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France : les hôpitaux publics dans la tourmente

Rédigé par | Vendredi 9 Janvier 2009 à 11:07

Le système français de santé est actuellement en pleine tourmente après les décès dramatiques de quatre personnes, dont trois en Ile-de France depuis Noël. Les enquêtes préliminaires sont ouvertes mais de plus en plus de professionnels de santé haussent la voix. Face à eux, la ministre de la Santé défend le système, parlant d’un manque d’organisation et non de manque de moyens. A l’heure où la réforme de l’hôpital est discutée, le débat promet d’être houleux.



La triste loi des séries continue. Après les morts tragiques de trois personnes durant les vacances de Noël, dont deux enfants, à la suite d’erreurs médicales, la mort samedi 3 janvier d’une octogénaire atteinte d’une forme avancée de la maladie d’Alzheimer relance la polémique sur les moyens et le fonctionnement des hôpitaux publics.

Yvette Kremer, qui souffrait de déshydratation et d’insuffisances cardiaque et respiratoire, a attendu plusieurs heures dans les couloirs de l’hôpital Bon-Secours de Metz avant de décéder « faute d'avoir reçu des soins » selon son fils, qui a porté plainte contre X pour « non-assistance à personne en danger » et « délaissement de personne vulnérable ». Ce que dément la direction de l’hôpital. Une enquête préliminaire est d’ores et déjà ouverte pour déterminer les circonstances de sa mort.

Ce décès douteux vient s’ajouter à ceux, entre autres, d’Yliès, trois ans, et Louis-Joseph, six mois, décédés respectivement à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Paris et à l’hôpital de Bullion (Yvelines). Le premier, admis pour une angine, s’est vu administré par erreur du chlorure de magnésium par une infirmière la veille de Noël. L’enquête a démontré que « le flacon utilisé par l'infirmière (…) n'aurait jamais dû se trouver dans l'armoire des solutés du service de pédiatrie générale de l'hôpital ».

Quant au second, sa mort vendredi dernier a été causée par une erreur de perfusion alors qu’il attendait une greffe de l’intestin. Une « réunion de retour d'expérience sur la permanence des soins » devra être organisée d’ici mi-janvier pour discuter des dysfonctionnements.

Réforme oblige, le gouvernement se veut rassurant

Ces décès mettent à mal la réputation des centres hospitaliers français et posent la question de l’efficacité des soins apportés notamment en période de vacances. Malgré tout, Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, demande aux Français « d’avoir confiance dans l’hôpital public » et dénonce la surmédiatisation de ces évènements qui vise à remettre en cause le système de santé, dont la France se vante souvent d'avoir le meilleur au monde.

Nicolas Sarkozy a accusé la gauche et certains syndicats de jeter le « discrédit » sur l'hôpital public. Notons que ces drames surviennent surtout à l’heure où la loi sur la réforme hospitalière, voulue par le président français et actuellement discutée, devra être examinée d’ici quelques semaines par l’Assemblée nationale.

Selon Mme Bachelot, les hôpitaux ne sont pas en sous-effectif et ne manquent pas de moyens mais sont « mal organisés ». « Aucun médecin ne vous dira qu’il ne manque pas de personnel. Il en faut davantage mais le minimum est assuré. Si on constate d’ailleurs qu’il n’y a pas assez de moyens humains, on est en droit de ne pas travailler car on met la vie des autres en danger », explique pour Saphirnews Mahjoub Abdeddaim, rhumatologue exerçant au Centre hospitalier de Sainte-Foy-la-Grande (Gironde). Mais selon lui, la réorganisation de l’hôpital est nécessaire « pour assurer la continuité de la prise en charge des patients 24h/24 et combler le manque de personnel ».

La réforme devra donc réorganiser le tissu hospitalier notamment par le regroupement des hôpitaux en pôles géographiques, la répartition des spécialistes entre établissements et la nomination d’un patron pour chacun d’eux qui décidera du budget sans avoir recours à un conseil d’administration. Pour Dr Abdeddaim, « le travail de regroupement a déjà commencé ». La loi « Hôpital, patients, santé et territoires » devra permettre « de repenser l’hôpital en terme de territoire pour garantir la qualité des soins, leur accès pour tous et leur organisation », selon les termes de la ministre.

