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Société

Ghaleb Bencheikh : Avec la FIF, « je m'engage à venir à bout de l'extrémisme par la culture et l'éducation »

Interview exclusive

Rédigé par | Vendredi 14 Décembre 2018 à 11:35

           

Ghaleb Bencheikh succède à Jean-Pierre Chevènement à la présidence de la Fondation de l'islam de France (FIF), qui fête aujourd'hui ses deux ans d'existence. A 58 ans, la réputation du théologien et philosophe musulman, fils de l'ancien recteur de la Grande Mosquée de Paris cheikh Abbas Bencheikh El Hocine (1982-1989), n'est plus à faire tant il est respecté pour la qualité de ses nombreux travaux et ses prises de positions responsables. Pour sa première interview accordée à Saphirnews depuis son élection à la tête de la FIF jeudi 13 décembre, il revient sur le sens qu'il donne à ses nouvelles responsabilités et fait part des chantiers qui l'attendent. « Le travail est colossal, la tâche est immense et les chantiers sont titanesques, mais le plus grand voyage commence par un pas », fait valoir l'islamologue. Entretien.




Saphirnews : Qu'est-ce-qui vous a motivé à accepter de prendre la direction de la Fondation de l'islam de France ?

Ghaleb Bencheikh : Je ne peux pas m'égosiller dans toutes mes conférences que les meilleurs antidotes à ce qui arrive à notre belle tradition religieuse comme vilenie et perversion sont la culture, l'éducation, la connaissance, l'acquisition du savoir, l'ouverture sur le monde, l'inclination pour les valeurs esthétiques, pour la beauté, les belles-lettres et les beaux-arts... mais que, lorsqu’on me sollicite pour mener à bien ces travaux, je répondrai non. Mon père m'avait appris une chose : « Ne cours jamais après les responsabilités mais, lorsqu'elles se présentent à toi, assume-les avec humilité, avec détermination et avec résolution. » Quand la proposition de candidat (à la présidence de la FIF) m'a été faite, j'y ai réfléchi et j'ai dit oui pour prendre le relai de Jean-Pierre Chevènement, à qui je rends hommage.

Je me réjouis qu'il y ait eu un homme comme lui pour mettre sur orbite la fondation parce que - malheureusement et cela ne me fait pas plaisir de le dire - si on avait laissé cette tâche à des personnalités musulmanes - connaissant notre microcosme et les divisions qui existent- elle n'aurait pas vaincu son inertie de départ. En dépit de tout ce qu'on peut raconter, nous avons travaillé. Nous avons organisé jusque-là huit réunions de conseil d'administration.

Quels sont les chantiers qui vont être engagés sous votre présidence ?

Ghaleb Bencheikh : Il est dans l'ordre naturel des choses, dans la vie, que les hommes succèdent aux hommes - ou aux femmes. Les hommes partent mais les institutions restent.

Je me place dans la continuité de ce qui a été entrepris sous Jean-Pierre Chevènement, sans aucune rupture en vue, bien au contraire. Les acquis, je compte les fortifier. Le campus « Lumières d'Islam » existe, on va l'enrichir davantage. Nous allons continuer de soutenir les étudiants à poursuivre leurs études en islamologie et d’aider les imams dans leur formation profane (à travers des bourses et des allocations doctorales, ndlr).

J'ai envie de mettre en place une WebTV et d'organiser des colloques internationaux et des conférences de haute tenue à dates régulières pour plus de visibilité à la Fondation mais aussi pour traiter des thèmes qui nous tiennent à cœur ; de lancer une université populaire pour arrimer nos concitoyens non-musulmans à la connaissance du fait islamique et dirimer les thèses radicales et pourfendre les insanités fondamentalistes extrémistes.

En outre, nous devons par la formation, notamment dans le domaine social, faire en sorte que les acteurs éducatifs et sociaux aient des idées moins biaisées de l’islam et une approche moins folklorique et moins stéréotypée.

Nous allons monter l’exposition « Europe, Islam, quinze siècles d’Histoire » qui aura, et nous nous y évertuons, un retentissement mondial et créer un prix (annuel) récompensant une personnalité ayant fait une œuvre littéraire ou artistique en lien avec les cultures d'islam... L'idée est celle-là : donner plus de visibilité, plus de présence, plus de crédit - dans tous les sens du terme - à la Fondation et, surtout, apaiser les tensions dans notre société, harmoniser l'élévation spirituelle d'une manière intelligente avec les valeurs de fraternité et de solidarité, et agir pour que le fait islamique soit naturellement présent dans le paysage français sous la voûte commune de la laïcité.

Lire aussi : Ghaleb Bencheikh : L’extrémisme est le culte sans la culture ; l’intégrisme est la religiosité sans la spiritualité

Tous ces projets demandent des moyens. De quel budget disposez-vous et comment comptez-vous mobiliser de nouveaux moyens ?

Ghaleb Bencheikh : Actuellement, les actifs de la fondation, si on devait par extraordinaire « la vendre » pèsent environ 2,5 millions d'euros. En revanche, ce avec quoi nous travaillons tourne aux alentours de 900 000 € (sur trois ans, ndlr). Mais ceci n'est absolument pas suffisant. Notre ambition va bien évidemment au-delà eu égard aux enjeux cruciaux. Nous vivons un tournant historique. Le feu est dans la maison ; il ne faut pas regarder ailleurs, il faut d’abord circonscrire l'incendie puis éteindre définitivement le feu. Nous avons besoin de moyens colossaux pour cela. La grande volonté y est, les moyens doivent suivre.

Naturellement, je vais prendre mon bâton de pèlerin pour trouver des financements et ainsi pérenniser et assurer l'autonomie de cette fondation. J'en appellerai au mécénat privé et d'entreprise. J’irai voir tous ceux qui ont à cœur le fait d'avoir un islam de beauté, d'intelligence, d'humanisme. C’est un enjeu de civilisation. Mon engagement total est pour venir à bout de l'extrémisme religieux par le savoir, la culture, la connaissance et l'éducation.

Comment expliquez-vous que la FIF n’ait pu mobiliser à ce jour que peu de fondations d’entreprise pour son financement ? Quels sont les obstacles auxquels la FIF fait face sur ce point?

Ghaleb Bencheikh : Tout en rendant hommage et exprimant notre gratitude à ces entreprises qui ont le sens de la solidarité nationale, je regrette la frilosité de certains grands groupes. Il y aurait une réticence à aider une fondation dont la dénomination porte le vocable Islam, quelques-uns ont argué aussi du fait que s’ils devaient le faire pour l’Islam ils le feraient pour d’autres fondations similaires…

À quoi doit-on s'attendre avec vous à la présidence de la FIF ?

Ghaleb Bencheikh : Celui d'un homme qui prendra à cœur d’assumer cette responsabilité qui me coûtera en temps et en énergie, en fatigue même. Mais on n'a rien sans peine. « L'homme est le fils de l’adversité », comme le dit Antoine Blanc de Saint-Bonnet. Il faut œuvrer inlassablement pour réconcilier les musulmans entre eux, les citoyens français, musulmans ou pas, entre eux, et faire en sorte que notre belle tradition (islamique) dans ses dimensions spirituelles, cultuelles, culturelles, civilisationnelles soit présentée sous un meilleur visage, celui de l'humanisme et de l'intelligence du cœur.

Justement, j’ai à cœur surtout que notre jeunesse puisse trouver un horizon qui ne soit pas opaque, qu'il soit celui du savoir et de la connaissance. Il nous faut trouver des « ateliers » du discernement, des espaces pour la lucidité, des lieux pour les échanges culturels et les débats d'idées, pour l'effervescence intellectuelle. Nous avons aussi besoin d'apaisement et de sérénité au sein de notre nation convalescente et résiliente. Nous devons tourner la page de tous ces drames du terrorisme abject et aller de l'avant pour un temps historique. J’espère vivement que la fondation aura les moyens de mener à bien tous ces chantiers qui sont titanesques.

Comment vous positionnez-vous dans le débat autour de la restructuration de l'islam de France ?

Ghaleb Bencheikh : Tout ce qui permet à la fois d'avoir une organisation plus rationnelle, plus intelligente et plus efficace aura mon soutien. Plus transparente aussi en ce qui concerne la gestion des deniers des musulmans.

Si j'ai une ligne de conduite, c'est que je ne serai jamais un homme par qui la polémique viendra. C'est une position éthique avant tout et, j'ose croire, responsable. (...) Je crois à l'idée de la conjugaison des efforts et tout ce qui concourt à organiser la gestion du culte islamique en France et le représenter dignement, est bon. Parce que les musulmans, en tant que citoyens, ne peuvent être représentés que politiquement par leurs élus.

Pour le moment, j'ai accepté cette charge d'une fondation laïque reconnue d'utilité publique et j'ai beaucoup à faire avec cette mission. Le travail est colossal, la tâche est immense et les chantiers sont titanesques, mais le plus grand voyage commence par un pas. Or nous avons effectué quelques petites enjambées.

Et suivant le vieil adage chrétien qui énonce « Si vous voulez que les hommes fraternisent, mettez-les ensemble pour construire des cathédrales », notre cathédrale, à nous citoyens musulmans, est de bâtir un très bel édifice civilisationnel monumental. Celui d’une spiritualité vivante et apaisée corrélée au savoir et à la connaissance allant de pair avec l’idéal démocratique et scellée par le pacte républicain sous la voûte commune de la laïcité encore une fois.

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Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur



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