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Fin de galère pour la mosquée Adda’wa

Rédigé par Nicolas Mom | Vendredi 9 Décembre 2005 à 13:47

           

La grande mosquée du 19e arrondissement de Paris n’est rattachée à aucun pays étranger, à aucun groupe idéologique. Pourtant cette mosquée dérange.



Vue sur le projet de reconstruction de la mosquée Adda'wa
Vue sur le projet de reconstruction de la mosquée Adda'wa
Pour aller à la mosquée Adda’wa, « par le métro, descendez à la station Stalingrad. Prenez la première à droite. Puis tout droit. La mosquée se trouve sur le trottoir de gauche, au 39, rue de Tanger », explique un passant. En plein cœur du 19e arrondissement de Paris, dans un ancien entrepôt retapé, la mosquée Adda’wa est l’une des plus populaires de la capitale. En plus d’être une mosquée les lieux renferment le Centre socioculturel de la rue de Tanger. Des services sociaux aux repas gratuits distribués aux nécessiteux, en passant par des cours de langue arabe, des cours d’instruction coranique et des cycles de conférences. On trouve un peu de tout dans l’enceinte de ses murs.

La mosquée du professeur Hamidullah

La mosquée Adda’wa se prépare à un nouveau tournant de son histoire : sa démolition pour sa reconstruction. Les lieux ont bien connu, dans les années 80, le célèbre professeur Muhammad Hamidullah (1908 - 2002). Autour de ce sage homme érudit et pieux, les conversions à l’Islam s’enchaînaient dans la grande salle de prières. Hamidullah accueillait les nouveaux venus à l’Islam au premier étage de la mosquée dans une salle qui lui servait de bureau. Dans un décor sobre et humilité à l’image du célèbre professeur, le hall du premier étage n’avait qu’une grande table pour tout mobilier. Le sol tapissé transformait occasionnellement cet espace en salle de prières les jours de grande affluence. Il accueille aujourd’hui les cycles de conférences dirigés par le Cheikh Larbi Kechat, recteur de la mosquée. Une journée de débat est consacrée à la question du SIDA ce samedi 10 décembre.
Au rez-de-chaussée, se trouvent deux grandes salles de prières. L’une pour les hommes, l’autre pour les femmes. Côté hommes, le plafond vétuste donne l’impression de vouloir s’effondrer par endroits. Les courants d’airs en profitent pour circuler à travers l’immense salle au point de glacer le sang du fidèle venu se recueillir… Mais qu’importe ! L’endroit est imprégné d’un poignant climat de spiritualité comme seuls les lieux bénis savent procurer. Tout comme l’habit ne fait pas le moine, il faut croire que les murs ne font pas la mosquée.

Entrée de la mosquée, vu de l'espace publique
Entrée de la mosquée, vu de l'espace publique

Jalons sur la route de Adda’wa

C’est en 1979 que le 39, rue de Tanger, devint une mosquée. Avant cette date, la communauté chrétienne du quartier partageait son église avec l’Association culturelle islamique fondée en 1967 par un groupe de travailleurs musulmans. Ces musulmans priaient donc aux côtés des chrétiens, dans l’église Ménilmontant, en toute fraternité. L’Association culturelle islamique est aujourd’hui gestionnaire de la Mosquée Adda’wa.

Depuis cette belle époque, les dirigeants de la mosquée en ont vu des vertes et des pas mûres. En août 1994, son recteur, le Cheikh Larbi Kechat, est arrêté lors d’une « rafle préventive » orchestrée par Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur. Le Cheikh qui a la réputation d’être un homme libre de toutes les chancelleries étrangères sera incarcéré à Folembray, dans l’Aisne, avec une vingtaine de personnes, toutes musulmanes ou d’origine maghrébine. Cette initiative qui s’avérera être une lourde erreur politica-judiciaire fut baptisée « opération de sécurisation ». Les prévenus seront gardés sans jugement. Leurs dossiers judiciaires étaient vides ! Tant par sa gestion médiatique que par son caractère injuste, l’épreuve marquera profondément les fidèles mobilisés pour soutenir leur recteur. Elle marquera encore plus les dirigeants de la mosquée dans leurs relations avec l’Etat.
Quelques années plus tard, lors du processus initié par le ministère de l’Intérieur et qui aboutira à la création du Conseil français du culte musulman (CFCM), le Recteur de la mosquée Adda’wa se montrera particulièrement méfiant. Il sera d’abord retissant à l’initiative ministérielle et finira par refuser de s’associer au processus. Car il refusera de signer l’un des documents préparés par le ministère à l’attention des leaders associatif. Ainsi le CFCM s’est fait sans la Mosquée Adda’wa, l’une des mosquées les plus grandes et les plus prestigieuses de la capitale.