Avis aux professionnels de santé au cœur du débat

Pourtant, les critiques des professionnels et des syndicats concernant les dysfonctionnements et la réforme se multiplient ces derniers jours. Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf), a déclaré fin décembre que « la sécurité des patients n’est plus assurée dans les hôpitaux en Ile-de-France pendant cette période de fêtes. (…) Les malades ne prennent pas de vacances, il y a bien que les autorités publics qui ne le savent pas ». Des erreurs médicales ont pu être favorisées par la politique du gouvernement qui continue à « fermer les services » hospitaliers, ont affirmé ce mercredi les comités de défense des hôpitaux de proximité.

D'autres opposants à la réforme estiment que la réforme contribue à convertir les hôpitaux en entreprises privées qui se doivent d’être rentables et appelle à la suppression de certains services pourtant essentiels pour garantir l’accès de l’hôpital à tous les malades. Mme Bachelot dément cependant toute suppression.

Dr Abdeddaim, qui est aussi président de l'Association des médecins Avicenne de France (Amaf)*, est de cet avis. « Le fait que l’hôpital soit considéré comme une entreprise est une bonne chose car on ne peut pas continuer à creuser davantage le déficit de la Sécurité sociale. Mais il ne faut pas dire que si nous ne sommes pas assez rentables, nous fermons. On ne peut pas fermer un service comme ça. Si celui-ci ne dégage pas assez d’argent, la restructuration et non la fermeture sera nécessaire pour le rendre attractif et l’adapter aux besoins de la région. »

Mais pour Parisa, infirmière au Centre hospitalier de Pontoise, la réalité est tout autre et s'oppose clairement à la réforme. « On ne dit pas qu’on va fermer mais restructurer. Mais cela amènera au final des réductions d’effectifs et/ou de lits. On joue sur les mots. La situation ne fait que se dégrader depuis au moins deux ans. La réforme ne va faire qu’accentuer la restriction budgétaire des hôpitaux publics à laquelle on fait déjà face et qui amène les dirigeants à réduire les effectifs et les moyens attribués aux services. Alors que les hôpitaux se remplissent de plus en plus, on recrute de moins en moins. »

Mécontement plus marqué du côté des infirmièr(e)s

« On va de plus en plus vers un système anglo-saxon qui veut que ceux qui sont prioritaires seront ceux qui ont les moyens et ont une très bonne mutuelle. C’est clairement du tri sélectif qui va avoir un retentissement grave sur la qualité de la prise en charge des patients, » ajoute Parisa.

Cependant, d’autres responsables se veulent rassurants. La Fédération hospitalière de France (FHF, responsables des hôpitaux) a estimé mercredi que les hôpitaux publics, qui « prennent en charge les pathologies les plus difficiles », sont « de plus en plus sûrs », malgré « la médiatisation de certains évènements dramatiques ». Le président de l'Amaf fait savoir qu'il n'y a « pas de différence entre les hôpitaux en terme de moyens ce qui garantit la prise en charge des patients partout ». Celui qui travaille depuis 20 ans dans le milieu hospitalier ne constate « que des progrès » ces dernières décennies. « Les patients sont mieux pris en charge, mieux soignés grâce aux nouvelles recommandations et thérapies mises à leur disposition ».

«Concernant les erreurs médicales, elles sont rares, et rien ne dit qu'elles sont liées à des sous-effectifs», a estimé Philippe Juvin, chef du service des urgences de l'hôpital Beaujon à Clichy (Hauts-de-Seine). Autre son de cloche pour Parisa. « Aujourd’hui, les hôpitaux ont de grandes files d’attentes. Le personnel hospitalier se retrouve en surcharge de travail et certains sont même en "burnout" (syndrome d’épuisement professionnel, ndlr) car ils énormément sollicités et travaillent presque 24/24h. Les probabilités de faire des erreurs médicales se multiplient. De plus, les hôpitaux recrutent de plus en plus d’intérimaires. Certains mettent du temps à apprendre les protocoles, ce qui peut être source d’erreur dans le traitement d’un patient dont ils n’ont pas suivi le dossier depuis son début ».

Nombre d’hospitaliers affirment qu’il y a toujours eu des erreurs. Mais la série noire survenue ces derniers temps met en lumière le travail difficile des professionnels de santé ainsi que les dysfonctionnements certains dont font face des hôpitaux en France.

*L'Amaf est une association regroupant les médecins, infirmiers et hospitaliers depuis 1988 essentiellement pour répondre sur les questions d'éthique médicale (clonage, euthanasie, etc.) et organiser des formations médicales continues.


Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur