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'Il Faut concevoir un contre pouvoir durable dans les quartiers'

Entretien avec Zoubir du MIB

Rédigé par Propos recueillis par le rédaction | Lundi 17 Avril 2006 à 11:40

Zoubir est l’un des cofondateurs et un militant du Mouvement de l’Immigration et des banlieues. Suite, à la rencontre organisée pour les dix ans du MIB, il répond aux questions de Saphirnews.com.



Comment s’est créé le MIB ?


Le MIB s’est créé suite au rassemblement de petits groupes de quartiers issus des années 1980. Au début ça s’appelait « résistance des banlieues », puis ça s’est transformé vers 1990 en « comité contre la double peine ». En 1995, à la bourse de Saint Denis, nous avons créé le Mouvement de l’Immigration et des Banlieues. Bientôt il y aura une sorte de MIB2 ; qui sera une véritable force politique. Attention, pas un parti politique, nous voulons créer notre propre façon de faire de la politique. Le but est de concevoir un contre pouvoir durable dans les quartiers.

Quel a été selon vous, le déclencheur des émeutes de novembre 2005 ?


Les émeutes de novembre étaient un chemin tracé d’avance, c’est la seule façon que ces jeunes ont de s’exprimer. Une organisation dans un quartier, ça vaut toutes les émeutes du monde. Les quartiers sont des bombes sociales. Quel est leur avenir ? Se clochardiser un peu plus ? Les gamins et les parents aussi en ont ras-le-bol des contrôles de police abusifs, d’être sans arrêt soupçonnés et montrés du doigt. N’y a-t-il pas eu d’ailleurs une manipulation politique, de droite comme de gauche, dans cette affaire ? M. Sarkozy débarque à Argenteuil, à minuit passé, casser les pieds à tout le monde avec sa horde de policiers, en violant la propriété privée des habitants. Car, lorsque vous payez un loyer, vous payez aussi pour les parties communes. Or, les jardins et parking des cités sont des parties communes. Si on ne les y invite pas, les policiers n’ont pas à y pénétrer. Ce n’est pas une zone de non droit. C’est une question de respect des habitants. C’est de la provocation.

Comment se fait-il qu’il y ait eu autant de réactions dans toute la France ?


Par solidarité. Les jeunes peuvent se mobiliser, mais il faut leur donner les moyens. Certains partis politiques engagent des « arabes ou des noirs de service » en croyant qu'ils vont se sentir représentés. Mais ils ne font que les utiliser comme des pantins. Les jeunes ne sont pas dupes. D’autre part, je vous rappelle que les gens ne sont pas tous traités de la même façon en France. Les habitants de ces quartiers vivent dans un système fasciste. Ce sont des microsociétés où on s’autorise tout. On s’attaque à des gamins en leur interdisant de se réunir et même parfois d’aller manifester comme par exemple le blocage des gares du RER de la banlieue nord de Paris par les CRS lors des manifestations anti-CPE. Je vous rappelle que le droit de manifester est un droit constitutionnel. Incontestablement, tous les Français ne sont pas régis par les mêmes lois.

Pourquoi parle-t-on d’une dépolitisation de ces quartiers ?


Tous les partis politiques (PC, PS, LCR…) voient toujours d’un mauvais oeil la mise en place d’organisations autonomes. Quand ils sont au pouvoir, ils créent leurs propres structures sociales. Ainsi, les centres sociaux sont toujours politiquement affiliés à un parti qui leur donne des subventions en échange de quoi ils doivent correspondre aux idées politiques des dirigeants. De plus, l’argent est plus facilement gérable ainsi. Seulement, lorsqu’ils ont payé tous les salariés de ces centres, il y a plus un sou pour les quartiers. Ils sous-traitent la misère. Ils créent des mairies annexes ou des commissariats annexes, moins « bien » que les autres. C’est du contrôle social. Les agendas de ces centres sociaux etc. sont toujours réglés en fonction de l’agenda électoral de la ville. Ils disent que les gens sont assistés mais en fait, ils ne les laissent pas être autonomes. Ils veulent contrôler les gens. C’est le laissé pour compte de ces quartiers. La jeunesse leur fait peur, les parents sont montrés du doigt et culpabilisés. On ne fait que les criminaliser. Pour la plupart, ils n’ont plus confiance du tout dans ces partis politiques. On les défait de leurs identités, ils doivent renier leur éducation car les écoles et les centres sociaux vont à l’encontre des cultures de ces habitants. L’exemple le plus probant est l’histoire coloniale. S’ensuit le poids des préjugés, le matraquage médiatique et, pour les jeunes, l’épreuve de l’adolescence.

Que pensez-vous des tentatives de reconstruction des cités, comme pour la Courneuve par exemple ?


Ma définition du ghetto ne s’arrête pas à des Noirs et des Arabes ensemble dans le même quartier. C’est la misère, la pauvreté qui caractérisent ces ghettos. Le problème des immeubles est un faux problème. Ce sont des opérations médiatiques. Ces gens ont tissé des liens, des réseaux d’entraides, il y a de la vie dans ces immeubles et tout ça est réduit en poussière. Le lieu d’habitation ne fait pas de toi quelqu’un de plus ou moins misérable. L’important c’est le système de santé, le système éducatif, sportif etc. Tout ceci est vu au rabais dans ces quartiers. Si les activités proposées n’étaient pas des activités à deux balles, style faire des colliers de perles ; si on prenait vraiment au sérieux les habitants de ces quartiers, on n’en serait pas là. Ces reconstructions et les promesses qui vont avec, c’est du courant d’air. C’est juste pour l’effet d’annonce. Que les immeubles soient neufs ou pas, la misère des habitants restera la même.

Et l’initiative de la SNCF de recruter les jeunes dans les quartiers ?


C’est une bonne chose si ça peut leur permettre d’augmenter leur niveau de vie. Mais il faut que se soit durable. C’est bien joli de faire une belle annonce dans le journal mais si cela ne s’inscrit pas dans la longueur, ça ne sert à rien. D’autant plus que ces jeunes ont envie de travailler, ce ne sont pas des fainéants. Il ne faut pas oublier qu’il y en a plein qui ont besoin de formations et de remise à niveau. Je parle de vraies formations, pas des études au rabais, histoire de les occuper.

Quelles seraient les solutions adéquates ?


Il faut aider les gens à s’organiser en réseaux de solidarité et arrêter de traiter les quartiers comme un simple problème de jeunes. Un quartier c’est un ensemble. Il faut cesser d’accuser les parents et de les culpabiliser. Croyez-vous qu’ils ont le temps de s’occuper de leurs enfants entre deux boulots pour survivre ? Aujourd’hui, il faut toujours plus d’argent. C’est difficile. Le MIB veut non seulement amener les gens à arrêter de croire que les pouvoirs politiques peuvent quelque chose pour eux, mais aussi à prendre leur quartier en mains et à s’intéresser à la gestion de leur ville, par eux-mêmes, de façon autonome, car personne ne le fera mieux qu’eux. Enfin, les pouvoirs politiques et les pseudo intellectuels doivent respecter nos parents, nos valeurs et nos identités.