Avant cet épisode, le 12 mars 1997, un engin explosif est placé devant l’entrée de la mosquée. Des débris de la bombe artisanale montrent qu’il s’agissait d’un extincteur. Le gardien de la mosquée a été légèrement blessé et la déflagration brise les vitres sur les deux étages du bâtiment. L'enquête confiée à la brigade criminelle de la préfecture de police n’apportera aucune explication à l’attentat.
Six années plus tard le 29 mars 2003, une alerte à la bombe fait évacuer la mosquée. L’enquête conduit à un homme d’une trentaine d’années, militant de la cause juive. Il sera condamné à douze mois de prison dont trois fermes. La mosquée reprit peu à peu son rythme d’activité avec des fidèles à jamais traumatisés.

Quelques petites victoires sur la violence médiatique

Après l'attentat à l'explosif de mars 1997 qui attire l’attention de la presse, la mosquée mène une action en justice contre les journalistes du magazine « Envoyé spécial » et la chaîne de télévision France 2. Elle les assigne en diffamation pour leur enquête sur les « réseaux islamistes ». Les responsables de la mosquée reprochent au magazine d'avoir tronqué la teneur d'un entretien avec le recteur et d'avoir créé un amalgame entre cette mosquée et des réseaux de militants politiques musulmans. Depuis cet entretien falsifié, le Recteur de la mosquée semble avoir pris une retraite médiatique.
Dans le numéro de l’hebdomadaire Marianne, en date du 23/29 juillet 2001, Martine Gozlan signe un article intitulé « Religion : une nouvelle mosquée à Paris. Mais pour quel islam ? ». Elle s’en prend violemment à la mosquée Adda’wa et à son Recteur. Insidieusement, l’article sème l’amalgame entre les réseaux Al Qaïda et l’Islam de France. Le Recteur attaque de nouveau devant les tribunaux. Madame Gozlan et Marianne, sont condamnés pour diffamation (atteinte à l’honneur et à la considération). Mais l'audience publique se tient au Tribunal de Grande Instance de Paris, le 24 mars 2003, soit deux ans après les faits ! Cette victoire ne sera pas médiatisée.

Un permis de construire obtenu, non sans peine

Pour améliorer son cadre, la mosquée obtient de la mairie de Paris un permis de démolir le 12 juillet 2001. Suivra un permis de construire le 6 septembre 2002. Il aura fallu batailler dur pour en arriver là. Le projet d’aménager la mosquée en un lieu de culte convenable ne semblait pas plaire à la ville de Paris. La bataille a duré près de huit ans.
La première demande de permis, déposée en 1993 avait été rejetée par M. Tibérie, maire RPR de Paris. D’autres demandes suivront essuyant des rejets aussi. Avec l’arrivée des socialistes, menés par M. Delanoë, à la mairie de Paris, le premier permis sera accordé en juillet 2002. Entre temps, les moyens de la mosquée ont considérablement baissé. Les travaux souhaités depuis près d’une décennie vont seulement pouvoir commencer. Ecarté du CFCM, détaché des chancelleries étrangères, Adda’wa fait cavalier seul dans l’univers des mosquées françaises. Mais la liberté a un prix. Il faudra attendre la fin de la retraite médiatique de Cheikh Larbi Kechat pour connaître le prix payé pour préserver l’authenticité de sa mosquée.




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