilité de devenir aumônier hospitalier ou pénitentiaire par exemple. Cela peut leur apporter un revenu supplémentaire.

Pour s’inscrire à un DU, les imams doivent acquérir un niveau de compréhension suffisant de la langue française. Ces outils linguistiques doivent aussi être propices à favoriser tant les échanges avec les fidèles qu’avec l’ensemble de la société civile. Si la langue arabe reste indispensable à l’exercice du culte, la maitrise du français est également un enjeu de taille pour pouvoir communiquer au sein et en dehors de la mosquée. L’apprentissage du français permet aussi à ces cadres religieux de vivre épanouis dans ce pays, d’être autonomes dans leurs démarches personnelles et, ainsi, de favoriser leur intégration dans la société française.

L’association Hozes propose donc aux imams et aux cadres religieux un programme de formation de FLE intensif (Français Langue Etrangère) mais aussi de découverte des institutions. Ce programme se compose de 12 heures de cours par semaine, incluant des sorties culturelles. Jusqu’à présent, Hozes intervient en Ile-de-France mais nous élargissons l’offre à d’autres grandes villes de France comme Marseille, Lyon et Lille.

Nous travaillons à ce que les imams puissent trouver toute leur place dans la société et permettent enfin aux citoyens musulmans de vivre leur foi avec sérénité et apaisement.

Quant aux conditions de travail de l’imam, que propose Hozes pour les améliorer ?

Yacine Hilmi : Ce n’est pas le rôle que s’est assignée l’association. Néanmoins, nous aidons les responsables de mosquées à mieux gérer leurs structures à travers des formations sur la gouvernance, la gestion des ressources humaines, la comptabilité et la communication interne et externe.

Après l'attaque perpétrée contre la mosquée de Bayonne, les inquiétudes sont montées d'un cran parmi les responsables de mosquées et les fidèles. Que peut faire Hozes pour les aider en la matière ?

Yacine Hilmi : Je tiens tout d’abord à adresser mon soutien aux familles des victimes ainsi qu’aux responsables de la mosquée de Bayonne et à ses fidèles. Les inquiétudes sont légitimes ; il faut les entendre et y apporter des réponses.

La gestion des mosquées aujourd’hui a changé, elle est plus complexe et elle demande par conséquent des compétences – qu’elles soient d’ordre administratif, juridique ou comptable – que n’ont pas forcément les bénévoles qui donnent de leur temps pour leur lieu de culte. L’aspect sécuritaire est une préoccupation de plus en plus importante pour les responsables de mosquées, soucieux de vouloir protéger leurs fidèles dans un contexte où le risque d’attentat ne faiblit pas.

L'Etat finance jusqu'à 75 % de l'investissement consacré à la sécurité des lieux de culte (vidéosurveillance, sas de sécurité...) mais de nombreux gestionnaires de mosquées ne sollicitent pas cette aide. Pour y remédier, Hozes propose un accompagnement aux structures dans ce domaine et des formations dédiées.

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Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur